Printemps arabe : Espoirs et réalités
Par Jawad Kerdoudi Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Le FORUM IMRI CASABLANCA s’est déroulé les 24 et 25 Mai 2013 sur le thème « Printemps arabe : Espoirs et réalités ». Ce thème a été choisi parce que le monde arabe a connu depuis 2011 des évènements extraordinaires qui ont fait nourrir beaucoup d’espoirs, mais qui se sont heurtés à de dures réalités. Les objectifs du Printemps arabe étaient l’instauration de la démocratie et le respect des droits de l’homme, la réduction des inégalités sociales, le développement culturel économique et social, la lutte contre la corruption et l’économie de rente, et l’instauration de la bonne gouvernance.
Trois ans après le déclenchement du Printemps arabe, quel diagnostic peut-on faire ?
Sur le plan de la démocratie et du respect des droits de l’homme, des avancées ont été réalisées. C’est ainsi qu’on a assisté à la chute des dictatures en Egypte, Libye, Tunisie, Yémen. D’autres pays arabes comme le Maroc ont fait des réformes politiques, telles le changement de la Constitution et l’organisation d’élections libres et transparentes. Le champ des libertés individuelles et collectives s’est considérablement élargi. Les populations arabes dans certains pays ont accédé à la citoyenneté et à la dignité, au lieu d’être considérés comme des sujets au service du pouvoir en place. Les droits de l’homme ont également progressé dans les pays qui ont connu des changements politiques. Mais force de constater que certains pays arabes n’ont connu aucun changement politique. Un point noir reste celui de la Syrie où non seulement il n’y a pas de démocratie, mais où les droits de l’homme sont quotidiennement violés. Même dans les pays où il y a eu des changements politiques, ce sont les partis islamistes qui ont gagné les élections. On peut se demander si ces partis vont réellement respecter le jeu démocratique, donner sa place à l’opposition, et accepter l’alternance lors de futures élections. Une menace tout particulière provient de la part des mouvements salafistes qui sont peu soucieux de démocratie et de droits de l’homme (égalité homme-femme), et qui sont particulièrement virulents en Egypte et en Tunisie.
En ce qui concerne le développement culturel peu de progrès ont été réalisés, notamment au niveau de l’éradication de l’analphabétisme et la dissémination de la culture dans les quartiers populaires. On a assisté à une tentative des partis islamistes au pouvoir de domestiquer le secteur audio-visuel public, en vue d’introduire plus de religion, et de laisser une moindre place aux langues étrangères. Pour ce qui est de la lutte contre la corruption, l’économie de rente, et la mauvaise gouvernance, les nouveaux pouvoirs ont montré de la bonne volonté pour éradiquer ces fléaux, mais avec peu de résultats concrets pour le moment. Le plus inquiétant est la situation économique dans certains pays arabes du fait de la crise mondiale qui sévit toujours, et des politiques économiques appliquées par les nouveaux gouvernements. Ces derniers pour apaiser le climat social ont développé les effectifs dans l’Administration, et ont maintenu les subventions pour les produits de base entraînant des déficits budgétaires très élevés. La situation économique est particulièrement mauvaise en Tunisie et Egypte qui connaissent un déclin très important dans les arrivées de touristes et l’attraction des investissements étrangers. Ces deux pays ainsi que la Libye connaissent une situation sécuritaire intérieure précaire marquée par des attentats et des troubles peu propices au développement économique.
Face à cette situation préoccupante du monde arabe, quelle a été la réaction de la communauté internationale ?
Le FMI, la Banque Mondiale ainsi que l’Union européenne ont apporté des aides et des crédits pour soulager la situation financières des pays arabes le plus touchés par la crise économique, mais qui se sont avérés insuffisants pour provoquer la relance économique. Quant aux Etats, ils se sont manifestés soit par leur indifférence, soit pour défendre leurs propres intérêts nationaux. Le cas le plus typique est celui de la Syrie où la Russie a défendu depuis le début le régime de Bachar Al Assad, alors que les Etats-Unis et l’Occident en général sont favorables à la rébellion. Cette incapacité de la communauté internationale à résoudre le problème syrien a entraîné jusqu’à maintenant 100.000 morts, des milliers de blessés, et des millions de réfugiés. Les pays du Golfe agissent également dans la crise du monde arabe selon leur propre agenda.
En conclusion, le monde arabe vit actuellement une situation très grave. Il se trouve à la croisée du chemin et risque de devenir « l’Homme malade » de la région Mena. Il ne peut compter que sur lui-même pour trouver une solution à la crise, car les autres Etats sont soit indifférents soit poursuivent leurs intérêts spécifiques. Certes, le monde arabe est très divers avec le Machrek et le Maghreb, les riches pays pétroliers et les pays pauvres, les intérêts divergents, mais il doit se ressaisir sans peine de tomber dans le déclin.
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