La Ligne de Train à Grande Vitesse Tanger-Casablanca : Un cas d’Ecole
Par Jawad Kerdoudi Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
L’inauguration de la ligne de train à grande vitesse (LGV) a eu lieu à Tanger le Jeudi 29 Septembre 2011 en présence des Chefs d’Etat du Maroc et de la France. Rappelons que ce projet qui a été initié en 2007, a pour objet la construction d’une ligne ferroviaire nouvelle à grande vitesse de 200 km reliant Tanger à Kenitra, et le renforcement de la ligne classique Kenitra-Casablanca afin de permettre au train à grande vitesse de relier Tanger à Casablanca. Cette ligne qui sera achevée fin 2015 permettra d’accéder à une vitesse de 320 km/heure, et nécessitera un investissement de 20 milliards de dirhams. Le partenaire privilégié de ce projet est la France, qui contribuera aux études et à la réalisation de l’investissement, ainsi qu’à la fourniture du matériel roulant. Le financement de cet investissement d’un montant total de 1,8 Milliard d’euros sera assuré par la France (920 M), le Maroc (500M), l’Arabie Saoudite (144M), le Koweït (100M), Abou Dhabi (70 M) et le FADES (66M).
Les défenseurs de ce projet soulignent qu’il s’agit d’un investissement structurant avec une rentabilité de 9%, qui permettra de renforcer et d’améliorer le transport au Maroc, et qui s’inscrit dans la politique des grands chantiers. La LGV s’inscrit également dans le schéma directeur des lignes à grande vitesse établi en 2006, et qui prévoit la construction de 150km de lignes nouvelles dans le cadre de 2 axes : Atlantique (Tanger, Casablanca, Marrakech, Agadir) et Maghrébin (Rabat, Fès, Oujda). Cette nouvelle ligne permettra un gain de temps de 2h35 entre Tanger et Casablanca, l’accroissement du nombre de passagers de 2 Millions à 8 Millions par an, et la mise en synergie des deux grands pôles économiques de Tanger et de Rabat-Casablanca. La LGV permettra de renforcer la sécurité routière, et de réduire de 20.000 tonnes l’émission de gaz à effet de serre. Elle permettra également de dégager des capacités de transport dans la ligne ferroviaire classique, qui pourront être utilisées pour le transport des containers. Cette nouvelle ligne permettra l’extension vers l’Afrique du réseau ferroviaire Trans-européen. La LGV aura un impact économique au niveau de l’industrie de sous-traitance, par la construction au Maroc d’une usine de câbles et composants électriques et électroniques, d’une usine d’assemblage de l’équipement roulant, et d’un atelier d’entretien. Au niveau de l’emploi, il est prévu la création de 5.000 emplois dans les usines de sous-traitance, 2.500 emplois et 30.000 de journées de travail pendant les phases de travaux et d’exploitation. Enfin au niveau de la formation, un protocole d’accord a été signé pour la création d’un Institut de formation aux métiers ferroviaires.
Les détracteurs de la LGV indiquent que c’est un projet politique, qui a été affecté en 2007 à la France pour compenser le non-achat par le Maroc des avions de chasse français « Rafale ». Ils estiment que le coût est trop élevé, et qu’il attendrait selon certaines estimations 33 Milliards de Dh, au lieu de 20 Milliards annoncés. Ils se demandent qu’en ce temps de crise, il ne faudrait pas s’orienter plutôt vers d’autres projets plus prioritaires, comme par exemple la lutte contre l’analphabétisme qui frappe encore 35% de la population, ou l’extension du réseau ferroviaire actuel vers des destinations non desservies. Ils dénoncent le manque de transparence de ce projet, qui n’a fait l’objet d’aucun débat au Parlement quant à sa rentabilité réelle et son impact effectif sur l’économie marocaine. Ils soulignent le manque d’appel d’offres pour l’achat du matériel roulant, qui a été affectée de grè à gré au français ALSTOM, ainsi que l’absence de financement de la part de la Banque Européenne d’Investissement (BEI). Aucune indication précise n’a été donnée quand à la tarification du LGV, et notamment son adéquation avec le pouvoir d’achat du consommateur marocain. Enfin plus grave, ils indiquent que le TGV n’est pas rentable même en France, comme l’a indiqué en 2008 la Cour des comptes françaises, qui a produit un rapport d’évaluation du TGV Méditerranée.
Devant ces arguments et contre-arguments, il est difficile de porter un jugement objectif sans une connaissance exhaustive et chiffrée des données de ce projet. Maintenant que ce projet est entré dans sa phase de réalisation, il serait opportun que le gouvernement publie l’étude qui lui a permis d’annoncer un taux de rentabilité de 9%, et une étude complémentaire sur l’impact de ce projet sur l’économie marocaine. Ceci permettrait du faire adhérer les décideurs et l’opinion publique à ce grand projet, qui présente par ailleurs des gros avantages pour notre pays. La leçon à tirer pour l’avenir est que dans le cadre de la nouvelle Constitution qui a été adoptée massivement par le peuple le 1er Juillet dernier, il conviendrait que les grands projets suivent un cheminement normal, en passant par le Parlement, et en informant l’opinion publique en toute transparence.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI