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Vers la création d’un ministère de l’immigration au Maroc

Mohamed EL OUAHDOUDI
Président Convention France Maghreb

C’est dans le cadre de l’IMRI (Institut marocain des relations internationales), puis lors d’un Ftour débat du Rotary de Casablanca, que les présentes réflexions ont été développées.

Le Maroc gère plutôt bien ses relations avec les diasporas. L’Etat fait preuve d’une remarquable capacité d’adaptation au fil des générations. Son image de pays hospitalier, de destination attractive pour les investissements, de havre de paix pour les touristes et les retraités est reconnue, dans les grandes lignes ; et c’est dans les « détails » que le bât blesse : une administration toujours aussi bureaucratique, une justice à hue et à dia, des concepts d’un autre âge continuent à guider les décisions…

Le Maroc et ses diasporas, une histoire à écrire :

Il y a eu les années de l’immigration ouvrière, et son corollaire, l’expatriation de milliers d’étudiants surtout en France, et, dans une moindre mesure, l’exil de centaines d’opposants de toutes obédiences.



La gestion de ces diasporas combinait les trois modes de « gouvernance » de l’époque des années soixante dix aux années quatre vingt : paternalisme et protection de l’immigration ouvrière, à qui l’Etat promettait un retour glorieux pour faire bénéficier le pays de son savoir faire et de ses capitaux, si modestes soient ils ; sélection parmi les étudiants les moins « intégrés » dans les pays d’accueil, de ceux qui avaient le profil de l’administration marocaine ; et enfin surveillance et intimidation des opposants, sans franchir la ligne rouge, comme l’a fait le régime tunisien de Benali qui a privé de leurs passeports des nationaux en opposition.



Les départs de milliers de Juifs marocains, souvent déracinés de leurs villages et de leurs quartiers un peu partout au Maroc deviendra au fil du temps un sujet tabou, évoqué de manière dramatique par celles et ceux qui l’ont vécu dans leur chair. Le conflit israélo-palestinien forme encore l’horizon indépassable qui empêche toute réflexion sur le destin de ces communautés marocaines, vivant aujourd’hui entre plusieurs pays (Israël, France, Canada…). Il serait juste d’inclure dans ces diasporas des « Nés au Maroc » de plusieurs générations, de religion catholique, et dont certains se sont résignés à un départ en métropole. Le bilan de ces vagues humaines dispersées est à la portée désormais des historiens.



Autres diasporas marocaines ayant subi un sort dramatique, ces Marocains expulsés d’Algérie aux lendemains de la Marche Verte, tout comme les milliers de Marocains vivant dans les camps de Tindouf, en Algérie, qui renvoient à des tensions politiques brulantes. La question des diasporas inter maghrébines fait timidement son apparition dans l’agenda de certaines réunions officielles à l’échelle du Maghreb, sans que les sociétés civiles des pays concernés ne puissent encore maitriser leurs sensibilités nationalistes pour mettre en place des mécanismes de dialogue supra national. Il est curieux qu’une réunion officielle de l’UMA à ce sujet, tenue à Alger en juin dernier, ait fait l’impasse sur les diasporas inter maghrébines, se contentant de mettre en exergue l’échange d’expériences sur la gestion des ressortissants de chacun des pays de l’UMA à l’étranger !





Placée au plus haut niveau de l’Etat, la gestion des diasporas marocaines de l’époque montrait l’importance du lien avec le Maroc. Feu Hassan II déconseillait les mariages mixtes et la naturalisation. Les années quatre vingt dix et l’évolution du monde feront au contraire place à des naturalisations massives, sans pour autant rompre les liens, surtout de la première et seconde génération d’immigrés. Prendre la nationalité de ces pays ne revenait plus à épouser la cause de l’ancien colonisateur, mais au contraire à s’ouvrir vers des horizons plus larges. Le Maroc a eu raison de maintenir le lien de la nationalité d’origine, qui renforce avec une double compétence au lieu d’opposer.



Exportateur/importateur de diasporas :

Les dix dernières années ont bouleversé les visages des diasporas marocaines. L’expression « Marocains du monde » répond assez justement à cette éclosion d’une multitude de diasporas, un peu à l’image de celle du Liban ou de la Chine. De plus en plus de nationaux partent vers de nouveaux cieux, non pas sous la pression de la survie, mais au contraire pour développer de nouveaux projets, ailleurs, et vivre des dimensions plus fortes, plus larges qu’en demeurant au pays. Entrepreneurs, chercheurs, jeunes retraités, managers… sans oublier les enfants de plusieurs générations de l’ancienne immigration marocaine, qui sont désormais intégrés dans les jeux politiques, économiques et culturels d’une vingtaine de pays de par le monde. Ceci ne doit pas occulter le drame de l’immigration clandestine qui ravage la jeunesse, même si de plus en plus sont conscients que l’eldorado recherché peut être…sous leurs pieds !



Citoyens du monde, les diasporas marocaines sont tantôt en lien fort avec le pays d’origine, tantôt ne gardant qu’un lointain souvenir, réel ou magnifié avec le Maroc. Combien partent ? Combien reviennent ? Est-ce là le véritable enjeu des diasporas et du Maroc ? Une récente étude de l’INSEE en France (organisme public de statistiques), a démontré pour la première fois que les jeunes générations issues de l’immigration sont devenues plus nombreuses que les premières générations. MRE de nos jours signifie « chibani », personne âgée dont les difficultés et les besoins commencent à peine à être pris en compte.



Après avoir subi le départ de ses ressortissants, puis, dans le cadre d’accords avec nombre de pays, tenté d’organiser des flux, d’apporter une protection à ses immigrés, le Maroc est devenu aujourd’hui une destination pour de nouvelles diasporas, arabes, africaines, européennes, dont les médias font de temps en temps leur une. Cette situation, qui fait du Maroc un « importateur » malgré lui de diasporas, après avoir réussi à «exporter » des diasporas d’ouvriers, d’étudiants, d’employés invite à aborder désormais le sujet sous l’angle plus large du modèle économique et social que le Maroc souhaite construire pour les vingt prochaines années.



Si les Etats Unis d’Amériques se sont choisis un fils de leur diaspora, Barack Obama, mieux placé pour gérer l’entrée de son pays dans le monde multipolaire de demain, dans le monde de l’internet et des nouvelles technologies qui gouvernent le monde, il convient d’y voir un signal fort pour de vieilles classes politiques qui ont du mal à répondre aux défis du pays. L’annonce de la candidature d’un franco-algérien à la future présidentielle en Algérie, si elle venait à se confirmer, pourrait contribuer à faire bouger les lignes dans un système politique algérien figé dans les mêmes certitudes depuis l’indépendance. Dans le cas de la Tunisie, que son premier ministre soit issu d’une diaspora politique est, en soi, un indicateur sur la perméabilité de la classe dirigeante de ce pays.



Certes au Maroc l’intégration des enfants de la diaspora se réalise à dose homéopathiques, permettant une meilleure « fertilisation croisée ». Qu’un président de la ligue des droits de l’Homme, ou que le maire d’une ville moyenne, ou que plusieurs dirigeants d’entreprises soient issues de la diaspora montre à quel point le parcours est désormais balisé pour tirer le meilleur bénéfice des diasporas, tout en offrant à celles et ceux qui le souhaitent, de réelles chances d’accès à de hautes fonctions.



La diversité culturelle du Maroc est unique à l’échelle du Maghreb. Des journalistes de nationalités différentes exercent librement, et font partie du paysage médiatique. Des consultants européens ont élu domicile au Maroc et prennent part même aux décisions stratégiques du pays. Sur ce plan, le Maroc fait davantage partie du sud européen que de la région maghrébine.



Un ministère de l’immigration et de la valorisation des talents :

Quelle politique ? Quelle stratégie ? Les différentes institutions et organes mis en place montrent leurs limites, et ne peuvent au mieux que colmater des brèches ici ou là. Il est temps de tourner la page de la gestion au coup par coup des flux humains, et de créer un véritable ministère de l’immigration et de la valorisation des talents.



Le Maroc mérite aujourd’hui une véritable politique d’immigration, qui fera le lien entre les plans de développement, l’appel aux investisseurs étrangers et d’origine, et la nécessaire présence de main d’œuvre qualifiée, pas seulement marocaine, mais de tous horizons, et l’accueil humain et digne des réfugiés dont le nombre augmentera sans cesse.



Le ministère de l’immigration pourra capitaliser sur le savoir faire éparpillé ici et là, et se mesurer aux autres ministères des pays de l’OCDE, car si la vocation du Maroc est d’être un partenaire stratégique pour l’Union européenne et les grandes puissances économiques mondiales, il se doit de bien gérer les questions d’immigration, avec des critères, des priorités, et des stratégies transparentes.



Ainsi le ministère des affaires étrangères avec ses dizaines d’antennes de par le monde pourra de son côté se recentrer sur les problèmes des Marocains du monde, en professionnalisant ses ressources humaines, pour que les problèmes soient réglés au niveau local du MRE, et non en l’obligeant à venir jusqu’à la capitale, sachant que peu parmi eux osent faire le pas !



- L’identité plurielle du Maroc fait sa force. Il est temps de réintégrer toutes les diasporas religieuses et ethniques du Maroc, et d’élargir les dispositifs construits pour les MRE à toutes les personnes « nées au Maroc » ou dont les parents sont nés au Maroc, en encourageant la société civile à reconstruire des ponts avec ces diasporas qui peuvent apporter au Maroc des trésors d’innovations, d’entreprenariat, et de richesses culturelles.



- Les plus bavards parmi les Marocains du monde ne sont pas les plus représentatifs, encore moins les plus prometteurs pour l’avenir du pays. Il est temps d’aller vers ces diasporas silencieuses, qui ne demandent rien, et rêvent d’apporter des contributions essentielles à l’insertion du Maroc dans la carte mondiale de l’innovation, des technologies, et des réseaux économiques et politiques de poids.



- En finir avec la « folklorisation » des diasporas marocaines ! L’envoi de colis du ramadan à des détenus marocains à l’étranger, le soutien social de base, les aides aux « chibanis » sont d’une grande utilité, et démontrent la capacité du Maroc à s’occuper des siens dans les situations difficiles. Ces misions sont à renforcer, compte tenu du contexte de crise actuelle. Tout le reste n’est que dépenses inutiles, et n’a plus prise sur les personnes concernées. Il ne peut y avoir un « gâteau MRE » à se disputer, encore moins des « représentations », car le véritable enjeu c’est l’intégration dans le pays d’accueil.



- La politisation des diasporas marocaines ne mène qu’à se donner bonne conscience, et constitue une erreur de jugement et un décalage avec la réalité du monde. Les diasporas marocaines n’ont pas à choisir entre telle ou telle couleur, les enjeux concernés leurs échapperont toujours. Le dénominateur commun, l’adhésion au système de monarchie constitutionnelle est le seul qui mérite d’être mis en valeur. Les MRE qui souhaitent s’impliquer dans le jeu politique local au Maroc n’ont qu’à franchir le pas pour s’installer au pays, ils n’en seront que plus efficaces. Les discours religieux, si modérés soient ils, ont parfois l’effet inverse, il est urgent de s’en tenir à une stricte neutralité de l’Etat, à promouvoir la culture marocaine dans sa diversité culturelle, linguistique, religieuse et ethnique.



- Mieux accueillir les diasporas du monde, au Maroc, c’est donner au pays ses chances pour attirer des investisseurs, des savants, des intellectuels, pour construire le premier modèle arabe et africain véritablement ouvert sur le futur, tout en respectant ses traditions, c’est s’inspirer à la fois du Japon et du Canada. Le Maroc a toutes ses chances, sur ce chemin, et c’est ainsi qu’il aidera ses voisins à aller dans la bonne direction, à dépasser la logique des frontières, du centralisme castrateur.



- Ces évolutions seront possibles lorsque la classe politique dans son ensemble aura remisé ses vieux discours pour vivre dans le monde réel, et appris l’exercice du pouvoir démocratique.



En définitive, il ne s’agit pas d’adapter les MRE au Maroc, ou vice versa, mais d’adapter le Maroc dans son ensemble au monde qui l’entoure, car si les diasporas des cinq continents trouvent au Maroc des opportunités, un climat des affaires saint, une gouvernance à toutes épreuves, les Marocains du monde s’intégreront mieux, et retisseront des liens, surtout les jeunes générations, qui ont perdu tout contact réel avec le pays d’origine de leurs parents, ou arrières grands parents.



Le Maroc a pu digérer plusieurs grands mouvements humains dans son histoire, on peut en retenir deux : au 14ème siècle l’arrivée de milliers de Musulmans et de Juifs d’Andalousie, qui continuent encore aujourd’hui à irriguer la culture et la personnalité marocaines ; en 1912 avec l’arrivée violente des protectorats, qui ont marqué jusqu’à présent les routes, les mentalités, et les habitudes marocaines.



Aujourd’hui il devient possible d’anticiper, de préparer, au lieu de subir. Le choc démographique est déjà à l’œuvre, l’accélération des mouvements humains peut emporter sur son passage tous les mécanismes de gestion, il est urgent de construire une politique de l’immigration et de l’émigration qui maintiendront pour le Maroc l’avance de son modèle, reconnue par tous. Le Maroc de 2040 se décide aujourd’hui.

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