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Tunisie
Fin de la liberté d’expression

Par Jawad KERDOUDI
Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)

Le régime autoritaire tunisien de Kaïs Saïed a promulgué en Septembre 2022 le Décret-loi 54 « qui prévoit cinq ans de prison quiconque utilise les réseaux d’information et de communication pour rédiger, produire, diffuser ou répandre de fausses-nouvelles, dans le but de porter atteinte aux droits d’autrui, ou de porter préjudice à la sécurité publique ». C’est en vertu de ce décret que Sonia Dahmani avocate et chroniqueuse tunisienne, a été convoquée par le juge pour comparaitre le vendredi 10 Mai 2024. Cette convocation ne portant pas de motifs, a poussé Sonia Dahmani à ne pas répondre à cette convocation. Le Samedi 11 Mai 2024, elle s’est réfugiée à la Maison de l’Avocat en face du Palais de justice, lieu qui n’a jamais été visité par la police. Le soir de ce 11 Mai, une trentaine de policiers cagoulés ont pénétré dans la Maison de l’Avocat pour arrêter d’une façon agressive et brutale Sonia Dahmani. La scène violente a été filmée par une journaliste de France 24, qui se trouvait là pour couvrir une manifestation d’avocats pour le respect de la justice et le soutien à la liberté d’expression. Les policiers ont arraché la caméra de son trépied, et ont arrêté la journaliste et le caméraman qui ont été libérés le soir même. La chaine France 24 a émis une protestation vigoureuse « pour entrave à la liberté de presse ».

Sonia Dahmani ne s’étant pas présentée devant le juge, ce dernier a émis un mandat d’amener. Ce qui est reproché à l’avocate dans une émission télévisée, c’est la réponse qu’elle a faite à un journaliste qui avait déclaré que « les migrants venus de plusieurs pays d’Afrique cherchaient à s’installer en Tunisie ». Sonia a répliqué « De quel pays extraordinaire parle-t-on ? ». C’est cette phrase qui a valu à l’avocate l’inculpation de « diffusion de fausses informations dans le but de porter atteinte à la sécurité publique, et incitation à un discours de haine ». En un an et demi, plus de soixante personnes : journalistes, avocats, opposants, ont fait l’objet de poursuites en vertu du décret-loi 54.
Cette situation catastrophique de la Tunisie est due à l’élection de Kaïs Saïed à la présidence de la République le 23 Octobre 2019. Cet universitaire spécialiste du droit constitutionnel et juriste de profession, n’appartenant à aucun parti politique, et qui avait une image de probité a été élu au second tour avec 72,7% de voix aux élections présidentielles de 2019. Cependant le 25 Juillet 2021, il s’octroit les pleins pouvoirs, démet les membres du gouvernement, et gèle les activités du Parlement puis le dissout, ce qu’on peut qualifier de coup d’Etat. En 2022, il abroge la Constitution de 2014 et propose une nouvelle, qui prévoit un exécutif fort, et qui proclame que l’islam est un objectif de l’Etat et source de droit. Lors de sa prestation de serment le 23 Octobre 2019, il promet de lutter contre le terrorisme et ses causes, et de garantir les acquis de la femme tunisienne, en renforçant ses droits économiques et sociaux, mais sans établir l’égalité de l’héritage entre hommes et femmes. Kaïs Saïed installe une politique d’instabilité en changeant cinq fois le chef de gouvernement depuis son élection.
La Tunisie a connu le 2023 une crise économique sans précédent, avec une faible croissance et une forte inflation : 12% pour les produits alimentaires. L’endettement à 80% du PIB, a poussé le gouvernement tunisien à demander l’aide du FMI. Ayant obtenu un accord de principe pour un prêt du FMI de 2 milliards de dollars, le président Kaïs Saïed a décidé le 7 Avril 2023 de rejeter les « diktas » du Fonds monétaire international, qui conditionne l’octroi du prêt à la mise en place de réformes économiques, et à la levée de certaines subventions étatiques. Kaïs Saïed s’est tourné alors vers les pays arabes. L’Arabie saoudite a accordé à la Tunisie le 20 Juillet 2023 un prêt de 400 millions de dollars et un don de 100 millions de dollars. Le 28 Avril 2024 elle a accordé un nouveau prêt de 1,2 milliard de dollars, pour financer les importations de matières premières. L’Algérie de son côté a accordé à la Tunisie un total de 700 millions de dollars en prêts et dons. Enfin la Banque africaine d’import-export a accordé à la Tunisie un prêt de 500 millions de dollars, et la Banque africaine de développement 600 millions de dollars.
En politique étrangère, la Tunisie s’est attirée beaucoup de critiques de la part des pays de l’Afrique subsaharienne. En effet, le 21 Février 2023, le président Kaïs Saïed a déclaré « l’immigration est une entreprise criminelle ourdie à l’orée de ce siècle, pour changer la composition démographique de la Tunisie afin de transformer la Tunisie en pays africain seulement, et estomper son caractère arabo-musulman ». Il a repris à son compte l’argument fallacieux du « Grand remplacement ». Il a encore déclaré « Des hordes de migrants clandestins déferlent sur la Tunisie depuis l’Afrique sub-saharienne, et sont la source de violences et de crimes. Suite à ces propos, 21.000 immigrés subsahariens installées en Tunisie ont perdu leur travail et leur logement, alors que 1300 d’entre eux ont été reconduit par la police aux frontières avec la Libye et l’Algérie, puis abandonnés dans le désert.

L’autre orientation de la Tunisie en politique étrangère, est l’alignement sur les positions de l’Algérie, à tel point que certains observateurs qualifie la Tunisie de vassal de l’Algérie et de « Wilaya algérienne ». On peut citer à titre d’exemple le changement de politique vis-à-vis du Maroc. En effet le 26 Août 2022, Kaïs Saïed a reçu à l’Aéroport de Tunis en grande pompe le chef du Polisario Brahim Ghali, à l’occasion du Sommet de la TICAD « Afrique/Japon » qui s’était tenu à Tunis. Le Maroc n’a pas participé à ce Sommet et a rappelé son Ambassadeur.

En conclusion on ne peut que déplorer la situation actuelle de la Tunisie. Alors que pendant le Printemps arabe de 2011, la Tunisie a été citée en exemple, du fait de l’élection d’une Assemblée constituante, les différents gouvernements qui se sont succédés, notamment islamistes, n’ont pas donné satisfaction ni sur le plan politique ni sur le plan économique et social. L’élection de Kaïs Saïed en 2019, candidat indépendant, avait suscité beaucoup d’espoirs, mais qui a été trahi par le coup d’Etat du 25 Juillet 2021, où il s’est octroyé les pleins pouvoirs. La Tunisie depuis son indépendance en 1956 a toujours maintenu de bonnes relations avec le Maroc, adoptant une politique de neutralité positive vis-à-vis de la question du Sahara marocain. Notre souhait est que ce pays que nous aimons, puisse retrouver la démocratie, la liberté, et le développement économique et social.

CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI

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