Accord de libre échange Etats-Unis Union européenne : Quelles perspectives pour le monde et pour le Maroc ?
Par Jawad Kerdoudi
Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Les négociations pour la conclusion d’un Accord de libre-échange entre les Etats-Unis et l’Union européenne ont débuté le 8 Juillet 2013 à Washington, et il est prévu de les finaliser en principe en Octobre 2014. Cet Accord de libre-échange a pour objectif de promouvoir les échanges commerciaux et les investissements entre les deux partenaires. Les échanges commerciaux entre les Etats-Unis et l’Union européenne sont déjà importants puisqu’ils se situent autour de 450 milliards d’euros, soit 31% des échanges de la planète. Ils se sont accélérés en 1953 après la seconde guerre mondiale, et plusieurs textes les ont formalisés. On peut rappeler la Déclaration transatlantique de 1990, le nouvel agenda transatlantique en 1995, le Partenariat économique transatlantique de 1998, le Conseil économique transatlantique de 2007, et tout récemment en 2011 le Groupe de Travail Emploi et Croissance.
Le nouvel Accord aura pour principal objectif de supprimer les droits de douane qui sont sauf exception faibles entre les deux partenaires : en moyenne 5,2% pour l’Union européenne et 3,5% pour les Etats-Unis. Il s’agira surtout de supprimer ou de réduire les obstacles non tarifaires, notamment les règlements et normes imposés à l’importation, afin de simplifier les formalités administratives. Des études ont montré que la conclusion de cet Accord fournirait un gain de 115 milliards d’euros à l’Union européenne, 90 milliards d’euros pour les Etats-Unis et 100 milliards d’euros sur le reste du monde. Les Etats-Unis et l’Union européenne représenteront après la conclusion de l’Accord 50% de la production mondiale.
Les négociateurs vont cependant se heurter à des questions sensibles comme la propriété intellectuelle, la protection des données numériques qui a été mise à mal par l’affaire Snowden qui a révélé l’espionnage de l’Europe par l’Agence américaine de renseignements PRISM. En ce qui concerne l’audiovisuel, la France a déjà exclu du mandat européen toute négociation à ce sujet, invoquant l’exception culturelle française. D’autres secteurs vont faire également l’objet des négociations ardues comme l’ouverture des marchés publics où les Etats bénéficient d’une large autonomie par rapport à l’Etat fédéral américain. Enfin le secteur de l’agriculture pose de nombreux problèmes comme l’admission des OGM et de boeuf aux hormones dans l’Union européenne, ou l’exportation de viande de bœuf ou de veau aux Etats-Unis suite à l’embargo contre ces produits du fait de la crise de la « vache folle », sans oublier les obstacles phytosanitaires extrêmement élevés aux Etats-Unis.
Quel impact aura la conclusion de cet Accord sur le monde et sur le Maroc ?
Il est incontestable qu’il va renforcer l’Occident (Etats-Unis et Europe) sur la scène internationale. En effet à partir des années 2000, on a assisté à la montée en puissance des pays émergents notamment les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Il est prévu que les BRICS atteindront 40% du PIB mondial en 2025 et contribueront dès 2015 à 60% de la croissance mondiale. La conclusion de l’Accord de libre-échange entre les Etats-Unis et l’Europe permettra un équilibre avec les BRICS sur la scène internationale à la fois sur le plan politique et économique. L’Afrique ne faisant partie ni du premier ni du second bloc deviendra à coup sûr leur cible prioritaire. Cette thèse et cependant à nuancer du fait que les BRICS n’ont pas d’Accord de libre-échange formel entre eux. La conclusion de l’Accord de libre échange entre les Etats-Unis et l’Union européenne poussera peut-être les BRICS à accroître leur coopération. Dès 2015 et si l’Accord de libre échange entre les Etats-Unis et l’Europe est conclu, il faudra s’attendre à une nouvelle distribution des cartes sur la scène mondiale.
Le Maroc est l’un des rares pays à avoir un Accord de libre-échange avec l’Union européenne et les Etats-Unis. Avec l’Union européenne, le Maroc a un long partenariat qui a commencé en 1969 avec un Accord commercial, qui a donné lieu en 2008 au statut avancé, et qui se continue par les négociations de l’ALECA (Accord de libre échange complet et approfondi) qui va intégrer les services. L’économie marocaine est orientée aux deux tiers sur l’Union européenne au travers de son commerce extérieur, des IDE, du tourisme et des transferts des RME. Avec les Etats-Unis l’Accord de libre échange est plus récent et n’a été mis en vigueur que le 1er janvier 2006. Les échanges commerciaux et les investissements au Maroc en provenance des Etats-Unis sont restés modestes. Certes, l’économie marocaine est hors de proportion avec celle des Etats-Unis et de l’Union européenne. Mais le Maroc doit harmoniser sa législation avec celle des Etats-Unis et de l’Union européenne qui vont beaucoup se rapprocher après la conclusion de l’Accord de libre échange. Le Maroc devrait également développer l’apprentissage de la langue anglaise qui est la langue des affaires aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe. Faisant partie de ce grand ensemble Etats-Unis/Union européenne qui va constituer la moitié de la production mondiale, le Maroc pourrait en bénéficier pour diversifier son commerce extérieur et devenir une plate-forme de production et d’exportation.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI