Coupe des investissements publics : Une mesure opérante mais inopportune
Par Jawad Kerdoudi
Consultant Economiste
(Institut Marocain des Relations Internationales)
Le gouvernement marocain a décidé le 4 Avril 2013 une coupe de 15 milliards de dirhams d’investissements publics. Cette coupe représente 25,3% du programme d’investissements prévu par la loi de finances 2013. Elle a été décidée par décret sans consultation du Parlement en vertu de l’article 45 de la loi organique des finances. Le gouvernement a expliqué cette coupe par le risque de dérapage du déficit public en 2013, après avoir réalisé un déficit de 7,1% du PIB en 2012. Ce risque provient de la baisse de 3,3 milliards de dirhams des recettes fiscales constatées au premier trimestre 2013, et du report d’investissements publics antérieurs qui a été chiffré à 21 milliards de dirhams. En effet, la crise économique qui sévit en Europe qui est notre principal débouché, a impacté l’activité au Maroc et en conséquence les bénéfices des entreprises en donc le niveau de l’IS. Quant au cumul des reports d’investissements antérieurs, il provient d’une mauvaise gestion budgétaire, et de l’incapacité des ministères à réaliser à temps la totalité de leurs objectifs d’investissements.
Avec cette coupe, le gouvernement espère réduire le déficit budgétaire à 5,5% du PIB en 2013, et ainsi préserver l’image de l’économie marocaine auprès des instances internationales avec un taux de croissance de 4,8% et un déficit public relativement maîtrisé. Le gouvernement espère malgré cette coupe maintenir les investissements publics en 2013 entre 45 à 48 milliards de dirhams comme l’année dernière, et compte sur les entreprises publiques pour augmenter le taux d’investissements national.
Certes, cette mesure est opérante dans la mesure où celle va contribuer à réduire le déficit public en 2013. Cependant, elle est inopportune dans la mesure où la croissance de l’économie marocaine est fonction principalement de la consommation et de l’investissement. Or d’après la répartition de la coupe des investissements, elle touche des ministères productifs tels que l’agriculture et la pêche (-2,2 milliards) l’équipement et le transport (-1,7 milliard) l’énergie et les mines (-1,5 milliard). Quoique qu’en dise le gouvernement, cette coupe va se traduire par une baisse des marchés publics et donc de l’activité et de l’emploi. Le gouvernement assure que cette coupe ne touchera pas le programme d’investissements 2013, mais indique d’autre part que les investissements qui ont déjà débuté avant 2013 seront épargnés. D’autre part, les ministères sont chargés de définir des priorités, ce qui suppose qu’ils vont abandonner les projets jugés non prioritaires.
Une autre alternative se présentait au gouvernement pour la réduction des dépenses publiques de 15 milliards de dirhams : c’est la réforme de la Caisse de compensation. Rappelons que cette Caisse a été instaurée dès 1941 pour réguler les prix des produits de base. Elle intervient actuellement sur les produits suivants : hydrocarbures, gaz butane, farine, et sucre. Au fil des années, c’est un système qui s’est perverti pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les consommateurs ne paient pas le prix réel mais un prix compensé par la Caisse, d’où la tendance à ne pas économiser l’usage de ces produits. L’autre inconvénient est qu’il est applicable à toutes les couches de la société, même les plus riches. Des calculs ont montré que 20% des ménages les plus aisés profitent de 75% des subventions. D’autre part, tous ces produits sont importés pour la totalité (hydrocarbures et gaz butane) ou en grande partie (céréales et sucre), d’où de très fortes fluctuations de prix en fonction du marché mondial et la difficulté de faire des prévisions précises. Enfin et c’est le plus grave, le déficit de la Caisse de compensation a atteint des sommets, avec 55 milliards de dirhams en 2012 et des prévisions de 68 milliards de dirhams en 2013. Ces montants qui dépassent le budget d’investissement de l’Etat sont la principale cause de déficit budgétaire.
Durant les cinq dernières années les gouvernements qui se sont succédés, conscients du danger que présente la Caisse de Compensation pour l’équilibre budgétaire, ont procédé à plusieurs études mais n’ont pris aucune décision. La solution la plus adéquate et qui a été appliquée dans d’autres pays (Brésil) consiste à libérer progressivement les prix des produits compensés, et verser une indemnité pour les personnes les plus démunies sous condition (scolarisation des enfants). Le gouvernement actuel dirigé par le PJD a semblé adopter cette solution, mais a reculé en la reportant à l’année prochaine. Il est vrai aussi que l’opposition n’a pas jouer le jeu, en accusant le PJD de vouloir grâce aux indemnités versées aux plus démunis, récupérer des électeurs aux prochains élections communales.
La réforme de la Caisse de compensation aurait dûe être réalisée dès cette année. D’ailleurs, le gouvernement actuel avait déjà commencé cette réforme en augmentant le prix des hydrocarbures en Juin 2012. La baisse des dépenses publiques de 15 milliards de dirhams correspond à 22% des prévisions budgétaires de la Caisse de compensation pour 2013. Il aurait été possible, si tous les partis politiques en avaient la volonté, d’augmenter légèrement les prix des produits compensés pour faire l’économie des 15 milliards de dirhams, et de verser une indemnité ciblée sous condition. Certes, le ciblage de la population est une mesure délicate, mais il est possible en s’entourant de toutes les précautions nécessaires et en prenant l’exemple de Ramed. De toutes façons, quelque soit le ciblage qui sera fait, il sera nécessaire de l’améliorer par la suite au vu de l’expérience. La réforme de la Caisse de compensation est actuellement indispensable, d’autant plus qu’elle est réclamée par les instances internationales qui nous apportent leur appui (FMI). S’agissant d’une question nationale, tous les partis politiques et également la société civile doivent unir leurs efforts pour la réaliser le plus rapidement possible.
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