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Brésil Suède Turquie
Multiplication des manifestations violentes

Par Jawad Kerdoudi

Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)


Parallèlement aux manifestations récurrentes du Printemps arabe, se multiplient en cette année 2013 des oppositions violentes dans certains pays considérés comme exemples de stabilité et développement.

C’est tout d’abord le cas en Suède pays de la social-démocratie, où le 21 Mai 2013 de violentes manifestations ont embrasé le quartier de Husby dans la banlieue de Stockholm suite au décès d’un homme provoqué par la police. Ce quartier de 12.000 d’habitants dont 85% de la population sont issus de l’immigration, a connu une semaine d’émeutes où des jeunes masqués ont incendié des voitures et attaqué les forces de l’ordre. La police qui a utilisé des propos racistes contre les manifestants a finalement ramené l’ordre.

Le 31 Mai de cette année, ce fût le cas de la Turquie où des manifestants ont protesté à Istanbul pour sauvegarder un jardin public et empêcher la construction en plein centre ville d’une caserne militaire et d’un important projet immobilier. Les forces de l’ordre ont utilisé les camions à eau, les gaz lacrymogènes, et les balles en caoutchouc pour déloger les manifestants du parc Gezi. La fronde qui a duré trois semaines s’est étendue à tout le pays et a causé la mort de 4 personnes, 8.000 blessés et 5.000 arrestations.

Enfin le 10 Juin 2013, c’est la ville de Rio de Janeiro, la ville charismatique du Brésil, qui s’est enflammée pour protester contre l’augmentation du tarif des transports publics. Les manifestants ont duré deux semaines et ont touché plusieurs villes dont la capitale brésilienne Brasilia avec une attaque le 20 Juin du Ministère des Affaires Etrangères. La grande métropole Sao Polo a connu également des émeutes, où 35000 manifestants ont exprimé leur mécontentement. D’après un sondage 75% des Brésiliens sont favorables à ces manifestations qui ont mobilisé 1,25 million de personnes.

On ne peut qu’être inquiets que toute ces manifestations violentes ont eu lieu dans un laps de temps très court (moins d’un mois) et pour des raisons relativement futiles. En fait, les causes de cet embrasement sont plus profondes. Dans le cas de la Suède la raison principale est le délabrement des quartiers périphériques des grandes villes, où vit une population à forte population d’immigrés, souffrant du manque d’infrastructures et du chômage élevé. La solution à mettre en œuvre par les autorités gouvernementales consiste à accentuer l’intégration des populations immigrées dans la société suédoise, à édifier les infrastructures nécessaires, et à développer l’éducation et la formation professionnelle des jeunes afin qu’ils puissent trouver un emploi. Plus généralement le Suède doit promouvoir des politiques tendant à diminuer les écarts de revenus.

Le cas de la Turquie est plus complexe. Voila un pays qui a fait d’énormes progrès économiques et sociaux durant la dernière décennie. C’est la première puissance économique du Moyen-Orient, la septième puissance économique de l’Europe, et la quinzième du monde. Membre du G20 et de l’Union douanière, la Turquie a entamé des négociations d’adhésion avec l’Union européenne en Octobre 2005. Son PIB par habitant en PPA est de 17.500 $. En 2011 elle a connu une croissance économique de 8,5%, soit la plus forte croissance économique d’Europe. Selon une étude de Golden Sachs la Turquie pourrait devenir la deuxième puissance économique d’Europe en 2050. Les manifestations qui ont eu lieu ces dernières semaines ne concernent pas des revendications économiques et sociales, elles sont d’ordre politique. Un bref historique de la Turquie s’impose. L’Empire ottoman « l’homme malade de l’Europe » était à l’agonie au début du XXème siècle. C’est grâce à un homme providentiel Mustapha Kamal Atatürk, que la nation turque a été sauvée, et la République de Turquie instaurée en 1923. Atatürk a voulu extirper l’islam du pays, et a pris deux importantes décisions : en 1928 adoption de l’alphabet latin, et en 1937 la Turquie est officiellement définie comme un Etat laïc. Or en 2002, le parti islamiste AKP est arrivé au pouvoir avec Recyp Tayip Erdogan comme premier ministre. Si l’AKP a fait du très bon travail sur le plan économique, l’opposition turque reproche à Erdogan la personnalisation du pouvoir, son autoritarisme, et ses efforts d’islamisation rampante de la Turquie. L’AKP dispose d’une majorité dans le pays, mais le sort de la Turquie dépendra des prochaines élections législatives qui auront lieu en Juin 2015 si les délais sont respectés.

Le cas du Brésil est également complexe. Ce pays émergent membre des BRICS, a fait des progrès considérables lors de la dernière décennie, et est classé en 2011 la sixième puissance économique mondiale devant le Royaume Uni. Le syndicaliste Luiz Inacio da Silva élu président de la République en 2002 a dynamisé l’économie brésilienne, et a permis à 40 millions de brésiliens de sortir de l’extrême pauvreté, constituant une importante classe moyenne. En 2010 Dilma Rousseff, également membre du parti des travailleurs créé par Lula, a été la première femme élue Présidente du Brésil. Les manifestations qui ont eu lieu ces dernières semaines au Brésil ont eu pour causes la défaillance des services publics, la corruption de la classe politique, et les dépenses somptuaires occasionnées par l’organisation de la Coupe des Confédérations et la Coupe du monde de football en 2014. La Présidente Dilma Rousseff a dit comprendre les motivations des manifestants, et va tenter de donner une réponse à leurs revendications.

En conclusion, la multiplication des manifestations dans le monde en ce début du XXIème siècle peut s’expliquer par plusieurs raisons. Sur le plan politique, les progrès de la démocratie et des libertés, ainsi que le rôle mobilisateur des réseaux sociaux (Facebook) ont facilité la descente en masse dans la rue. La démocratie représentative a montré ses limites, et les partis politiques aussi bien que les syndicats ne peuvent plus canaliser les revendications des masses populaires. Sur le plan économique, le monde libéral est en crise, marqué par les dérives du secteur financier international (crise des subprimes) et par la spéculation qui touche pratiquement tous les secteurs (immobilier, matières premières). D’autre part, la mondialisation a généralisé la pauvreté et l’exclusion créant un sentiment de frustration et de désespoir dans une grande partie de la population. Toutes ces raisons, avec également le déclin des idéologies, sont extrêmement importantes et il y a lieu d’y réfléchir sérieusement pour concevoir un nouveau système de gouvernance du monde.

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