Le Printemps arabe à la croisée des chemins
Par Jawad Kerdoudi
Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Trois ans après le déclenchement du Printemps arabe quel diagnostic peut-on faire ? Remarquons tout d’abord que les causes du Printemps arabe étaient communes : régimes autoritaires ne respectant ni la démocratie ni les droits de l’homme, accaparement des richesses du pays par les dirigeants et leur entourage, généralisation de la corruption et de l’économie de rente, chômage élevé et misère d’une grande partie du peuple. Les manifestants ont protesté avec détermination contre ces méfaits et ont réclamé pour résumer le pain, la liberté et la dignité, et la justice sociale.
Cependant si les causes sont communes, les conséquences du Printemps arabe ont été différentes d’un pays à un autre, tenant compte de ses spécificités. C’est ainsi qu’on peut classer ces pays quatre catégories. Ceux qui ont subi une véritable révolution avec changement de régime, à savoir la Tunisie, l’Egypte et la Libye. Ceux qui ont accompli quelques réformes politiques sans changement de régime, on peut citer le Maroc, la Mauritanie, la Jordanie et l’Algérie. La troisième catégorie concerne les Pays arabes du Golfe qui n’ont pas changé de régime, et n’ont pas fait de réformes politiques. La Syrie occupe la quatrième catégorie qui se caractérise par une véritable guerre civile sans issue pour le moment.
Le Printemps arabe est à la croisée des chemins dans les pays qui ont été les plus touchés. En premier lieu vient l’Egypte qui a vu la victoire des islamistes, la promulgation d’une constitution controversée, et l’élection d’un Frère musulman Morsi à la présidence de la République. L’accouchement du nouveau régime ne s’est pas fait sans douleur, et s’est trouvé confronté à une forte opposition composé des nostalgiques du Président Moubarak, les partis de gauche, les tenants de la laïcité, et tous les déçus de la révolution. Une campagne de rébellion a pu revendiquer 22 millions de signatures, appelant à la démission de Morsi et à l’organisation d’une élection présidentielle anticipée. Des manifestations ont eu lieu partout en Egypte le Dimanche 30 Juin 2013, rassemblant des millions de personnes et réclamant le départ de Morsi. L’armée égyptienne a donné un délai de 48 heures aux forces politiques du pays (les islamistes et l’opposition) pour trouver une solution. A l’heure où cette chronique est écrite, on ne connaît pas l’issue de cet ultimatum.
En Tunisie, les islamistes ont également gagné les élections, formé un gouvernement, et une Assemblée Constituante a été élue. La gestion du pays par les islamistes a été catastrophique. La violence est érigée en stratégie politique, et le parti au pouvoir Ennahda n’hésite pas à donner des signes pour perpétrer des actes de violence contre les opposants. C’est ainsi que le 6 Février 2013 fut assassiné à Tunis Chokri Belaid, avocat et leader de l’opposition laïque. L’Assemblée Constituante à ce jour n’est pas encore parvenue à proposer une nouvelle constitution au peuple. En Libye, la situation est confuse et instable du fait des milices armées qui sèment le trouble dans certaines régions du pays.
Le cas de la Syrie est encore plus dramatique. Une véritable guerre civile oppose le régime sanguinaire de Bachar Al Assad et une opposition désunie et insuffisamment armée. On compte à aujourd’hui plus de 100.000 morts la plupart des civils, des milliers de blessés, et des millions de réfugiés. La situation est très compliquée du fait de l’attitude des puissances étrangères. La Russie et l’Iran soutiennent le régime de Bachar Al Assad, et l’Occident et les pays Arabes apportent leur appui à la rébellion. La guerre civile est devenue également confessionnelle avec l’opposition acharnée entre chiites et sunnites. On a vu le Hisboallah libanais d’obédience chiite combattre en Syrie aux côtés de l’armée de Bachar Al Assad.
Comment peut-on expliquer que le Printemps arabe ait abouti à cette situation ? La première raison est qu’en Tunisie et en Egypte, les islamistes ont profité de la révolution pour prendre le pouvoir, alors qu’ils n’ont pas été les initiateurs. Par une politique de proximité avec le peuple, et en restant longtemps dans l’opposition aux régimes déchus, ils ont gagné les élections, dès lors qu’elle sont devenues libres et transparentes. Une fois au pouvoir, ils n’ont pas tenu compte des aspirations d’une partie de la population qui réclame la démocratie, la séparation de la religion et de l’Etat, le respect des droits de l’homme et notamment l’égalité homme/femme, et enfin le développement économique et la justice sociale. Les gouvernements islamistes ont été incapables de promouvoir l’économie nationale, en prenant notamment des mesures de confiance vis-à-vis des investisseurs nationaux et étrangers. Les IDE et les touristes ont déserté les pays touchés par le Printemps arabe. Il s’en est suivi un décalage entre le pouvoir et la « rue », et un nouveau paradigme selon lequel la majorité politique n’est plus une garantie de gouvernance. Les récents événements dans le monde arabe ont également montré la vitalité de la société civile qui s’impose de plus en plus sur le champ politique.
En conclusion, on peut affirmer que le Printemps arabe ne fait que commencer, et qu’en tous cas et malgré les défis, on est arrivé à un point de non retour. Mon souhait pour les pays arabes est que s’instaure une véritable démocratie, où les islamistes et les autres parties prenantes puissent coexister en harmonie dans l’intérêt bien compris des peuples.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI