Le programme économique
du PJD : Est-il réalisable ?
Par Jawad Kerdoudi Consultant Economiste
Président de l’IMRI
Le PJD a remporté largement les élections législatives marocaines du 25 Novembre 2011. Il a proposé un programme économique très ambitieux. En premier lieu, un taux de croissance du PIB de 7%, un déficit budgétaire de 3%, un SMIC mensuel de trois mille Dirhams, et la création de 250.000 emplois. Ses autres propositions portent sur la réduction de la pauvreté de 50%, la diminution de l’IS à 25% et du seuil d’investissements à 100 millions de Dirhams pour bénéficier des avantages spéciaux de la Commission Nationale des Investissements. Il a complété ses propositions par la réservation de 30% des marchés publics aux PME, l’exonération de TVA pour les produits alimentaires et les médicaments, et la promotion de la finance islamique. Enfin, il prévoit d’augmenter la pension de retraite minimum à 1.500 Dirhams et réduire le taux de chômage de deux points soit à 7,2% de la population active.
Pour réaliser ces objectifs, le PJD table sur une amélioration de la gouvernance économique, notamment par la lutte contre la corruption et l’économie de rente. Il compte également éradiquer l’analphabétisme pour les 15-24 ans d’ici 2016, renforcer la justice, booster l’investissement public, et diversifier les exportations. Afin d’augmenter les recettes de l’Etat, il compte taxer les revenus les plus élevés et les signes extérieurs de richesse.
Ce programme économique est-il réalisable ?
Tout d’abord on ne peut qu’être d’accord sur les propositions d’amélioration de la gouvernance, de lutte contre la corruption et l’économie de rente, l’éradication de l’analphabétisme, la réforme de la justice et la taxation des plus riches. Cependant, force est de constater que dans la conjoncture actuelle, il sera très difficile d’atteindre les objectifs économiques escomptés par le PJD, même à l’issue de la législature. L’économie mondiale après la grave crise financière de 2008-2009 ne s’est pas encore relevée. Plus grave pour nous, l’Europe qui absorbe prés des deux tiers de notre économie connaît une grave crise de l’endettement, qui se traduit par une très faible croissance qui sera de 1,8% en 2012 selon le Fonds monétaire international.
Le taux de croissance prévu par le programme économique du PJD est irréaliste. Rappelons que les taux de croissance réalisés durant les trois dernières années (2008-2010) ont été de 5,6%, 4,8% et 3,7%, et que le FMI prévoit un taux de croissance de 4,5% à 5% pour 2012. De même la réduction du déficit budgétaire à 3% du PIB sera difficile, puisqu’il a été de 4,6% en 2010 et que le FMI prévoit un déficit de 7,5% pour 2012, si des mesures correctives ne sont pas prises. La création de 250.000 emplois est très aléatoire, ainsi que la baisse du taux de chômage de deux points, si on relève qu’en 2010 il n’a été créé que 120.000 emplois nets selon le Haut Commissariat au Plan. Un SMIC à trois mille Dirhams grèverait gravement la compétitivité de l’économie marocaine qui n’est pas déjà très forte, du fait que nous perdons chaque année des parts de marché sur le plan mondial. Le secteur textile marocain serait gravement atteint, du fait de la concurrence très vive de l’Asie.
Les autres mesures : réduction de l’IS à 25%, l’exonération de TVA sur les produits alimentaires et les médicaments, la pension retraite minimum à mille cinq cent Dirhams, vont diminuer les recettes et augmenter les dépenses de l’Etat. Est-ce que le manque à gagner va être compensé par la taxation des riches ? Une étude préalable doit être faite sur cette question. Par contre, la diminution du seuil d’investissement à 100 millions de Dirhams, la promotion de la finance islamique, et la réservation de 30% des marchés publics aux PME, sont de bonnes mesures pour stimuler l’investissement et élargir les ressources financières en provenance des pays islamiques. Encore faut-il renforcer la capacité du PME pour qu’elles puissent effectivement absorber les 30% des marchés publics.
On peut regretter que le programme économique du PJD n’a rien prévu de précis pour réduire le déficit abyssal du commerce extérieur qui s’est élevé à 152 milliards de Dirhams en 2010, avec un taux de couverture de seulement 48,8%. De même pour le déficit de la balance des paiements qui va atteindre 5% du PIB en 2011. Rien non plus pour la Caisse de Compensation, dont le déficit va atteindre 40 milliards de Dirhams en 2011, dont 85% pour les produits pétroliers et le gaz butane. Outre qu’elle constitue une ponction insoutenable sur le budget de l’Etat, cette Caisse n’est pas ciblée et bénéficie aussi bien aux riches qu’aux pauvres, et produit un effet pervers sur le consommateur. En effet ce dernier n’oriente pas sa consommation en fonction du prix réel du produit qu’il consomme. La réforme de cette Caisse est de plus en plus urgente.
En conclusion, la situation économique de notre pays est très préoccupante. Au delà des positions partisanes, il y a lieu de multiplier les efforts pour trouver les meilleures solutions aux grands défis qui nous attendent. Il faut espérer que le futur Parlement puisse être le lieu où toutes ces questions difficiles seront sérieusement examinées, en associant également la société civile.
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