Printemps arabe : la vague islamique
Par Jawad Kerdoudi Président de l’IMRI
(Institut Marocain des Relations Internationales)
L’année 2011 a connu un véritable bouleversement dans le monde arabe. Le mouvement révolutionnaire a débuté en Tunisie en Janvier 2011 après le décès du jeune tunisien Mohamed Bouazizi. Il s’est étendu par la suite à la quasi-totalité du monde arabe, soit sous forme de révolution, soit par l’évolution plus démocratique des régimes en place. Les révolutions avec chute du dictateur ont eu lieu en Tunisie, Egypte, Libye et Yémen. D’autres pays arabes ont connu une évolution de leur régime politique, tel que le Maroc. Les pays arabes du Golfe ont été peu touchés jusqu’à maintenant à l’exception de Bahreïn. La Syrie connaît une répression sanglante, l’Egypte se débat dans une situation malsaine où l’armée ne veut pas quitter le pouvoir, tandis que l’Algérie se complait dans l’immobilisme.
Ce mouvement révolutionnaire acté principalement par des jeunes, a été aidé par les nouvelles techniques de la communication et d’information, et galvanisé par les télévisions satellitaires, dont Al Jazira. Contrairement à la théorie du complot venu de l’étranger, ce fût un mouvement spontané des peuples de la région. Les revendications des manifestants ont porté sur la situation économique désastreuse, marquée par un chômage élevé, et des conditions misérables ne permettant pas une vie digne. Le manque de liberté, la lutte contre la corruption et le népotisme, les inégalités sociales, ont été également dénoncés avec force par les manifestants. Enfin, l’aspiration à la démocratie a été unanimement réclamée.
Cependant, force est de constater que les principaux bénéficiaires du Printemps arabe ont été jusqu’à maintenant les partis islamiques. En Tunisie, les premières élections libres de l’Assemblée constituante après la « Révolution de Jasmin » ont donné comme vainqueur le parti islamique « Ennahda » avec 90 sièges sur 217, soit un pourcentage de 41,7% de l’Assemblée. Il est suivi par le parti de centre gauche « Le Congrès pour la République » qui a obtenu 33 sièges. Le parti social démocrate « Takatoul » a obtenu 21 sièges, tandis que le parti centriste PDP n’est parvenu qu’à la 5ème place, et que la gauche laïque PDM n’a obtenu que 5 sièges. En Libye le 24 Octobre 2011, le Chef du Conseil National de Transition Mustapha Abdeljalil a affirmé dans une déclaration que la Chariaa (loi islamique) serait la principale source de législation dans la nouvelle Libye.
Au Maroc les élections législatives du 25 Novembre 2011 qui se sont déroulées d’une manière transparente, ont donné également le parti islamique PJD vainqueur. Il a remporté 107 sièges sur 395, soit 27,08% de la Chambre des Représentants. Loin derrière lui, le parti traditionaliste « Istiqlal » n’a obtenu que 60 sièges, et le plus grand parti de droite le RNI n’a remporté que 52 sièges. Le parti socialiste USFP a été classé 5ème avec 39 sièges et le PPS (ex-communiste) n’a recueilli que 18 sièges. On peut s’attendre à ce que la vague islamique touche également l’Egypte où le parti des « Frères musulmans » est très influent, et où les élections législatives ont débuté le 28 Novembre 2011.
Cette vaque islamique qui a touché la plupart des pays de la région après le Printemps arabe, peut s’expliquer par différents raisons. Elle exprime un besoin de changement et une aspiration à la démocratie. Elle répond à la plupart des revendications des manifestants : plus de liberté, lutte contre la corruption, le népotisme, et les inégalités sociales, enfin moralisation de la société. Or les partis de droite et de gauche qui ont gouverné les pays de la région pendant des décennies, n’ont pas obtenu de résultats satisfaisants, et ont reçu un vote de sanction. D’autre part, les partis islamiques ont toujours mené une politique de proximité vis-à-vis des plus démunis. Enfin, et d’une façon sous-jacente, l’attachement à l’Islam est très fort dans tous les pays arabes, et entraîne une sympathie naturelle vers ceux qui s’en réclament.
Faut-il craindre ou se féliciter de cette vague islamique qui a déferlé sur le monde arabe ? En tant que démocrates nous devons l’accepter, car c’est la volonté de la majorité du peuple. Mais nous devons également rester très vigilants quant à d’éventuelles dérives sur les droits de l’homme et l’égalité homme-femme. Pour cela, il faut consolider les institutions démocratiques, renforcer les droits de l’opposition, et élargir le champ d’action de la société civile. D’autre part, les partis islamiques pour gouverner, doivent s’allier avec d’autres partis, qui on l’espère, seront intransigeants sur les droits de l’homme.
En tous cas, nous vivons une période où le monde arabe est à la croisée des chemins. Agissons tous pour qu’il emprunte la bonne voie.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI