OBAMA AU CAIRE
UN DISCOURS PROPHETIQUE
Par Jawad Kerdoudi Président de l’IMRI « Institut Marocain des Relations Internationales »
Le président Obama a prononcé au Caire le 4 Juin 2009 un discours que je qualifierai de prophétique. Prophétique, par le message de justice, de progrès, de tolérance et de dignité, qu’il a lancé. Prophétique, parce qu’il s’est adressé au delà du monde musulman, à l’humanité toute entière. Prophétique enfin par le nombre de citations qu’il a empruntées au Coran, à la Torah et à la Bible.
Le discours d’Obama au Caire a pratiquement concerné tous les problèmes qui agitent le monde en ce début du XXIème siècle. Y ont été traités les problèmes politiques, de société, et de gouvernance. Obama s’est attelé tout d’abord aux relations Occident/Islam, qui ont été marquées dans l’histoire par la coexistence et la coopération, mais également par les conflits, les guerres, et la colonisation. Cette situation a créé un climat de tension où l’Occident est considéré comme hostile aux traditions de l’Islam, et où l’Islam est considéré par l’Occident comme hostile aux droits de l’homme. Le point culminant de cette tension a été marqué par les attentats du 11 Septembre 2001 qui ont fait 3.000 victimes aux Etats-Unis. Obama a pris soin cependant de différencier entre l’Islam en tant que religion, et les extrémistes islamistes qui ont provoqué ces attentats. L’Islam selon Obama partage avec l’Occident les valeurs de justice, de progrès, de tolérance et de dignité. L’Islam a contribué largement à l’épanouissement de la civilisation humaine par de nombreuses inventions scientifiques, et par une contribution réelle aux arts et à la culture universelle. Obama a rappelé que l’Islam a fait partie de l’histoire américaine, en citant le Maroc comme premier pays ayant reconnu l’indépendance des Etats-Unis, et en mettant en exergue l’activité productive des 7 millions de musulmans qui vivent aux Etats-Unis. C’est pour cela que le Président américain préconise un nouveau départ entre les Etats-Unis et l’Islam, afin que « le cycle de soupçons et de discorde cesse ». Il a insisté sur le fait que les défis mondiaux sont partagés, et qu’il vaut mieux rechercher ce qui nous unit, plutôt que ce qui nous divise. Il a terminé cette première partie en indiquant que si « L’Amérique n’est pas en guerre contre l’Islam », elle s’opposera aux violences extrémistes sous toutes ses formes, car le premier rôle du Président américain et d’assurer la sécurité de ses concitoyens.
Obama a par la suite abordé les grands problèmes politiques actuels. Sur la guerre d’Afghanistan, il a indiqué que l’Amérique l’a mené par nécessité, avec une coalition de 46 pays, pour répondre aux attentats du 11 Septembre 2001. L’objectif des Etats-Unis n’est ni de s’approprier des territoires, ni d’installer des bases militaires, mais d’éradiquer les forces extrémistes qui s’y trouvent. Il a ajouté que la force militaire ne suffit pas, et qu’un important programme de développement est prévu pour l’Afghanistan et le Pakistan. Sur l’Irak, il a reconnu que le déclenchement de l’invasion américaine s’est fait par choix, et que cette guerre a suscité de fortes oppositions tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des Etats-Unis. Là aussi, le Président américain a assuré que l’objectif des Etats-Unis est de quitter ce pays, dès que la paix et la sécurité y régneront, et en tout cas avant 2012. Il a confirmé sa volonté de rétablir l’Etat de droit aux Etats-Unis, en interdisant formellement la torture, et en procédant à la fermeture de la prison illégale de Guantanamo.
Le conflit israélo-palestinien a constitué une large place dans le discours d’Obama au Caire. Il a confirmé tout d’abord que la relation entre les Etats-Unis et Israël est indestructible, et qu’elle est basée sur des relations culturelles et historiques. Il a rappelé l’histoire tragique du peuple juif, et son aspiration à une patrie. Cependant, il a émis également en exergue les souffrances du peuple palestinien et ses aspirations légitimes à la dignité. Il a marqué son opposition à toute extension de colonies israéliennes en Cisjordanie, et son soutien à la création d’un Etat Palestinien vivant côte à côte avec Israël. Il a déploré la crise humanitaire à Gaza, et invité les pays Arabes à multiplier leurs efforts pour parvenir à la paix avec Israël. Concernant l’Iran, le Président américain a reconnu les fautes passées ainsi bien de son pays, que de la République islamique, mais a indiqué qu’il est prêt à « aller de l’avant, sans conditions préalables et sur la base du respect mutuel ». Concernant la volonté de l’Iran d’acquérir l’arme nucléaire, Obama a indiqué que cette question « a atteint un point décisif », et que l’Iran doit respecter les obligations du Traité de non prolifération nucléaire, tout en ayant droit à l’énergie nucléaire civile.
La dernière partie du discours d’Obama a été consacrée à la gouvernance politique et aux problèmes de société. S’il a indiqué que les Etats-Unis ne peuvent pas imposer la démocratie aux autres nations, il a fait l’apologie « du gouvernement du peuple par le peuple », et de la nécessité absolue de respecter les droits de l’homme. Il a également abordé le problème délicat de la liberté religieuse en indiquant que « les gens doivent être libres de choisir et de vivre leur foi » et que la diversité de religions doit être respectée et protégée par les gouvernements. Il a mis en exergue le Dialogue inter-religieux lancé par l’Arabie saoudite, et l’Alliance des civilisations initiée par la Turquie. Il a rappelé l’égalité hommes-femmes, en insistant sur l’accès à l’éducation pour les filles, et en confirmant le droit aux femmes musulmanes de porter le hijab si elles le souhaitent. Enfin sur le plan du développement économique, il a indiqué les bienfaits mais également les effets pervers de la mondialisation, qui peuvent amener à la perte d’identité. Il a mis en exergue l’éducation et l’innovation qui vont devenir « la monnaie du XXIème siècle ». Il a reproché au pays islamiques le sous-investissement dans ces secteurs, et a promis tout un programme de soutien aux pays musulmans dans les domaines de l’éducation, du développement économique, de la science et de la technologie.
En conclusion, on ne peut que se réjouir de ce discours de Président Obama au Caire, pour sa hauteur d’esprit, le rappel des valeurs morales, et la volonté de résoudre les grands conflits du monde actuel. Il faut cependant au delà de ce discours, que le Président Obama passe aux actes concrets pour résoudre ces problèmes, et notamment le conflit israélo-palestinien qui est très sensible dans le monde musulman. Les mois à venir vont nous permettre d’évaluer la nouvelle politique extérieure américaine sous l’égide de Président Obama. Si des résultats concrets n’apparaissent pas rapidement, une grande déception verra le jour dans le monde arabo-musulman.
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