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La Grande Mosquée de Cordoue : Grandeur et décadence du Monde arabe

Par Jawad Kerdoudi
Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)

En vacances en Espagne cet été 2013, j’ai visité la Grande Mosquée de Cordoue. J’ai été émerveillé par cet extraordinaire monument qui fût le sanctuaire le plus important de tout l’Islam occidental. D’une surface de 22.400 m2, cette mosquée pouvait accueillir jusqu’à 40.000 fidèles. Elle fût l’œuvre de Abderrahman I, Emir de Cordoue qui commença les travaux en 785. Devenu trop petite devant l’afflux de fidèles, elle bénéficia de trois agrandissements : en 848, par Abderrahman II, en 962 par Al Hakam II et en 987 par Al Mansour. Le résultat est une vaste salle de prière de toute beauté avec des arcs superposés alternant des briques et des pierres de couleur rouge et beige. Encastré dans le mur, le Mihrab est décoré avec un socle constitué de plaques de marbre blanc veiné, qui présente dans sa partie supérieure des inscriptions coufiques en relief. La partie supérieure est décorée avec des mosaïques byzantines colorées de pourpre, jaune, vert clair, bleu, blanc et noir. Le fonds est couvert d’or avec du verre incolore. Outre la salle de prière la Mosquée était dotée d’un minaret de 47,5 m de haut et d’un patio pour les ablutions.

On ne peut visiter la Grande Mosquée de Cordoue sans penser à la grande épopée arabe, amazigh et musulmane qui fût Al Andalous qui couvrait presque la totalité de l’Espagne actuelle. Alors que l’occupation musulmane de l’Espagne dura plus de huit siècles (de 711 à 1492), l’age d’or d’Al Andalous fût incontestablement le Xème siècle. En effet en 929, Abderrahman III se proclama Calife rompant tout lien d’insubordination vis-à-vis de l’Orient. Son règne connut un développement extraordinaire de l’agriculture, du commerce, des arts et des sciences. La ville de Cordoue désignée comme « un ornement du monde » comptait à cette époque un million d’habitants avec 3000 mosquées, 300 bains publics et 28 faubourgs. Une grande tolérance existait entre musulmans, chrétiens et juifs, à qui ont été confiées des fonctions importantes. Le second Calife Al Hakam II pratiqua la même politique de développement culturel et de tolérance. C’est ainsi que l’Université de Cordoue devint l’une des plus grands universités du monde, et que la Bibliothèque de la ville comprenait plus de 400.000 volumes, grâce au grand rôle joué par les copistes.

Comparé au Xème siècle, la situation actuelle du monde arabe en ce début de XXIème siècle n’est guère enviable. Les 22 pays de la Ligue arabe n’ont représenté en 2012 qu’un PIB de 2.688 milliards de $ soit 4% du PIB mondial (71.830 milliards de $) ou l’équivalent du PIB de la France (2.609 milliards de $). Il faut ajouter que le PIB des pays arabes est représenté à 75% par les pays producteurs de pétrole. Ce déclin du monde arabe s’explique par plusieurs raisons. Sur le plan politique les pays arabes n’ont connu jusqu’au Printemps arabe pour la plupart, que des dictatures ou des régimes autoritaires, où la démocratie était quasiment absente. La qualité de l’enseignement laisse à désirer dans beaucoup de pays arabes, et l’analphabétisme persiste encore dans de grandes proportions. Ceci entraîne un retard technologique par rapport au pays avancés, d’autant plus que les budgets affectés à la recherche/développement sont insuffisants. De plus ces dernières décennies, on a assisté à la montée de l’islam politique dirigé le plus souvent par des mouvements radicaux. Il n’y a pas de séparation nette entre le politique et la religion, ce qui exacerbe les rivalités confessionnelles (sunnites contre chiites). Alors que le Printemps arabe a fait naître beaucoup d’espoirs, les tenants de l’ancien régime et les erreurs commises par les islamistes au pouvoir, ont crée une grande instabilité politique qui paralyse l’économie notamment en Egypte et en Tunisie.

Face à cette situation très dangereuse pour l’avenir du monde arabe, que faut-il faire ?

Il faut lutter contre les mouvements islamistes radicaux avec lesquels aucune entente n’est possible. Les partis modernistes et les islamistes modérés doivent s’entendre pour instaurer une démocratie où toutes les tendances peuvent s’exprimer. Il faut réfléchir à une séparation à plus ou moins long terme du politique et de la religion afin de réduire les rivalités confessionnelles. Il faut réformer l’éducation nationale avec une priorité pour les matières scientifiques afin de rattraper le retard technologique. Il est indispensable de pratiquer la tolérance, s’ouvrir vers l’extérieur et promouvoir l’apprentissage des langues étrangères, notamment l’anglais qui est la langue des affaires sur le marché international. Il y a lieu de prendre l’exemple des pays émergents (Brésil, Chine, Corée du Sud, Inde) qui en quelques années ont sorti de la pauvreté une grande partie de leur population, et qui ont conquis une bonne part des marchés mondiaux. Il n’y a aucune raison pour que le monde arabe ne puisse pas retrouver sa grandeur d’autrefois, ou en tout cas se faire une place décente dans ce monde du XXIème siècle. C’est un objectif ambitieux mais non impossible.



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