IRAN : LA RUPTURE
Par Jawad Kerdoudi Président de l’IMRI « Institut Marocain des Relations Internationales »
La scène internationale reste dominée par la situation dramatique en Iran. En effet, après les élections présidentielles du 12 Juin 2009 qui ont reconduit Mahmoud Ahmedinejad, les autres candidats a cette élection, et notamment Hossein Moussavi, ont dénoncé les fraudes et les manipulations qui ont caractérisé cette élection, et ont réclamé son annulation. Il s’en est suivi à partir du 13 Juin des manifestations dans les rues de Téhéran et dans quelques villes de province, qui se sont poursuivies jusqu’au 20 Juin, et qui ont occasionné une dizaine de morts, plus d’une centaine de blessés, et de nombreuse arrestations de réformateurs.
On peut considérer ces manifestations comme une véritable rupture dans l’histoire de la République islamique d’Iran, fondée en 1979, entre le pouvoir en place et une partie de la population. En effet, c’est la première fois où pendant plus d’une semaine, les iraniens se sont soulevés, sans motivation religieuse, pour réclamer la démocratie et le respect de leur droit de vote. Alors que le taux de participation est particulièrement élevé de l’ordre de 85%, ils considèrent que le taux officiel attribué à Mahmoud Ahmedinejad de 62,6% est frauduleux. D’ailleurs, le Conseil des gardiens de la constitution a reconnu pour le scrutin du 12 Juin 2009, qu’il y a eu plus de votes que d’inscrits dans 50 districts. Une étude britannique, établie par un Institut indépendant, a de son côté révélé que la participation dans deux provinces a été supérieure au nombre d’inscrits, qu’il y a eu disparition des disparités régionales, et qu’il n’y a eu aucun corrélation entre la hausse de la participation et l’augmentation du soutien en faveur d’un candidat quelqu’il soit. Elle a conclu au peu de crédibilité de ces élections.
Mais au-delà de ces appréciations, le plus grave a été la prise de position du Gardien de la Révolution Ali Khamenei qui, dans un discours solennel le Vendredi 19 Juin 2009, a soutenu l’élection de Mahmoud Ahmedinejad, considérée comme régulière, et a menacé les manifestants d’une répression vigoureuse. Pour cela, il peut compter sur les 120.000 Gardiens de la Révolution, véritable armée ; et sur les 500.000 Bassidjis, les milices populaires du régime. Les médias officiels traitent les manifestants de « terroristes », manipulés par les puissances occidentales, notamment la Grande-Bretagne, à qu’il est reproché d’avoir préparé le complot depuis deux ans. C’est une manœuvre classique des régimes autoritaires, de parler de complot venu de l’étranger, dès qu’un problème intérieur grave intervient.
En fait, les dirigeants conservateurs de l’Iran n’ont pas compris que la société iranienne a évolué en trente ans, depuis la création de la République islamique. Les jeunes supportent de moins en moins l’absence de libertés, surtout que malgré les mesures de contrôle et de filtrage, les 23 millions d’internautes iraniens parviennent à dialoguer avec le monde extérieur. L’internet et les téléphones portables ont d’ailleurs joué un rôle primordial dans ces événements, et ont été la principale source d’information, vu que les médias internationaux ont été interdits. Les jeunes femmes de leur côté se révoltent contre les contraintes, notamment vestimentaires, qu’elles sont obligées de respecter.
D’un autre côté, sur le plan international la donne a changé. Alors que le régime iranien faisait son unité sur l’opposition à l’Occident et notamment aux Etats-Unis, l’élection du Président Obama aux Etats-Unis a modifié la situation. Ce dernier, depuis son élection, ne cesse de déclarer sa volonté de « tendre la main » à l’Iran pour solutionner tous les problèmes, et notamment celui du nucléaire. Il a eu l’intelligence de ne pas prendre partie lors des derniers événements en Iran, se contentant de lancer un appel le 20 Juin pour mettre fin aux violences et aux injustices. Il a rappelé également le droit universel au rassemblement et à la liberté d’expression.
Une partie de la population iranienne a dû également se rendre compte des effets désastreux de la politique de Mahmoud Ahmedinejad pendant son premier mandat, tant sur le plan intérieur qu’extérieur. Sur le plan intérieur, le développement économique et social a été négligé au profit des dépenses militaires, notamment pour l’expansion des missiles et du nucléaire. Sur le plan extérieur, la politique maximaliste de Mahmoud Ahmedinejad a accentué l’isolement de l’Iran, et aggravé les sanctions prises par l’ONU à son encontre. Les pays Arabes eux-mêmes, ont commencé à se méfier d’un régime iranien de plus en plus interventionniste au Proche-Orient, voulant exporter sa révolution et son chiisme.
Que va-t-il se passer en Iran dans les semaines et mois à venir ?
Il ne faut pas se faire d’illusions. Le régime en place, pour ne pas perdre la face, va maintenir sa position. D’ailleurs, le Conseil des gardiens de la constitution a le 23 Juin 2009, de nouveau exclu d’annuler l’élection présidentielle du 12 Juin 2009, disant qu’il n’y a eu aucune irrégularité majeure lors du déroulement du scrutin. Mahmoud Ahmedinejad sera donc le prochain Président de la République Islamique d’Iran pour un nouveau mandat de quatre ans. Mais il y a eu un Iran avant le 12 Juin, et il y aura un Iran après le 12 Juin. Ahmedinejad n’aura plus les mains totalement libres pour mener la politique extrémiste de son premier mandat. L’opposition ragaillardie par les manifestations massives de rue, va lui mener la vie dure. Le changement en Iran n’est que partie remise, et pourra se reproduire dans l’avenir à tout moment. Pour finir, saluons les manifestants de Téhéran qui, au péril de leur vie, ont affronté les forces de répression. Ce ne sont pas des « terroristes » comme le disent les dirigeants actuels de l’Iran, mais les morts et les blessés sont des martyrs de la démocratie, dont le nom reviendra sur la scène iranienne un jour ou l’autre.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI