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Printemps Arabe
Les difficultés de la transition démocratique

Par Jawad Kerdoudi
Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)

Parmi les revendications des jeunes manifestants du Printemps Arabe déclenché début 2011, figuraient la fin des dictatures et des régimes autoritaires et l’instauration de la démocratie. Début 2014, soit trois ans après les révoltes qui ont secoué la plupart des Etats Arabes, il s’est avéré que la transition démocratique a dû faire face à de grandes difficultés. Elles tiennent à plusieurs causes : la résistance des anciens régimes, le rôle des islamistes qui ont gagné les élections, enfin l’activisme des forces armées.

Certains pays arabes n’ont connu ni de changement de régime ni de réformes politiques. On peut classer dans cette catégorie les pays arabes du Golfe, qui grâce à la manne pétrolière et gazière ont pû acheter la paix par une large distribution de revenus à toutes les catégories de la population. Il faut dire aussi que dans ces pays les forces d’opposition et la société civile sont peu développées et la revendication de la démocratie peu active. A noter que le soulèvement de Bahreïn a été réprimé grâce à une intervention militaire séoudienne. On peut ajouter à ces pays le cas de l’Algérie qui outre les richesses pétrolières et gazières, n’a pas voulu revivre les affres de la guerre civile qui avait ensanglanté le pays de 1992 à 2007 faisant plus de 100.000 morts. Fait partie de cette même catégorie la Syrie qui n’a pas encore changé de régime politique, et qui est victime d’une sanglante guerre civile déclenchée par le régime dictatorial de Bachar Al Assad.

D’autres pays ont connu des réformes politiques sans changement de régime. C’est le cas du Maroc où après les manifestations du 20 Février 2011, le discours Royal du 9 Mars 2011 a ouvert de nouvelles perspectives par l’annonce et la rédaction d’une nouvelle Constitution adoptée par référendum le 1er Juillet 2011. Les élections libres et transparentes qui ont suivi ont permis la victoire d’un parti islamiste qui a été chargé de former un nouveau gouvernement. On peut dire que le Maroc a traversé le Printemps Arabe sans trop de dégâts, ce qui a amené certains observateurs de parler « d’exception marocaine ». On peut classer dans cette catégorie d’autre pays comme la Mauritanie, la Jordanie et le Yémen qui ont fait des réformes politiques moins avancées, mais qui ont permis aux régimes en place de se maintenir.

Le cas de la Tunisie a été beaucoup plus laborieux mais intéressant à certains égards. En effet, une Assemblée constituante a été élue en Janvier 2011, qui a débuté la formulation des premiers articles en Janvier 2012. En Décembre 2012 a été finalisé le premier projet de la nouvelle constitution qui a fait l’objet de débats houleux entre les islamistes menés par le parti Ennahda et les progressistes. En Février 2013 a eu lieu l’assassinat de Chokri Belaid membre de l’opposition, qui a donné lieu à de grandes manifestations contre les islamistes au pouvoir. En Avril 2013 une deuxième version du projet de constitution a vu le jour et en Juin 2013 une troisième version. En Juillet 2013, le jour de la fête de la République, a été commis l’assassinat de Mohamed Brahimi Coordinateur général du mouvement populaire et membre de l’Assemblée nationale constituante. Il s’en est suivi de nouvelles manifestations contre les islamistes au pouvoir, et la suspension en Août 2013 des travaux de la constitution. Suite à la mise en œuvre du dialogue national entre le gouvernement islamiste et l’opposition, les travaux de l’Assemblée nationale constituante ont repris en Septembre 2013 et ont abouti finalement, suite aux pressions populaires et médiatiques, à l’adoption de la nouvelle constitution le 26 Janvier 2014. On ne peut que rendre hommage à l’opposition et aux femmes tunisiennes d’avoir mené une lutte acharnée pendant trois ans pour arracher cette nouvelle constitution qui se caractérise par des avancées remarquables. C’est ainsi qu’il n’est pas fait mention de la charia comme la source de droit, qu’est consacrée « la liberté de croyance et de conscience et le libre exercice du culte », qu’est proscrit l’accusation d’apostasie, et qu’est proclamée « l’égalité des chances entre l’homme et la femme et la parité dans les Conseils élus ». Mieux que cela « l’Etat s’engage à protéger les droits acquis de la femme et œuvrer pour les améliorer ».

Le cas de l’Egypte est encore plus tumultueux. Après le déclenchement de la Révolution égyptienne le 25 Janvier 2011 et le départ de Hosni Moubarak le 11 Février 2011, fût élu en Juin 2012 le leader des frères musulmans Mohamed Morsi en tant que Président de la République. Ce dernier fit adopter par référendum une nouvelle constitution le 22 Décembre 2012 qui a voulu écarter les militaires des affaires politiques, et instaurer la charia comme source principale de la législation. Une forte opposition constituée de laïcs de gauche, d’anciens partisans de Moubarak, et de groupes révolutionnaires réussit à organiser en Juin 2013 de grandes manifestations dans plusieurs villes d’Egypte contre le gouvernement islamique au pouvoir. L’armée égyptienne sous la direction du Général Abdelfattah Sissi en profita pour renverser le Président Morsi le 4 Juillet 2013 et le remplacer par un magistrat Adli Mansour. La constitution de 2012 fût suspendue et le Parlement dissous. Rédigée par une commission de 50 membres non élus dont fûrent exclus les islamistes, une nouvelle constitution fût adoptée le 15 Janvier 2014 avec un taux de participation de 38,6% et un vote positif de 98,1%. Le nouveau texte accroît les prérogatives du Président de la République en lui attribuant la désignation des portefeuilles de quatre ministres régaliens. Contrairement à la constitution de 2012, la nouvelle autorise la comparution devant des juges militaires de civils « en cas d’attaque directe contre les forces armées, leur équipement et leur personnel ». En outre, le ministre de la défense doit être obligatoirement un militaire et ne peut être nommé qu’en accord avec l’Etat-major. Le Parlement et le Gouvernement n’ont aucun droit de regard sur le budget de l’armée. En outre la constitution signale « la stricte égalité entre l’homme et la femme dans tous les domaines : civils, politiques, économiques, sociaux et culturels ». Enfin la nouvelle constitution supprime l’article 219 de la constitution de 2012 qui ouvrait la voie à l’islamisation de la législation.

En conclusion, on peut affirmer que dans la plupart des cas la revendication de démocratisation des régimes politiques arabes, n’a pas eu de suite à ce jour. Certes, quelques avancées démocratiques ont eu lieu dans certains pays comme le Maroc et la Tunisie, mais la résistance des régimes en place, le rôle ambigu des islamistes, et l’activisme des militaires ont constitué jusqu’à maintenant un frein insurmontable. Il faut espérer qu’avec le développement de l’éducation et les progrès économiques et sociaux, les pays arabes pourront à moyen ou long terme véritablement démocratiser leur régime politique.

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