La France perd le triple A :
Quel impact sur l’économie marocaine ?
Par Jawad Kerdoudi
Président de l’IMRI
(Institut Marocain des Relations Internationales)
Pour comprendre le triple A, il faut revenir aux Agences de notation financière. Ces dernières sont des organismes privés qui ont pour but l’évaluation financière des acteurs économiques. Sont concernées notamment les dettes souveraines, les banques, les grandes sociétés. Les Agences de notation financière évaluent uniquement le risque financier, et émettent une opinion sans garantie de leur part, et sans responsabilité pour les conséquences. Les critères que les agences de notation doivent respecter sont l’objectivité, l’indépendance, la transparence, l’information du public, un bon niveau de ressources financières et humaines, et enfin de la crédibilité. Il existe près de 150 Agences de notation dans le monde, mais trois « The big Three » dominent à 94% le marché : Standard & Poor’s à égalité avec Moody’s (40%) et Fitch (14%). Les Agences de notation disposent d’une échelle de notation aussi bien pour le long terme que le court terme. A titre d’exemple Standard & Poor’s dispose de 22 niveaux de gradation pour le long terme échelonnée de la lettre A à la lettre D. La première qualité étant AAA, et la dernière D : défaut de paiement. Pour le court terme, elle dispose de 6 niveaux de gradation A. 1+ (première qualité) jusqu’à C (peu d’espoir de recouvrement). A titre d’exemple l’Agence Standard & Poor’s a noté le 1er Décembre 2011 le Maroc, BBB pour les dettes à long terme, et A3 pour les dettes à court terme, correspondant dans son échelle à « qualité moyenne inférieure ». A noter enfin que les Agences de notation sont rémunérées par leurs clients, et ont été l’occasion d’un vive polémique dans l’affaire ENRON et lors de l’évaluation des Subprimes aux Etats-Unis, ce qui a diminué relativement leur crédibilité. Depuis la crise financière internationale 2008-2009, elles sont étroitement surveillées notamment par la SEC américaine (Securities and exchange commission) et par l’Autorité européenne des marchés financiers. On leur reproche aussi d’alimenter la spéculation sur les marchés financiers. Il n’en demeure pas moins que leur notation a toujours un effet considérable, comme ça a été le cas le 5 Août 2011, lorsque le note de la dette souveraine à long terme des Etats-Unis a été dégradée.
Le 13 Janvier 2012, Standard & Poor’s a dégradé la note souveraine de 9 pays de l’Union européenne. La France et l’Autriche sont passés de AAA à AA+ (perte du triple A), l’Italie et l’Espagne ont été dégradés de 2 crans, Malte, la Slovaquie et la Slovénie d’un cran, tandis que les dettes du Portugal et de Chypre ont été classées dans la catégorie investissements spéculatifs. Seule 4 pays de l’Union européenne ont pu conserver le triple A : l’Allemagne, la Finlande, le Luxembourg et les Pays-bas. Pour justifier cette dégradation, Standard & Poor’s estime que les solutions apportées à la crise de la dette souveraine de la zone euro sont insuffisantes. Elle critique les institutions politiques européennes pour leur manque d’efficacité, de stabilité et de prévisibilité. Elle leur reproche d’avoir utilisé un seul pilier, l’austérité budgétaire, sans mobiliser les autres. Elle trouve que les Fonds de secours de la zone euro sont insuffisants en ressources et en flexibilité. Pour le cas de la France, elle relève le niveau élevé de la dette publique et la rigidité du marché de travail. Cette dégradation de l’Agence Standard & Poor’s a eu l’effet d’un bombe, dans un climat économique européen malsain, marqué par le problème de la dette souveraine grecque qui n’a pas encore trouvé de solution, et par la difficulté d’alimenter le FESE (Fonds européen de stabilité financière) qui lui aussi a perdu son triple A. Les réactions ne se sont pas fait attendre : Bruxelles considère cette décision comme une « aberration », le Premier ministre français l’estime à contre-temps, le candidat Hollande comme la perte d’une bataille, tandis que l’Allemagne essaie de calmer le jeu, en rappelant que les liens entre tous les pays européens sont très étroits, et que les mesures prises pour résoudre la crise de la dette sont sur la bonne voie.
Les conséquences de cette prise de position de Standard & Poor’s sont multiples. Elles peuvent d’abord être psychologiques dans une Europe qui est en quasi-récession. Plus concrètement, elles peuvent entraîner des baisses des Bourses européennes, et agir sur le climat des affaires. En effet, il est à craindre un relèvement des taux d’intérêt pour les prochains emprunts des pays concernés, qui risque de se répercuter sur les crédits bancaires aux entreprises et aux ménages. Ceci pourrait entraîner une baisse des investissements et de la consommation, et augmenter le taux de chômage. Cependant, ce sont les semaines à venir qui vont nous éclairer. Certains économistes argumentent que les marchés financiers ont déjà anticipé la perte du triple A, et n’envisagent pas de répercussion grave sur les taux d’intérêts et d’activité économique. D’autre part, les Agences de notation Fitch et Moody’s ont maintenu le triple A pour la France. Ces économistes citent aussi comme exemple les Etats-Unis qui malgré la perte du triple A, ont pû emprunter dans de bonnes conditions.
Notre pays le Maroc doit suivre attentivement la situation en Europe qui concentre les 2/3 de nos échanges, investissements, tourisme, transferts financiers. Et ce particulièrement pour la France, qui est notre premier client, fournisseur, investisseur, et pourvoyeur de touristes et de transferts financiers. D’autre part, une détérioration des banques françaises peut avoir des conséquences sur leurs filiales au Maroc. La diversification de nos partenaires économiques devient de plus en plus impérieuse. D’abord en Europe, où nous devrons intensifier nos relations avec l’Allemagne, qui s’érige en première puissance économique européenne, et avec les autres pays est-européens. En dehors de l’Europe, nous devons développer nos échanges avec l’Afrique sub-saharienne, les pays de Golfe, l’Amérique et l’Asie. La réorientation externe de notre économie est un impératif.
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