Proclamation du Califat islamique
Faut-il s’en inquiéter ?
Par Jawad KERDOUDI
Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Le 28 Juin 2014 a été proclamé un Califat islamique par l’organisation EIIL (Etat Islamique en Irak et au Levant). Un bref historique s’impose pour comprendre ce qu’est EIIL. Après l’invasion américaine en Irak en 2003, a été créée en 2004 la Jamaat Attawhid wa Al Jihad qui a fait allégeance à Al Qaida. En 2006, cette organisation rompt avec Al Qaida, et fûrent créés le Conseil Consultatif des Moujahiddines en Irak, et l’Etat Islamique en Irak (EII). Après le départ des troupes américaines en 2010, ont commencé en Mars 2011 suite au Printemps arabe, des manifestations contre le régime syrien de Bachar Al Assad. La rébellion syrienne qui était à l’origine purement politique, s’est transformée en conflit religieux suite à l’apparition du Front Al Nosra, mouvement extrémiste d’obédience islamiste. En 2013, EII et le Front Nosra fusionnèrent pour constituer EIIL. Cette dernière organisation prit la ville de Mossoul, la 2ème grande ville d’Irak le 6 Juin, et la ville de Tikrit à 160 km de Bagdad le 11 Juin 2014.
Le 5 Juillet 2014, dans la Grande Mosquée de Mossoul, Abou Bakr Al Baghdadi s’est proclamé Calife des musulmans du monde, déclarant « Je suis le wali désigné pour vous diriger » et « Obéissez-moi tant que j’obéis à Dieu ». Du coup EIIL s’est transformée en EI (Etat Islamique), et un appel a été lancé à tous les musulmans de faire allégeance au nouveau Calife. D’après sa biographie officielle, Al Baghdadi est né à Samara en 1971 au nord de Baghdad, il serait le descendent direct de Ali Ben Ali Taleb, cousin et gendre du Prophète, et appartiendrait à un lignage dont les origines remontent jusqu’à la tribu Quraish. Au milieu des années 1990, il aurait obtenu un doctorat en études islamiques, et serait devenu prédicateur salafiste enseignant la Charia dans plusieurs mosquées en Irak. Après l’invasion américaine de l’Irak en 2003, il a créé un groupe armé, puis a été désigné à la tête d’une branche locale d’Al Qaida.
Il fût prisonnier des Américains de 2005 à 2009, et rejoint après sa libération EII (Etat Islamique en Irak) dont il devient le chef après la mort de Omar Al Baghdadi.
En relatant ces faits, on croit rêver. Comment en est-on arrivé là en plein XXIème siècle ? Il faut rappeler que le premier Califat a été instauré par Abou Bakr à la mort du Prophète en 632. Le dernier Califat a été aboli par Mustapha Kamal Atatürk en 1924 après la décomposition de l’Empire Ottoman. Pour comprendre ce qui se passe actuellement, il faut analyser la situation spécifique en Irak et plus généralement dans le monde arabe.
Après le départ des troupes américaines, l’Etat irakien est marqué par une faiblesse structurelle et chronique. Il y a absence d’identité citoyenne, puisque outre les rivalités religieuses chiites contre sunnites, existe un régime séparatiste régional (Kurdistan). Les Américains ont commis de graves erreurs, en démantelant le régime sécuritaire irakien et en permettant l’émergence d’un pouvoir chiite alors que pendant des décennies il appartenait aux sunnites. Le Premier ministre Al Malki au lieu de tenter d’unir tous les irakiens, a pratiqué une politique partisane et d’exclusion. Il s’en est suivi que l’armée irakienne n’a pas vraiment défendu les villes de Mossoul et de Tikrit, et que les populations sunnites ont donné leur soutien aux rebelles de l’EII. A cela s’est ajouté la rébellion en Syrie et la communication facile entre EII et Al Nosra étant donné que les frontières sont poreuses. Enfin les puissances régionales et internationales ont intervenu dans le conflit irako-syrien. D’un côté, les pays arabes sunnites ont encouragé la rébellion syrienne et irakienne, alors que l’Iran a apporté son soutien aux régimes en place en Syrie et en Irak. Quant aux grandes puissances, la Russie s’est rangée du côté des pays chiites, alors que l’Occident a pris partie pour les pays sunnites
Plus généralement, le monde arabe post-indépendance est malade. Les pays arabes n’ont pas réussi à construire des Etats démocratiques, fondés sur l’identité citoyenne égalitaire en droits et en obligations. Le succès économique dans la plupart des pays arabes n’a pas non plus été au rendez-vous, entraînant de grands problèmes sociaux. Enfin l’éducation non généralisé a été et est toujours de qualité médiocre. Il s’en est suivi une accumulation de frustrations qui ont été canalisées par les mouvements islamistes au détriment des partis démocratiques et modernistes. A cela s’ajoute la géopolitique étrangère basée uniquement la défense des intérêts égoïstes des Etats.
Cela dit, est ce qu’il faut s’inquiéter de la proclamation du Califat islamique à Mossoul ? Certes, il faut réagir vigoureusement à cette proclamation qu’il faut condamner avec la plus grande vigueur. La proclamation unilatérale d’un Calife se basant sur le droit divin est inacceptable et hors de propos au XXIème siècle. Il existe et il faut les développer davantage des Etats-Nations arabes et musulmans qui sont la seule alternative pour vivre dans une planète mondialisée. Outre la condamnation de la Ligue arabe, et de l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI), il faut prendre des mesures concrètes pour éradiquer ce pseudo-Califat né au Machrek, et qui peut avoir des répercussions au Maghreb. Il faut être particulièrement vigilant vis-à-vis des combattants maghrébins en Syrie et en Irak, qui de retour dans le pays pourraient être tentés de commettre des violences. Tout en prenant les mesures qui s’imposent, ce ne sont pas quelques milliers d’illuminés en Irak et en Syrie qui vont imposer leur diktat à l’ensemble du monde arabe et musulman.
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