Crise financière internationale :
Quels effets sur les économies en développement ?
Par Jawad Kerdoudi Président de l’IMRI « Institut Marocain des Relations Internationales »
L’économie mondiale a été frappée en Automne 2008 par une crise financière considérée comme la plus grave depuis la grande dépression de 1929. Les causes de cette crise sont maintenant cernées. Le déclenchement de la crise est parti des Etats-Unis où une politique aberrante de crédit immobilier a été mise en place (Subprimes), consistant à accorder des crédits à des personnes insolvables, en se basant sur une hausse continue du marché immobilier. Cette crise est née également de la dérégulation du système financier international, en se basant sur le « Consensus de Washington », qui prônait que le marché peut tout, que l’autorégulation est automatique, et que l’Etat est incapable de soutenir efficacement la croissance. Cette dérégulation a entrainé la naissance de Fonds spéculatifs (Hedge Funds), qui n’obéissent à aucune règle, et à des Agences de notation, qui ont failli à leur mission essentielle basée sur l’objectivité et la prudence.
L’imagination très productive des spécialistes financiers a mis également sur le marché des produits financiers complètement opaques, avec des taux de profits apparents très élevés, qu’on désignera par la suite de produits « toxiques ». La mondialisation avec la libre circulation des capitaux entre les pays développés, a entrainé la dissémination de ces produits toxiques à travers toute la planète. Enfin durant la dernière décennie, un climat euphonique s’est emparé du système financier international, basé sur la recherche du profit maximum et sur une spéculation effrénée.
La crise financière internationale qui a coûté selon certaines estimations 4.000 milliards de $, a eu un impact différent selon les pays. Les premiers touchés fûrent les pays développés : Etats-Unis, Europe, Canada, Australie, Japon. Cette crise se manifesta dans ces pays par des faillites de banques et d’institutions financières, la baisse d’activité commerciale et industrielle, la montée du chômage. On peut citer à titre d’exemple la baisse de 6% du PIB aux Etats-Unis pendant le premier trimestre 2009, où encore la récession de 6% prévue en 2009 en Allemagne et 3 % au Japon. L’impact sur les pays en développement fût encore plus grave, puisque le communiqué commun FMI/Banque mondiale, diffusé à l’issue de la réunion commune des deux institutions internationales les 25 et 26 Avril 2009, indique : « L’économie mondiale s’est considérablement détériorée depuis Octobre 2008. Cette évolution a des conséquences particulièrement graves dans les pays en développement, où la crise financière et économique se transforme en catastrophe humaine et en désastre au plan du développement ».
L’impact de la crise financière sur les pays en développement n’est pas uniforme, du fait qu’on peut classer schématiquement les pays en développement en trois catégories. Une première catégorie regroupe les pays « émergents », où on pourrait classer la Chine, l’Inde, le Brésil et les pays pétroliers du Golfe. Une deuxième catégorie de pays « intermédiaires » pourrait comprendre l’Afrique du Nord et du Sud, l’Amérique latine, et les pays du Moyen-Orient non producteurs de pétrole tels que l’Egypte et la Jordanie. Enfin les pays vraiment « sous développés » se retrouvent principalement en Afrique sub-saharienne, en Asie du Sud, et en Amérique Centrale.
Tous les pays en voie de développement vont subir à un degré plus ou moins élevé la chute des investissements directs étrangers (IDE), la baisse du tourisme et des exportations, la baisse des transferts des migrants, la tension sur les taux d’intérêt et de changes, enfin la fuite des capitaux. C’est ainsi que les institutions internationales prévoient une croissance nulle en 2009 pour les pays en développement en dehors de la Chine et de l’Inde, alors qu’ils ont connu une croissance moyenne de 4,6 % en 2008. Certes, les pays émergeants et intermédiaires vont subir l’impact négatif de la crise financière internationale, mais ils ont déjà lancé des plans de relance globaux ou ciblés, et leur économie va continuer à croitre en 2009. Ces pays, du fait de leur faible engagement financier à l’international, ou du contrôle des changes existants, ont pu préserver leur système financier national. C’est le cas par exemple de la Chine et de l’Inde qui connaitront une croissance de 4 à 5 % en 2009, ou du Maroc qui grâce à une campagne agricole exceptionnelle prévoit une croissance de 6 % en 2009.
Les pays en développement les plus touchés par la crise financière internationale sont l’Afrique sub-saharienne, l’Asie du Sud et l’Amérique Centrale. On prévoit pour ces pays que 55 à 90 millions de personnes vont tomber sous le seuil de la pauvreté en 2009. Les objectifs de développement du millénaire (ODM) décidés en 2000 par l’ONU, ne seront pas réalisés. Rappelons que ces objectifs ont pour but de réduire de 50 % la pauvreté d’ici 2015, de faire reculer les pandémies, la mortalité infantile et l’illettrisme. Ils prévoient également l’instauration de l’égalité des sexes, l’amélioration de la santé maternelle, et la protection de l’environnement. Les investissements directs étrangers vont baisser drastiquement dans ces pays. On peut citer l’exemple du Mozambique, où des projets de raffinerie, d’usines chimiques et de centrales électriques sont arrêtés, faute de financement. La baisse des prix des matières premières va se répercuter par une baisse de revenus de 20 % au Tchad, de 16% au Congo et de 15% au Niger. La baisse des transferts des migrants va également être catastrophique pour certes pays. En Colombie, on note déjà une baisse des transferts de 15% au premier trimestre 2009. On craint également des baisses de transferts en Amérique latine et Caraïbes qui ont reçu 69,2 milliards de $ en 2008, soit 12 % du PIB. Plus grave encore est le cas de Haïti qui a reçu 1,8 milliards de $ en 2008, soit 1/3 de son PIB. Une note positive cependant pour Cuba, qui a reçu 1 milliard de $ en 2008, et qui prévoit 1,4 milliard en 2009, du fait de la fin des restrictions, décidée par le Président Obama. L’inégalité dans les pays en développement accroit la pauvreté. C’est ainsi que le BIT a recensé 75 millions de travailleurs pauvres (-2 $/jour), dont les 2/3 sont en Afrique et en Asie du Sud. Autre inconvénient, les pays en développement ne disposent pas de filet social. C’est ainsi que les dépenses sociales représentent 14,2 % du PIB dans les pays développes, alors qu’elles ne représentent que 2,8 % en Afrique sub-saharienne et 2,2 % en Asie-pacifique. Cela veut dire dans la plupart des pays en développement, qu’il n’y a pas d’indemnité de chômage, pas d’emploi de substitution, pas de formation et pas de couverture sociale.
Un autre impact négatif de la crise financière internationale peut avoir des conséquences graves sur la microfinance. Ce type de crédit qui a pour objet de mettre fin à l’apartheid bancaire, constitue actuellement près de 50 milliards de $ dans le monde, et bénéficie à 100 millions des clients (ou 700 millions de personnes). Le danger, est que la microfinance est financée majoritairement par des devises fortes, alors que les crédits sont accordés en monnaie locale. Il y a risque, si la monnaie locale dévalue beaucoup, que les fonds provenant de l’extérieur se tarissent. Du fait de la crise économique mondiale entrainant la baisse des transferts des migrants et la baisse de l’activité, certaines institutions de microfinance constatent une détérioration du taux de remboursement, qui est passé de 2% en 2008 à 4 % début 2009. La microfinance étant d’une importance primordiale dans les pays sous-développés, il y a lieu de trouver des solutions pour augmenter les fonds propres des institutions de microfinance, et de trouver des mécanismes de couverture de risques. Enfin, l’impact le plus grave de la crise financière internationale, souligné par le Secrétaire Général de l’ONU Ban Kimon, est que la crise financière se transforme en crise économique, puis humanitaire, avec menace sur la paix et la sécurité dans le monde. L’extrême pauvreté peut déstabilises un Etat, comme c’est le cas de la Somalie avec les pirates de mer, le Zimbabwe avec l’extension du choléra, ou le Soudan avec la grave crise humanitaire du Darfour.
Depuis le déclenchement de la crise, la communauté internationale a réagi énergiquement. De multiples sommets, réunions et conférences ont eu lieu pour parer à ses graves conséquences. Rappelons que la réunion du G20 à Londres le 2 Avril 2009 a mis en œuvre 1.100 milliards de $ en faveur des institutions internationales, en particulier le FMI. Le G20 a également préconisé le renforcement de la régulation financière, en réglementent les Hedge Funds et les Agences de notation, et en s’attaquant aux paradis fiscaux. Il a également préconisé de réformer les institutions internationales, en les rendant plus représentatives et plus efficaces. Cette dernière proposition à d’ailleurs été reprise par le Secrétaire général de l’ONU, qui a insisté sur la réglementation et la supervision du système financier international, la mise en place de mécanismes au niveau de l’ONU de surveillance de la vulnérabilité et d’alerte de l’économie mondiale, l’orientation vers le développement durable (New Deal Vert), et enfin la lutte contre la montée du protectionnisme. Il a insisté sur la réforme de la gouvernance économique mondiale (FMI, Banque mondiale, OMC, CNUCED), afin qu’elle puisse jouer son rôle de coordination des politiques économiques, de maintien des flux d’échanges internationaux, et de protection des plus pauvres des effets de la crise. Plus concrètement, la réunion commune du FMI et de la Banque mondiale des 25 et 26 Avril 2009 a mis en place deux nouveaux programmes en faveur des pays en développement. L’INFRA : nouveau programme d’appui aux infrastructures existantes ou nouvelles et l’IFC : initiative nouvelle du groupe de la Banque mondiale ciblant les investissements dans le secteur privé.
L’INFRA est doté d’un budget de 55 milliards de $ sur 3 ans, et a pour objet le financement des infrastructures dans le pays en développement. Le choix des infrastructures a été motivé par la création d’emplois, l’accélération de la productivité, la croissance économique et la réduction de la pauvreté. Sont visés notamment les investissements dans l’approvisionnement en eau, l’assainissement, l’énergie, les transports et la télécoms.
Quant à l’ICF, doté d’un budget de 10 milliards de $, elle vise des projets d’investissement viables, financées par le secteur privé ou en partenariat public-privé. La France et l’Allemagne ont déjà signé le Protocole de l’ICF en fournissant respectivement 1,3 milliard de $ par l’intermédiaire de Proparco, et 660 M de $ par KFW. Le FMI et la Banque mondiale n’ont pas manqué de souligner l’insuffisance de ces deux programmes en comparaison des besoins de financement des infrastructures d
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI