Interview sur la Géopolitique de la Mauritanie
au Magazine « Les Afriques Diplomatie »
Par Jawad Kerdoudi
1. La Mauritanie présente-t-elle un enjeu dans la sous-région ?
• La Mauritanie présente un grand enjeu dans la sous-région ayant des frontières communes avec l’Algérie, le Mali, le Maroc et le Sénégal. De plus la Mauritanie a été le théâtre dans les années 2000 de plusieurs attentats terroristes. Enfin le Chef d’Etat de la Mauritanie Mohamed Ould Abdel Aziz préside actuellement l’Union africaine.
2. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le jeu politique de la Mauritanie dans la sous-région ? Et quels sont ses enjeux géopolitiques ?
• La Mauritanie est un Etat très étendu mais peu peuplé avec 3,7 millions d’habitants, et ne dispose que peu de ressources naturelles. Ses enjeux géostratégiques consistent à obtenir le maximum d’aides de l’étranger pour compenser la faiblesse de son économie, et tenter d’améliorer le niveau de vie de sa population. On peut citer à titre d’exemples dans son histoire les nombreux accords d’assistance avec la France, les Etats-Unis, l’Irak, les pays du Golfe et même Israël avec lequel elle a avait établi des relations diplomatiques en 1999. Dans la sous-région, elle essaie d’établir de bonnes relations avec ses voisins pour développer ses échanges économiques et pour assurer sa sécurité.
3. En quoi l’axe Maroc-Mauritanie-Sénégal pourrait-il être stratégique pour la sous-région ?
• L’axe Maroc-Mauritanie-Sénégal n’est pas très fort actuellement. Plusieurs malentendus existent entre le Maroc et la Mauritanie. Quant aux relations de la Mauritanie avec le Sénégal, elles ont été très mauvaises en 1989 du fait d’un différent frontalier et en 2000, elles ont connu de nouvelles tensions. Actuellement elles se sont normalisées. D’autre part sur le plan sécuritaire, la Mauritanie fait partie d’un autre Groupe le G5 qui comprend le Burkina Faso, le Mai, le Niger et le Tchad, pays qui sont le plus exposés aux risques terroristes.
4. Quel serait l’enjeu d’une bonne intégration économique entre les pays de cet axe (Maroc-Mauritanie-Sénégal) ?
• Il est certain qu’une bonne intégration économique entre le Maroc, la Mauritanie et le Sénégal serait bénéfique pour les trois pays. La Mauritanie pourrait jouer un rôle, d’intermédiaire entre le Maroc et l’Afrique subsaharienne. Mais je n’ai pas l’impression qu’il existe actuellement une volonté politique réelle pour assurer cette intégration.
5. Comment voyez-vous l’idée d’une telle intégration ?
• Cette intégration pourrait être multiforme avec le développement des échanges commerciaux et des investissements. Le Maroc pourrait apporter à ses deux voisins la Mauritanie et le Sénégal, son expertise dans les secteurs de l’agriculture, des pêches maritimes, des mines, de l’industrie, des travaux publics, des banques. C’est ce qui est entrain de se faire avec d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest comme le Gabon, le Mali, le Côte d’Ivoire et la Guinée.
6. Vue la prospérité économique que connait le Maroc, la Mauritanie qui partage une frontière terrestre avec le Maroc n’a-t-elle pas intérêt à se rapprocher davantage, notamment pour profiter de cet essor ? D’où vient le blocage ?
• En effet la Mauritanie a tout intérêt de se rapprocher davantage du Maroc dans une perspective gagnant-gagnant. Je pense que le blocage vient du côté mauritanien.
7. Certains observateurs estiment que la Mauritanie bloque ou torpille le flux des échanges sur cet axe (Maroc-Mauritanie-Sénégal). Pourquoi ? Et quelles seraient les raisons d’une telle motivation ?
• Les raisons du blocage mauritanien sont d’ordre politique. On ne peut les comprendre sans revenir à l’histoire récente et plus particulièrement à la question du Sahara. Il faut rappeler que dans le cadre du Traité de Madrid en 1975, une partie du Sahara a été affectée à la Mauritanie. Suite à des attaques du Polisario aidé par l’Algérie contre la Mauritanie, cette dernière s’est résolue en 1979 par l’Accord d’Alger à renoncer à la partie du Sahara qui lui avait été affectée, et qui a été récupérée par le Maroc. La Mauritanie a signé en 1980 une Traité d’amitié avec l’Algérie et a même reconnu la RASD en 1984. Depuis cette date les Présidents qui se sont succédés en Mauritanie ont poursuivi une politique de neutralité sur la question du Sahara, à égale distance d’Alger et de Rabat.
8. Peut-on parler de manque à gagner (commerce, transport, tourisme, etc.) pour la sous-région à cause de cette absence de synergie entre Maroc et Mauritanie ?
• Bien sûr qu’il y a un manque à gagner pour la sous-région du fait de l’absence de synergie entre le Maroc et la Mauritanie. Les secteurs que vous citez : commerce, transport, tourisme auraient beaucoup à gagner si les trois pays Maroc, Mauritanie, Sénégal étaient intégrés. Le cas du transport est particulièrement important, car la route qui passe par la Mauritanie dessert le Sénégal, et relie toute l’Afrique de l’Ouest.
9. Quelles pistes de solutions pourrait-on envisager pour relancer une telle synergie ?
• Vu la nouvelle politique africaine du Maroc et la question du Sahara, de bonnes relations du Maroc avec la Mauritanie sont incontournables. Il faudrait multiplier les efforts diplomatiques, la coopération technique et culturelle, les visites de personnalités officielles, et les actions de la société civile de part et d’autre. Sur le plan économique, il faut développer davantage les échanges commerciaux et les investissements. Une initiative encourageante est le récent projet de la société marocaine Unimer d’investir en Mauritanie 240 millions de dirhams dans un complexe industriel intégré de transformation et de valorisation de poissons.
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