Troisième Plénum du Comité Central : Quel avenir pour la Chine ?
Par Jawad Kerdoudi
Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Rappelons tout d’abord que la Chine est le pays le plus peuplé du monde avec 1,5 milliard d’habitants, qu’elle est maintenant classée la deuxième économie de la planète, et qu’elle connaît depuis une décennie le plus fort taux de croissance. Elle est dirigée depuis 1949 jusqu’à nos jours par le parti communiste et connaît depuis 1978 une ouverture en adoptant l’économie du marché. Aussi tout ce qui se passe dans ce grand pays ne peut laisser indifférent le reste du monde.
La Chine a réuni du 9 au 12 Novembre 2013 à Pékin son troisième Plénum du Comité Central qui a regroupé 400 dirigeants du parti communiste. L’Agence « Chine nouvelle » a diffusé le 15 Novembre 2013 un long communiqué indiquant les décisions prises par le troisième Plénum sous la présidence de Xi Jinping. Il s’agit d’une panoplie de mesures d’ordre politique, économique et social. Sur le plan politique, la principale mesure est la suppression des camps de travail. Ces camps qui ont été institués par Mao Tsé Toung en 1957 dans le cadre de la « Rééducation pour le travail » permettaient sans procès ni décision judiciaire d’y interner jusqu’à une période de quatre ans des délinquants, mais aussi des contestataires, des internautes et des pétitionnaires. En 2009 résidaient dans ces camps 190.000 personnes. Les autres décisions politiques ont été l’institution d’une Commission pour faire avancer les réformes, et un Comité pour la sécurité de l’Etat. A été réaffirmée la prééminence de l’Etat central sur les gouvernements des provinces notamment sur le plan judiciaire, ainsi que l’impératif de la sécurité de l’Etat et de la stabilité sociale.
Sur le plan économique, le troisième Plénum a rappelé le rôle décisif du marché, et préconisé l’ouverture de certains secteurs publics aux groupes privées et étrangers. Il a promis de lutter contre les monopoles d’Etat, la corruption et la lourdeur de l’administration, de même qu’il a enjoint aux entreprises publiques de verser à l’Etat 30% de leurs dividendes. Il a envisagé également de poursuivre la libération financière et d’accélérer la convertibilité de la monnaie chinoise : le Yuan. Enfin est prévue une réforme des prix des produits et fournitures de première nécessité afin de tenir compte de l’évolution du marché.
Sur le plan social, la principale mesure prise est l’assouplissement de la politique de l’enfant unique. Lancée en 1979, cette politique avait pour but d’éviter la surpopulation, afin d’affecter la plus grande partie des ressources du pays au développement économique. Cette politique contraire aux droits de l’homme, a été appliquée d’une façon brutale poussant de milliers de femmes chinoises à se faire avorter ou à se stériliser. Sur le plan pratique, il est permis à un couple dont l’un des membres est lui-même enfant unique d’avoir un deuxième enfant, ce qui permettra de réduire le vieillissement de la population chinoise, afin de faire face aux caisses sociales et de retraites. D’autres mesures sociales ont été prises, comme l’allégement des restrictions imposées aux ruraux pour le séjour dans les villes, ceci afin de favoriser l’urbanisation et la consommation intérieure. D’autres mesures ont été prises pour légaliser davantage les expropriations qui se font un peu partout en Chine.
On ne peut que se réjouir de ces différents décisions du troisième Plénum du Comité Central qui constituent une Feuille de route pour la prochaine décennie de la Chine. C’est ainsi que la suppression des camps de travail, l’assouplissement de la politique de l’enfant unique, sont une avancée dans le respect des droits de l’homme. Mais ces mesures sont insuffisantes dans la mesure où existent en Chine d’autres textes de détention extrajudiciaire tels que l’internement en hôpital psychiatrique. De même l’assouplissement de la politique familiale ne permet à un couple de n’avoir qu’un deuxième d’enfant sous condition. Si la liberté d’expression est reconnue dans la Constitution chinoise, dans la pratique des mesures sont prises pour museler les internautes, censurer les blogs et les comptes twitter. De même est encore permise la diffusion à la télévision d’aveux le plus souvent obtenus par la force.
Sur le plan économique, on ne peut que saluer les intentions de libération financière, de convertibilité du yuan, et d’ouverture des secteurs publics aux groupes privés et étrangers. Mais la dernière décennie a montré que les évolutions en Chine sont très lentes et très laborieuses. C’est ainsi que la Chine a maintenu sciemment une parité faible du Yuan par rapport aux devises étrangères afin de promouvoir ses exportations sur le reste du monde. On peut regretter également que le troisième Plénum n’a rien décidé pour encourager la consommation intérieure au détriment des exportations, notamment par des augmentation de salaires qui amélioreraient le pouvoir d’achat des consommateurs chinois. Enfin sur le plan politique, aucune mesure de démocratisation du système politique n’a été annoncée, le parti communiste chinois s’accrochant à la totalité du pouvoir.
En conclusion, la Chine qui a adopté l’économie de marché il y a une trentaine d’années a obtenu des résultats économiques considérables, qui ont sorti des millions de chinois de la pauvreté, et qui lui ont permis d’atteindre le deuxième rang dans l’économie mondiale. Il apparaît, à moins d’un accident notable, que le même système politique continuera pendant la prochaine décennie avec quelques mesures de libération. Peut-être qu’après 2020 la Chine se démocratisera ?
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