Agression Israélienne à Gaza
Lettre ouverte à Christophe Barbier
Directeur de la rédaction de l’Express
Par Jawad Kerdoudi Président de l’IMRI « Institut Marocain des Relations Internationales »
Fidèle lecteur de l’Express, j’ai été choqué par votre éditorial paru dans le numéro 3002 du 15 au 21 Janvier 2009, concernant l’agression israélienne à Gaza. Vous qualifiez cette agression de «Guerre juste» et qu’ «Israël a raison de mener cette guerre, et il le fait aussi pour notre tranquillité». Peut-on parler d’une guerre juste alors qu’une armée sophistiquée s’est attaquée à une population civile sans défense, tuant 1.330 personnes dont 110 femmes et 437 enfants, et en blessant 5.450 autres. Israël n’a respecté ni les écoles, ni les hôpitaux, ni les institutions d’aide de l’ONU, visant même les ambulances transportant des morts et des blessés. Les attaques israéliennes ont détruit 4.000 immeubles et endommagé 20.000 autres, avec la quasi-disparition totale des infrastructures. Un million de Palestiniens vivent à Gaza sans électricité, 750.000 sans eau, et 80.000 sans abri. Richard Falk, rapporteur spécial de l’ONU a déclaré «Les opérations militaires israéliennes dans la bande de Gaza ont eu un caractère sans aucun doute inhumain, qui évoque le spectacle de crimes de guerre systématiques». Cobb-Smith, un expert britannique en armement, a également qualifié l’agression israélienne à Gaza de « crime de guerre » du fait de l’utilisation de bombes au phosphore, interdites dans les zones peuplées de civils par la Convention Internationale sur les armes civiles de 1980. Simon Levy, Vice-Président de la Communauté juive au Maroc a déclaré de son côté «C’est une guerre horrible, inutile et contre-productive». La compassion doit être des deux côtés, mais la disproportion est énorme entre les pertes palestiniennes, et les pertes israéliennes évaluées à une dizaine de morts et de blessés, et à quelques maisons endommagées dans le sud d’Israël. Est-ce cela une guerre juste ?
Pour étayer votre argumentation, vous affirmez que le Hamas est un mouvement terroriste. Or c’est un mouvement qui a été élu démocratiquement, et qui exerce la résistance à l’occupation du territoire par une puissance étrangère. Les occupants allemands de la France, pendant la seconde guerre mondiale, qualifiaient également les résistants français de terroristes. La preuve de sa légitimité est que malgré l’agression israélienne sauvage sur Gaza, le Hamas est toujours en place et s’est même renforcé. Certes, c’est un mouvement radical, mais la faute incombe largement à Israël et à l’Occident. En effet, pendant soixante ans, Israël n’a fait aucune concession aux Palestiniens modérés pour résoudre le conflit israélo-palestinien. Au contraire, Israël a construit le mur de séparation, et établi de nouvelles colonies en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. L’Occident a également une grande responsabilité, dans la mesure où il n’a jamais fait une pression suffisante sur Israël pour trouver une solution. Les Etats-Unis ont toujours soutenu d’une façon inconditionnelle Israël, dans toutes ses initiatives mêmes les plus aventureuses. Sharon avait déclaré en 2001 : « Nous contrôlons l’Amérique, et les Américains le savent ». Israël trouve prétexte de la radicalité du Hamas et du soutien qui lui est apporté par la Syrie et l’Iran pour ne rien faire. Or le meilleur moyen de neutraliser le Hamas, est de faire des concessions importantes au Fatah.
Vous affirmez ensuite qu’Israël agit pour nous. C’est encore une erreur, dans la mesure où l’agression israélienne à Gaza a au contraire renforcé le Hamas et les mouvements islamistes dans les pays Arabes et musulmans. La transmission pendant vingt et un jours par toutes les télévisions du monde de scènes horribles, où des femmes et des enfants étaient tués et blessés, a exacerbé l’opinion arabe et musulmane. L’agression israélienne sur Gaza a été le meilleur moyen d’accentuer la haine contre Israël et l’Occident, et a dû faire naitre des vocations de futures kamikazes.
Vous terminez votre éditorial en indiquant que le monde doit intervenir, et que la solution du conflit israélo-palestinien est politique. Là, je suis d’accord avec vous, dans la mesure où la communauté internationale doit intervenir, car Israéliens et Palestiniens ne trouveront pas tous seuls une solution. Et c’est vrai que la solution est éminemment politique. Il faut rappeler que l’Etat Israël a été instauré en 1948 par la force sur une terre arabe. Les Arabes n’ont jamais accepté, de leur plein gré, ce corps étranger au milieu d’eux. Plusieurs guerres ont eu lieu depuis entre les pays Arabes et Israël, qui n’ont rien réglé. Israël doit comprendre que pour vivre, il doit faire la paix avec ses voisins. Israël a déjà fait la paix avec la Jordanie et avec l’Egypte en lui rétrocédant le Sinaï. Pour faire la paix avec la Syrie, Israël doit lui rétrocéder le Golan. La paix avec les Palestiniens est plus difficile à réaliser, car on a laissé pendant soixante années la situation se compliquer et s’envenimer. Mais elle est possible, s’il y a une réelle volonté des deux parties, et si la pression de la communauté internationale est forte, notamment celle des Etats-Unis avec le nouveau Président Obama. Quatre problèmes sont à résoudre : la délimitation du territoire du futur Etat palestinien, le statut de Jérusalem, les colonies israéliennes installées en Cisjordanie, et le problème du retour des réfugiés. Il est nécessaire que les deux parties fassent des concessions réciproques sur ces quatre questions, sinon le processus de paix ne pourra pas aboutir. Des résultats concrets de la négociation peuvent favoriser la réconciliation entre le Hamas et le Fatah. Il faut aussi espérer que le Likoud ne gagne pas les prochaines élections législatives en Israël en Février prochain. Ce parti est connu pour son intransigeance concernant le règlement du conflit israélo-palestinien.
Je veux terminer cette lettre par l’espoir qu’enfin ce problème israélo-arabe soit réglé, pour la paix et la prospérité dans cette région. Je ne suis pas d’accord avec vous sur le thème intégriste que vous soutenez en indiquant « Parce qu’il est question de religion, la réconciliation n’adviendra jamais ». L’homme a été heureusement doté de raison, et la raison peut transcender la religion. Aussi, je caresse l’espoir de voir un jour Arabes et Israéliens vivre en paix, et œuvrer ensemble pour le développement économique et social de leur population.
Connaissant l’esprit démocratique qui a toujours prévalu à l’Express, je vous prie de publier cette lettre dans son intégralité et en bonne place, afin de donner à vos lecteurs un point de vue différent sur cette grande question du Moyen-Orient. Je garde, et beaucoup de marocains également, le souvenir de l’Express des années 50 et 60, qui avait sous l’impulsion de son fondateur Jean-Jacques Servan Schreiber, défendu avec courage la cause de la décolonisation en Indochine et en Algérie.
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