Impact de la crise financière internationale sur le Maroc
Par Jawad Kerdoudi
Président de l’IMRI « Institut Marocain des Relations Internationales »
La grave crise financière qui a frappé les Etats-Unis en 2008, et qui s’est répercutée par la suite sur le monde entier, n’a eu qu’un faible impact sur le système financier marocain. Ce dernier en effet, du fait de contrôle des changes, n’était pas très engagé dans la finance internationale, et n’était pas acheteur des produits financiers toxiques. Disposant de ressources importantes et solidement encadrées par l’Institut d’émission Bank Al Magrib, les Banques marocaines ont bien résisté à la crise financière internationale, et ont continué avec les précautions qui s’imposent, à accorder des crédits aux entreprises et aux ménages qui ont en besoin. Pour faciliter le processus du crédit, Bank Al Maghrib a fourni aux banques commerciales des liquidés importantes, et a diminué son taux directeur et la réserve obligatoire. D’ailleurs, les résultats des banques marocaines en 2008 ont été très satisfaisants. On peut citer à titre d’exemple la Banque privée Attijariwafa Bank, dont le produit
Cependant, si le Maroc n’a pas subi de conséquences de la crise financière sur son système financier, il a par contre subi un impact économique certain. Globalement, le Maroc réalise les deux tiers de ses activités économiques (commerce extérieur, investissements, tourisme, transferts des résidents marocains à l’étranger) avec l’Europe. Or, la Zone Euro a subi une baisse du PIB de 1,6% au quatrième trimestre 2008, et les prévisions pour 2009 prévoient une récession de 4,1%. Le chômage atteindra en 2009 un taux de 8,5%, et le déficit public 5,4% du PIB. La France, premier client et fournisseur du Maroc, a vu en 2008 son déficit public atteindre 3,4% du PIB, et sa dette publique remonter à 68% du PIB, tandis qu’elle a subi une baisse de 1,1% du PIB au 4ème trimestre 2008. L’Allemagne subira une récession de 5,3% en 2009 et le déficit public atteindra 4,5%. En Espagne, 4.000 entreprises ont fait une demande de dépôt de bilan pendant le 1er trimestre 2009 dans les secteurs de la construction, distribution, agriculture, transports et services.
Cette situation économique en Europe s’est répercutée au Maroc par des conséquences négatives, principalement sur trois secteurs : le tourisme, l’automobile, et les textiles. A fin Février 2009, les recettes touristiques ont baissé de 23% par rapport à la même période de l’année dernière. Toutes les activités touristiques ont été touchées : hôtels-restaurants, transports, guides, circuits et bazars. Pour remédier à cette situation, le Ministère du Tourisme et les professionnels ont mis en œuvre un Plan d’action appelé Cap 2009, qui consiste à renforcer la promotion touristique dans les principaux pays émetteurs, à activer les Centres régionaux de tourisme, à promouvoir le tourisme national, et à rechercher d’autres marchés comme la Chine et les pays de l’Est-européen. L’autre secteur économique qui souffre, est celui de l’automobile, où le Maroc a pu se tailler une part non négligeable parmi les équipementiers internationaux. Les professionnels de l’automobile prévoient une baisse de l’activité de 20 à 30% en 2009. Le grand projet Renault du Port Tanger-Med a été reporté de six mois, et l’associé de Renault, Nissan, s’en est retiré. Là aussi, le gouvernement marocain a lancé le Plan Emergence II (2009-2015), consistant à promouvoir l’industrie au Maroc, dont le secteur automobile, considéré comme très porteur. Le Plan se base sur les concepts de Global Sourcing : à savoir offrir aux investisseurs une offre globale, comportant des zones spécialement aménagées (Med Zones), avec des avantages spécifiques : guichet unique, système de changes, fiscal et douanier particulier. L’autre concept est celui du Low Cost Sourcing, à savoir mettre en relief les avantages qu’offre le Maroc en matière de coûts et de qualification, notamment pour la main-d’œuvre. Dans ce cadre, le Maroc a aménagé une troisième aire de 80ha pour les équipementiers dans TFZ (Tanger Free Zone), destinée aux secteurs de l’automobile, de l’aéronautique, et des composants électroniques. A titre d’exemple, on peut citer que l’équipementier Delphi malgré la crise, a inauguré sa deuxième usine de câblages à TFZ en Mars 2009.
Le troisième secteur qui a subi les effets de la crise européenne est celui des textiles. C’est ainsi que les exportations de textiles/habillements ont baissé de 13,1% pendant les deux premiers mois de l’année 2009, comparés aux deux premiers mois de l’année dernière. Les exportations de produits électriques et électroniques ont également baissé de 47%. Ceci a contraint certaines sociétés exportatrices à réduire les heures supplémentaires, et même à procéder à des licenciements. Le déficit commercial a atteint 24,4 milliards de Dh à fin Février 2009, avec une baisse des importations de 15,7% et une baisse des exportations de 31,8% (-59,5% pour les phosphates). Le taux de couverture n’est plus que de 40,2% à fin Février 2009. Pour soutenir ce secteur, ainsi que ceux de l’automobile et du cuir, le gouvernement marocain à établi en collaboration avec les professionnels un Plan de relance, garantissant à hauteur de 65% les crédits accordés aux exportateurs, et prenant en charge les frais sociaux, à condition que les entreprises bénéficiaires ne licencient pas. Le Gouvernement marocain a également mis en place un Comité de veille stratégique pour suivre la situation, et faire de nouvelles propositions si d’autres secteurs sont touchés.
Un secteur également préoccupant est celui de la Balance des paiements. Cette dernière qui a toujours été excédentaire depuis 2000, a connu pour la première fois un déficit de 11,5 Milliards de Dh en 2008. Ce déficit est dû principalement à la flambée des prix du pétrole et des produits agricoles, dont le Maroc est un gros importateur. Jusqu’au 2008, le déficit de la balance des biens était compensé par l’excédent de la balance des services (tourisme, transferts des Marocains à l’étranger, IDE). Il est à craindre que la Balance des paiements pour 2009 soit également déficitaire, car si la valeur des importations va baisser du fait de la baisse des prix, les exportations, les IDE, le tourisme, les transferts des RME, vont également baisser. A titre d’exemple, selon les statistiques des deux premiers mois 2009, les transferts des RME ont baissé de 15%. D’autre part, le HCP (Haut Commissariat au Plan) a prévu une baisse des investissements au Maroc de 5,4% en 2009. Enfin, il y a lieu de noter la baisse de la collecte des impôts de 9,4% à fin Février 2009 (-19% pour les droits de douane, -15% pour les impôts directs -7% pour les impôts indirects, mais plus 68% pour l’IS).
A part les quatre secteurs économiques qui ont été sérieusement touchés (tourisme, automobile, textile, Balance des paiements), l’économie marocaine dispose d’atouts non négligeables pour l’année 2009. Il s’agit principalement du secteur agricole, qui grâce à une pluviométrie exceptionnelle va connaître une production record de céréales (75 à 80 Millions de Quintaux), et des autres produits agricoles. Du fait que 45% de la population marocaine vit dans les campagnes, cette situation va permettre d’atteindre un taux de croissance de l’économie marocaine de l’ordre de 6% pour l’année 2009, selon le Haut Commissariat au Plan. Autres éléments positifs : il est prévu en 2009 une augmentation de 6,9% de la consommation finale de ménages, et une augmentation de 27,4% des crédits à la consommation. Pour le premier trimestre 2009, le secteur BTP (Bâtiments, Travaux publics) a progressé de 8%, et les ventes automobiles sur le marché national de 0,55%. A fin Février 2009, malgré la baisse de la collecte des impôts, le budget de l’Etat reste excédentaire et les avoirs extérieurs s’élèvent à un montant de 187 Milliards de Dh, soit une progression de 2,8% par rapport au 31 Décembre 2008.
En conclusion, le Maroc n’a pas subi un impact important sur son système financier. Par contre, du fait de la crise économique sérieuse qui a touché l’Europe, il subit la baisse de la demande provenant de cette région importante pour lui. La crise touche les exportations, les investissements, le tourisme et les transferts des résidents marocains à l’étranger, et va entrainer certainement un déficit de la Balance des Paiements pour 2009. Cependant, du fait de son économie diversifiée, et d’une campagne agricole 2008-2009 prometteuse, le Maroc va atteindre une croissance de l’ordre de 6%, exceptionnelle dans la situation actuelle de l’économie mondiale. Ceci est dû également aux réformes structurelles déjà entreprises, et au Plans sectoriels qui ont été mis en œuvre : Plan Azur pour le tourisme, Plan Emergence pour l’Industrie, Plan Vert pour l’agriculture. Le Maroc doit également s’efforcer de profiter des opportunités qu’offre la crise internationale, en encourageant les délocalisations européennes au niveau de l’industrie, des services et des capitaux. Le Maroc doit cependant accélérer sa modernisation, afin d’améliorer sa productivité qui est encore faible, et qui lui a fait perdre des parts de marché sur le plan international. Ceci d’autant plus qu’en 2012, du fait de l’Accord d’Association qui le lie à l’Union européenne, les frontières seront totalement ouvertes (exonération totale des droits de douane) pour les produits industriels provenant de l’Union européenne. Le Maroc doit également accélérer le processus du Statut avancé, et demander à l’Union européenne une aide technique et financière accrue pour lui permettre d’assurer au mieux sa transition économique. Il doit également se rapprocher des autres membres de l’UMA, afin de tenter d’apporter une réponse maghrébine à la crise, à l’instar de l’Union européenne et des autres régions du monde, et de sensibiliser ses partenaires pour l’ouverture de la frontière terrestre algéro-marocaine.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI