Quelle stratégie pour lutter contre les défis sécuritaires au Sahel ?
Par Jawad Kerdoudi
Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Le Sahel est une bande au sud du Sahara de 8,7 millions de km2 qui va de l’Atlantique à la Mer rouge. Elle recouvre entièrement ou en partie une dizaine de pays : Sénégal, Mauritanie, Mali, Algérie, Burkina Faso, Niger, Tchad, Soudan, Cap vert. Elle est caractérisée par un climat désertique, une faible densité de population, et une extrême pauvreté. Elle ne connaît pas encore de transition démographique, et on y dénote une grande mobilité des habitants et des flux migratoires incessants. Elle connaît enfin une grande instabilité politique et des défaillances économiques entraînant un chômage élevé et des crises alimentaires régulières.
Depuis une dizaine d’années, la situation au Sahel souffre de plusieurs fléaux. Tout d’abord la criminalité économique, marquée par le trafic d’armes et de drogues dures (cocaïne et héroïne), provoquant un fort mouvement de blanchiment d’argent. Plus grave encore, elle est marquée depuis 2003 par des actes terroristes et des enlèvements surtout d’européens, donnant lieu au versement de fortes rançons. Cette situation provoque un grand nombre de réfugiés et de déplacés, et a été aggravée par les conséquences du Printemps arabe. En effet, surtout depuis la chute de Kadafi, beaucoup d’armes ont pénétré dans la région dont des missiles et des roquettes. Ceci a encouragé des rebellions armées, dont notamment en Avril 2012 la rébellion Touareg au Nord du Mali, qui a proclamé d’indépendance de l’Azwad par le MNLA. Ce dernier a été supplante début Juillet 2012 par les Islamistes Ansar Dine, qui ont pour objectif d’instaurer la « charia » dans le Nord du Mali, et qui ont commencé à détruire les mausolées des Saints musulmans à Tombouctou et GAO.
Les acteurs de la détérioration de la situation au Sahel sont tout d’abord l’AQMI (Al Qaida pour le Maghreb Islamique) qui est estimée entre 500 et 1.000 jihadistes qui poursuivent un motif idéologique, à savoir l’instauration d’un Etat islamique au Maghreb. A cela s’ajoutent des groupuscules également islamistes tels que Ansar Dine au Mali et Boko Haram au Nigeria. Se mêlent à ces combattants, des brigands et des bandits qui ne recherchent eux que le profits qu’ils peuvent tirer des opérations qu’ils sous-traitent principalement pour l’AQMI.
Il n’y a pas de stratégie commune de la communauté internationale pour lutter contre ces défis sécuritaires au Sahel. Chaque Etat étranger poursuit des objectifs propres conformes à ses intérêts. L’Arabie Seoudite et Qatar agissent surtout par des aides financières, pour promouvoir un Islam rigoureux (wahabisme) en lieu et place de l’Islam tolérant qui a toujours existé en Afrique sub-saharienne. L’Algérie tente de se positionner en leader dans la région du Sahel, et s’oppose à toute intervention militaire étrangère, notamment française. Elle cherche par contre l’appui des Etats-Unis et du Royaume-Uni pour renforcer son leadership. Elle réduit son action de lutte collective aux « pays du champ » : Algérie, Mali, Niger et Mauritanie. En 2009, elle a créée le CEMOC qui est le Conseil des Chefs d’Etat-Major des armées des pays du champ. En Avril 2010, le CEMOC a établi la Comité d’Etat-major opérationnel conjoint à Tamarasset. Présidé par le Mali, le CEMOC a tenu une réunion à Bamako en Avril 2011, et en Novembre 2011 sa présidence est passée à la Mauritanie.
Le Maroc n’est pas resté inactif devant cette situation au Sahel qui constitue une menace pour ses provinces sahariennes. Le Maroc est actif à la Conférence multinationale des Etats africains riverains de l’Atlantique qui regroupe 22 pays. Il a participé en Octobre 2010 à la Conférence sur la sécurité au Sahel à Bamako, qui a été boycotté par l’Algérie. Il a enfin réuni en Juin 2012 à Rabat le GEN-SAD : Comité des Etats Sahélo-sahariens qu’il tente de dynamiser davantage.
La France de son côté ne veut pas perdre son influence au Sahel, pour protéger ses intérêts économiques et notamment l’exploitation de l’uranium au Niger, dont elle a absolument besoin pour alimenter son industrie nucléaire. Elle a procédé militairement à des opérations conjointes avec certains pays du Sahel, notamment pour la libération des otages français. Elle se trouve cependant dans une situation inconfortable du fait de son passé colonial.
Les Etats-Unis qui demeurent encore une hyper-puissance et qui sont soucieux de la stabilité de cette région, ont créé en Octobre 2008 l’AFRICOM (United States African Command) fort d’un effectif de 3600 militaires stationnés à Stuttgart en Allemagne. Ils désirent sans succès jusqu’à maintenant, de transférer le siège de l’AFRICOM dans un pays africain. Ils agissent surtout sur le plan technique en fournissant un encadrement et des renseignements aux armées nationales, notamment par le vol de drones sur la région.
Quant à l’Union européenne, elle a établi une stratégie basée sur des actions préventives, notamment pour la lutter contre la pauvreté et la famine, la mobilisation des élus locaux et de la société civile, et une aide financière évalué à 430 Millions de $. La Chine n’intervient pas directement au Sahel, mais mène de son côté un politique active de rapprochement avec l’Afrique dans le cadre des Sommets Afrique/Chine. La Chine est particulièrement intéressée par les richesses minières de l’Afrique, dont le pétrole et le gaz.
Devant la situation tragique qui prévaut au Sahel, l’ONU dont c’est la mission, doit prendre à bras le corps cette épineuse question, et coordonner l’action des Etats concernés. Elle doit notamment autoriser une opération armée de la CEDEAO au Nord du Mali, seul capable d’arrêter les rebelles islamistes. Il existe une menace de « Talibanisation » de toute cette région. La coopération Sud-Sud doit être non restrictive et impliquer les dix pays du Sahel, notamment par l’échange de renseignements et les opérations conjointes. L’Algérie doit élargir le CEMOC à tous les pays concernés, et notamment au Maroc. L’aide de l’Occident (Etats-Unis et Europe) est très utile, car il dispose de moyens techniques sophistiqués pour le renseignement et l’encadrement militaire, sans oublier l’aide au développement qui est une composante essentielle pour rétablir la paix et la prospérité dans cette région. Un signe encourageant a été donné par l’Algérie en convoquant le 9 Juillet 2012 à Alger la réunion des Ministres des Affaires étrangères de l’UMA pour examiner les menaces à la sécurité du Maghreb, et définir les grands axes de coopération dans ce domaine.
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