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Victoire de l’opposition égyptienne :
Un coup dur pour les Islamistes

Par Jawad Kerdoudi
Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)

Rappelons brièvement les principales étapes de la Révolution égyptienne. Après le déclenchement de Printemps arabe en Tunisie, et dès le 25 Janvier 2011 les protestants anti-Moubarak investissent la place Tahrir au Caire. Le 11 Février de la même année Houssni Moubarak démissionne de son poste de Président de l’Egypte. De nouvelles manifestations ont lieu le 8 Avril toujours à la place Tahrir, tandis que le 12 Avril Hosni Moubarak et ses deux fils sont arrêtés. Le pouvoir ayant été confisqué par l’Armée, de nouvelles manifestations ont eu lieu le 9 Septembre réclamant le départ des militaires. Il s’en suit le 10 Novembre la démission du gouvernement dirigé par le maréchal Tentaoui et la mise en place d’un gouvernement de « salut national ». Le 24 Mars 2012 les islamistes remportent 65% des sièges de l’Assemblée constituante. Enfin les élections présidentielles dont le second tour a eu lieu les 16 et 17 Juin 2012 ont consacré la victoire de Mohamed Morsi Président du Parti de la liberté et de la justice, une formation politique issue des Frères musulmans.

Dans les premiers mois de sa présidence, Morsi essaye de cohabiter avec les militaires, mais en Août 2012 il réussit à destituer le Chef de l’armée de maréchal Tentaoui et s’attribue certains pouvoirs législatifs, le Parlement ayant été dissous par une décision confirmée par la Haute Cour Constitutionnelle. Sur le plan économique, l’Egypte connaît de graves difficultés provoquées en particulier par la chute du tourisme et par l’effondrement des investissements étrangers. Cette crise a amené le gouvernement égyptien à prendre des mesures d’austérité comme la réduction des subventions sur le gaz butane et l’électricité. L’Egypte a en outre demandé au FMI un prêt de 4,8 Milliards de $ pour l’aider à surmonter la crise et lutter contre l’aggravation du déficit budgétaire. Le gouvernement a aussi institué des hausses de taxes sur certains produits comme l’acier, le ciment, les sodas, la bière et les cigarettes. Mais ces hausses ont été annulées par le Président Morsi qui a demandé au Premier Ministre d’ouvrir un dialogue social sur ces mesures afin de ne pas alourdir le fardeau sur les citoyens. Le 22 Novembre 2012, il va beaucoup plus loin sur le plan politique en promulguant une déclaration constitutionnelle qui lui confère la possibilité de légiférer par décret, et d’annuler des décisions de justice déjà en cours. C’est ainsi qu’il tente de concentrer entre ses mains les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Parallèlement, il fait établir par l’Assemblée constituante où dominent les islamistes, une nouvelle Constitution contenant des articles contradictoires pour la liberté de conscience, limitant les libertés syndicales et de la presse, menaçant l’égalité entre hommes et femmes et les droits des minorités. Par contre, le projet de Constitution maintient les principales prérogatives de l’Armée, les islamistes voulant s’assurer de son soutien en cas de besoin. Le texte de la Constitution lui ayant été présenté le 1er Décembre 2012, le Président Morsi décide d’organiser selon la loi un référendum le 15 Décembre 2012.



Dès la publication de la déclaration constitutionnelle du 22 Novembre 2012, des manifestations ont eu lieu à la place Tahrir dénonçant le coup de force du Président, et reprenant les anciens slogans contre Moubarak " Dégage " et " Le peuple veut la chute du régime ". Les manifestants sont allés jusqu’à incendier le siège des Frères musulmans à Alexandrie. Se sont ligués contre la déclaration constitutionnelle outre les juges, les révolutionnaires libéraux, les nostalgiques de l’ancien régime, et d’éminents théologiens musulmans. Les opposants ont uni leur action dans le cadre du Front national par la justice et la liberté, et le Front du salut national présidé par le prix Nobel de la paix Mohamed El Baradei. Devant l’ampleur des manifestations devant le Palais présidentiel dans la nuit du 5 au 6 Décembre 2012, qui ont malheureusement causé sept morts et des centaines de blessés, le Président Morsi a annulé le 8 Décembre 2012 la déclaration constitutionnelle, mais a maintenu la date du référendum au 15 Décembre 2012. Le même jour l’Armée a diffusé un communiqué appelant au calme, et a été chargé par le Président Morsi de maintenir l’ordre jusqu’au référendum du 15 Décembre 2012. L’Armée retrouve grâce à ces circonstances un rôle d’arbitre entre les islamistes et les libéraux.



On ne peut que se réjouir de cette victoire de l’opposition qui a réussi à faire annuler la déclaration constitutionnelle du 22 Novembre, et qui exige le report du référendum prévu le 15 Décembre 2012. En fait, la révolution dite de « Tahrir » de Janvier 2011 qui a provoqué la chute du régime dictatorial égyptien, ne préfigurait en rien une prise de pouvoir islamiste. Cette révolution populaire et spontanée n’avait ni leader, et ni d’autre programme que l’instauration d’un État de droit minimal pour tous les Égyptiens. Cette révolution a été confisquée par le seul parti organisé : celui des Frères musulmans qui tissait sa toile militante depuis les années 1980. Morsi n’a été élu Président que du fait de la faiblesse de la participation aux élections et la dispersion des libéraux. La réaction de l’opposition égyptienne à la déclaration constitutionnelle montre la lucidité du peuple égyptien et son aspiration à une véritable démocratie et à l’Etat de droit.



On retrouve la même situation en Tunisie, et dans une moindre mesure au Maroc, où le Printemps arabe a enfanté la victoire des islamistes, seule force politique organisée qui guettait depuis des décennies l’occasion de prendre le pouvoir. Aussi, il appartient aux vrais démocrates modernistes qu’ils soient de droite ou de gauche de ne pas baisser les bras, et de lutter pour qu’à moyen terme l’alternance politique soit possible. L’effort sera rude, car il s’agit par une vigoureuse politique de proximité avec le peuple, de le reconquérir. La tâche est immense mais non impossible.

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