20ème anniversaire de l’OMC
Un bilan mitigé
Par Jawad Kerdoudi
Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Le 15 Avril 1994 fût signé à Marrakech par les ministres des Affaires Etrangères de 123 pays les 60 accords qui devaient permettre la création de l’organisation mondiale du commerce (OMC) le 1er Janvier 1995. Rappelons que l’OMC est l’héritière du GATT (Accord Général sur les tarifs douaniers et le commerce) qui était établi en 1947 et qui avait pour but la libéralisation du commerce international. Les objectifs de GATT était la négociation pour réduire les entraves au commerce international et l’énonciation de règles de bonne conduite concernant le commerce international. Le GATT avait établi les trois règles fondamentales : la clause de la nation la plus favorisée, la réciprocité à toute concession tarifaire, la réduction ou suppression des quotas d’importation. Le GATT avait donné lieu à plusieurs négociations commerciales multilatérales : Kennedy Round, Tokyo Round, Uruguay Round.
Depuis sa création en 1955, l’OMC a organisé plusieurs conférences ministérielles où les membres sont représentés en général par le ministre chargé du commerce extérieur. La première conférence a eu lieu à Singapour en 1996 où ont été étudiés trois questions : le commerce et investissement, l’interaction du commerce et de la politique de la concurrence, et la transparence des marchés publics. La conférence ministérielle de Genève en 1998 a ajouté le commerce électronique dans le domaine d’action de l’OMC. La conférence de Seattle en 1999 fût un échec, marqué par de grandes manifestations des altermondialistes. Ce fût ensuite le tour de la conférence de Doha en 2001 qui a initié un programme ambitieux pour le développement, mais qui n’a pas abouti du fait de l’opposition entre les pays développés demandant le libre-échange pour les produits industriels, et les pays en voie de développement exigeant la suppression des subventions aux produits agricoles. Malgré les efforts de l’ancien directeur de l’OMC Pascal Lamy, ni la conférence de Cauncun en 2003 ni celle de Hong Kong en 2005 n’ont permis d’aboutir à un accord pour conclure les négociations de Doha.
Une lueur d’espoir pour l’avenir de l’OMC est apparue lors de la 9ème conférence ministérielle qui a eu lieu du 3 au 6 Décembre 2013 à Bali sous l’impulsion du nouveau directeur brésilien de l’OMC Roberto Azvedo. Cette conférence en effet a adopté des résolutions concernant la facilitation des échanges, les questions relatives à l’agriculture, et la promotion du développement des pays pauvres. La facilitation des échanges a pour but de simplifier les procédures douanières par l’abaissement des coûts des transactions, leur accélération et leur plus grande efficacité. Cette simplification si elle est entièrement réalisée, permettrait d’abaisser les coûts du commerce mondial de 10 à 15% soit 400 à 1.000 milliards de $. Concernant l’agriculture, la conférence ministérielle de Bali a demandé aux pays développés de limiter les subventions à l’exportation des produits agricoles, de même qu’elle a préconisé la facilitation de l’accès au marché mondial du coton pour les pays les moins avancés. Elle a admis une tolérance pour la détention par les pays en développement de stocks publics de produits agricoles à des fins de sécurité alimentaire, ainsi qu’une liste de services à caractère général. Enfin cette conférence a consacré une grande partie des résolutions au développement des PMA (pays les moins avancés) : accès en franchise de droits de douane et sans contingents de leurs produits et services sur les marchés développés, règles d’origine préférentielles, assistance pour la facilité des échanges.
Après vingt ans d’existence le bilan de l’OMC est mitigé. Certes, elle a permis l’établissement d’une centaine d’Accords dont l’AGCS (Accord général sur le commerce des services), l’ADPIC (Accord général sur les droits de propriété intellectuelle), le SPI (Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires), l’Accord sur l’agriculture, l’investissement lié au commerce, les obstacles techniques liés au commerce. Son action la plus emblématique a été la création de l’ORD (Organe de règlement des différends). Cette procédure permet aux pays qui s’estiment lésés de porter plainte contre d’autres pays. L’ORD est intervenu sur plusieurs litiges commerciaux portant sur des produits agricoles et industriels. Mais beaucoup de critiques ont été portées contre l’OMC principalement par les altermondialistes. Ces derniers affirment que les Accords intervenus favorisent les entrepreneurs des pays riches plutôt que les salariés des pays pauvres. Ils ajoutent que l’Accord sur les services est avant tout un instrument au bénéfice des multinationales qui dominent le marché mondial. Ils reprochent aussi à l’OMC de marchandiser tous les secteurs outre les produits agricoles, l’eau, l’éducation, la santé, les services sociaux. Les décisions de l’OMC sont prises dans l’opacité par une minorité de puissants, et ils donnent comme preuve l’impossibilité malgré tous les efforts des pays en développement, de supprimer les subventions à l’exportation des produits agricoles par les pays développés. Ils reprochent à l’ORD la complexité des procédures qui n’est pas à la portée des petits Etats. Ils mettent enfin en cause le pouvoir de l’OMC de prononcer des sanctions contre certains pays suite à des litiges commerciaux.
En conclusion, le GATT et l’OMC ont joué un grand rôle dans la libéralisation du commerce international. Les pays émergents tels que la Chine, le Brésil et l’Inde en ont profité pour développer leurs exportations et réduire la pauvreté de leur population. Mais force est de reconnaître que les pays moyens et petits n’ont guère bénéficié de l’OMC. Notre pays le Maroc bien que membre de l’OMC depuis 1995, souffre toujours d’une balance commerciale déficitaire. La véritable solution pour développer les exportations est de construire une économie solide, diversifiée, et compétitive, capable de pénétrer le marché mondial avec des biens et services avec le meilleur rapport qualité/prix.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI