Forum de Paris à Casablanca
« Le Nouvel Ordre Mondial »
Interview accordée à Finances News le 09/02/2012
Par Jawad Kerdoudi
Président de l’IMRI
Institut Marocain des Relations Internationales
Question : Pensez-vous qu’il existe un ou plusieurs printemps arabes ? Et où se situe le Maroc par rapport à ce qui se passe au Maghreb et au Moyen-Orient ?
Réponse : Le Printemps arabe a eu des causes communes à la fois politiques, économiques et sociales. Sur le plan politique les pays qui ont été touchés étaient tous autoritaires, sans respect des droits de l’homme et des libertés individuelles et collectives. Sur le plan économique, les dirigeants de ces régimes se sont accaparés avec leur famille les richesses du pays, dans un environnement marqué par les abus de pouvoir et la corruption. Enfin sur le plan social, seule une minorité bénéficiait du régime, et une large partie de la population vivait sans dignité dans la pauvreté et la misère. Ceci-dit, chaque pays arabe a eu un changement différencié. Les dictateurs de Tunisie, Egypte, Libye et Yémen ont été demis de leurs fonctions, et remplacées par de nouveaux dirigeants après leur fuite ou leur assassinat. Le cas de la Syrie n’est pas encore réglé, du fait de l’appui de la Russie et de la Chine au dictateur Bachar El Assad, qui mène une répression sanglante contre son peuple. D’autres pays sont en stand by comme l’Algérie, la Mauritanie et les pays du Golfe. Quant au Maroc, il a connu une évolution de son régime politique plutôt qu’une révolution. Suite au mouvement du 20 Février 2011, le Roi a réagi rapidement en procédant à une profonde réforme constitutionnelle et à des élections législatives libres, qui ont porté au pouvoir un parti d’opposition. On peut dire que jusqu’à maintenant le Maroc a bien tiré son épingle du jeu.
Question : On estime qu’un nouvel ordre mondial est en train de naître mais concrètement, l’économique pourrait-il prendre le dessus sur le politique ? Et si nouvel ordre économique il y a, où pourrait-on situer le Maroc ?
Réponse : En effet, un nouvel ordre économique est en train de naître. Il se caractérise principalement par la montée en puissance des pays émergents : Chine, Inde, Brésil, Russie. La Chine est devenue la seconde puissance économique du monde, le Brésil est classé sixième devant le Royaume-Uni et l’Italie, tandis que l’Inde et la Russie occupent la neuvième et la dixième place. De plus, depuis la grande crise financière internationale de 2008, l’économie mondiale est tirée par la croissance des pays émergents. Les Etats-Unis et surtout l’Europe connaissent depuis cette crise des taux de croissance médiocres et mêmes négatifs, ainsi qu’un endettement phénoménal. Le Maroc devant ce grand changement, doit réorienter son économie vers les pays émergents qui représentent l’avenir. Il doit également diversifier ses échanges vers l’Afrique sub-saharienne au sud, les pays du Moyen-Orient à l’Est, et l’Amérique à l’Ouest. Le Maroc doit enfin redoubler d’efforts pour la construction de l’Union maghrébine qui peut seule peser sur la scène internationale.
Question : Sur un autre registre, quelle lecture faites-vous de la visite de Mariano Rajoy au Maroc et la réception d’El Othmani par le Roi Juan Carlos ?
Réponse : Les relations maroco-espagnoles sont compliquées. Beaucoup de questions posent problème entre les deux pays. Sur le plan politique, la question des villes marocaines Sebta et Melilia est dans l’impasse. Les espagnols refusent d’en parler, et le Maroc la met pour le moment en stand by. Sur la question du Sahara, la position du gouvernement espagnol est mitigée, tandis que la société civile espagnole apporte un grand appui au Polisario. Sur le plan économique, l’Espagne tente de faire rejeter par le Parlement européen l’Accord agricole entre le Maroc et l’Union européenne pour protéger ses producteurs de fruits et légumes. Sur le plan de la pêche, c’est l’Espagne qui est demanderesse pour permettre à sa flotte de pêche artisanale d’opérer dans les eaux territoriales marocaines. Enfin, il ne faut oublier que prés d’un millier d’entreprises espagnoles opèrent au Maroc, et que plus de 700.000 immigrés marocains résident en Espagne. Tout cela permet de penser que les deux gouvernements marocains et espagnols vont tenter de trouver des solutions aux problèmes bilatéraux afin d’éviter un nouveau clash.
Question : On nous parle souvent du coup du non-Maghreb, sommes-nous en phase de dépasser ce blocage vu que des contacts ont été pris récemment entre les deux pays ?
Réponse : Des études sérieuses ont montré que le coût du non-Maghreb est évalué à une perte de deux points de PIB par chaque pays le composant. En effet, les synergies sont évidentes entre par exemple le Maroc et l’Algérie. Cette dernière est riche en ressources énergétiques (pétrole et gaz) alors que le Maroc en est dépourvues. L’économie marocaine est plus forte que l’algérienne en matière d’agriculture, d’industries de transformation, de tourisme. La fermeture de la frontière terrestre entre le Maroc et l’Algérie bloque également toute exportation par voie terrestre du Maroc vers la Tunisie et la Libye. Certes depuis le Printemps arabe, les relations bilatérales se sont réchauffées entre l’Algérie et le Maroc. Mais pour le moment rien de concret n’a été fait sur les deux grands questions qui divisent les deux pays : l’ouverture de la frontière terrestre, et le problème du Sahara. Des élections législatives vont avoir lieu en Algérie au printemps prochain. Nous allons voir aux résultats de ces élections s’il y aura un véritable changement politique chez notre voisin, ou si le système actuel va perdurer.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI