Ukraine : Résurgence de la confrontation Est-Ouest
Par Jawad Kerdoudi
Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
De grandes manifestations ont éclaté à Kiev capitale de l’Ukraine depuis le 21 Novembre 2013. Elles sont motivées par le refus du Président Ukrainien Viktor Ianoukovytch de signer un Accord d’association avec l’Union européenne qui devait intervenir à Vilnius le 29 Novembre 2013 lors du Sommet du partenariat oriental de l’Union européenne. Pour comprendre ce refus du Président ukrainien, il y a lieu de revenir sur l’histoire récente de l’Ukraine. Ce pays le plus vaste de l’Europe centrale a été intégré à l’URSS en 1922 qui en fit son « grenier à blé », y installa une puissante industrie sidérurgique, ainsi qu’une bonne partie de ses centrales nucléaires. Après la chute de mur de Berlin et la dislocation de l’URSS, l’Ukraine proclama son indépendance le 24 Août 1991. A l’instar des autres pays est-européens qui ont adhéré la plupart à l’Union européenne, cette dernière a proposé à l’Ukraine un Accord d’association et de Libre-échange.
L’Ukraine se trouve ainsi assise « entre deux chaises », et sa population est divisée entre pro-européens et pro-russes. Les premiers cherchent avant tout la liberté et se débarrasser de l’emprise de la Russie qui a laissé dans l’inconscient collectif de très mauvais souvenirs. L’année 2013 est d’ailleurs le 80ème anniversaire de ce que les ukrainiens appellent « L’Holodomor » qui a été la grande famine organisée entre 1932 et 1933 par Staline pour mettre au pas la paysannerie ukrainienne et accélérer la collectivisation des terres. Les pro-européens espèrent également qu’à l’instar de la Pologne qui a adhérée à l’Union européenne, l’Ukraine en se rapprochant de l’Union européenne connaîtra un développement économique et social accéléré. Les pro-russes qui se recrutent surtout dans l’Est du pays mettent en exergue les relations culturelles et économiques entre l’Ukraine et la Russie. En effet, la langue russe est parlée par une grande partie de la population et les relations économiques entre les deux pays sont très fortes. La Russie est le principal fournisseur d’énergie de l’Ukraine, et elle absorbe 22 % des exportations ukrainiennes. A l’inverse, 32 % des importations ukrainiennes proviennent de la Russie.
Au niveau des Etats, la lutte est acharnée pour attirer l’Ukraine. Le Président Poutine, grand nostalgique de l’ex-URSS veut à tout prix garder l’Ukraine dans le giron de la Russie. Toute sa politique étrangère est basée sur le retour de la Russie comme principale puissance internationale, surtout après que la plupart des pays est-européens ont rejoint l’Union européenne et l’OTAN. C'est ainsi qu’il a fait pression sur le Président ukrainien pour ne pas signer l’Accord d’association avec l’Union européenne. Il fait miroiter à l’Ukraine la possibilité de réduire le prix du gaz russe, ainsi que l’éventualité de lui accorder une aide financière importante. Il propose également à l’Ukraine de rejoindre l’Union douanière constituée de la Russie, du Belarus, du Kazakhstan et bientôt de l’Arménie. L’Union européenne de son côté déjà forte de 28 Etats, veut ajouter l’Ukraine en tant que pays associé. Ses motivations sont à la fois politiques et économiques. Sur le plan politique, elle craint que l’Ukraine qui est un pays voisin ne sombre dans des difficultés économiques, ce qui pousserait les ukrainiens à émigrer en Europe. Sur le plan économique, la constitution d’une zone de libre-échange avec l’Ukraine ouvrira les portes à l’exportation de matériels et d’équipements dont l’industrie ukrainienne vieillissante a grand besoin. Cependant l’Union européenne n’offre à l’Union qu’un aide financière de 610 millions d’euros, alors que l’Ukraine réclame 20 milliards d’euros. En effet l’Ukraine qui a connu une récession en 2012 (- 0,12 %) se trouve confrontée à une grave crise économique marquée par le recul des réserves de changes, l’effondrement de la monnaie, un solde commercial déficitaire, et un fort endettement (76 % de PIB). D’autre part, le pays souffre de la corruption dénoncée sur le plan national et international. Quant aux Etats-Unis, évidemment favorables à l’association de l’Ukraine avec l’Union européenne, ils se contentent pour le moment ou réfléchir à des sanctions contre le régime actuel de l’Ukraine s’il persiste à réprimer les manifestants.
Dimanche 15 Décembre 2013, entre 200.000 et 300.000 pro-européens se sont assemblées en présence du sénateur américain John Mc Cain sur la place de l’indépendance dans le centre de Kiev. Le même jour, l’Union européenne a prévenu l’Ukraine que la poursuite des discussions dépendrait d’un engagement clair en vue de la signature de l’Accord d’association. Mardi 17 Décembre 2013, le Président Ukrainien Viktor Ianoukovytch doit se rendre à Moscou pour rencontrer Poutine. Au jour de cette chronique le 15 Décembre 2013, il est impossible de prévoir la suite des événements. Il appartient aux ukrainiens de faire le choix entre Bruxelles et Moscou, mais si le choix de l’Europe est beaucoup plus difficile, il est aussi plus prometteur pour les générations à venir. Une chose est sûre : la confrontation Est-Ouest n’est pas terminée.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI