L’Assassinat du français Hervé Gourdel
La menace djihadiste de plus en plus pressante
Par Jawad KERDOUDI
Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Le français Hervé Gourdel qui effectuait une randonnée dans les montagnes de Kabylie en Algérie a été enlevé par un groupe terroriste le 21 Septembre et décapité le 24 Septembre 2014 après un ultimatum au gouvernement français d’arrêter les attaques aériennes contre l’Etat islamique (EI) en Irak et en Syrie. Ce groupe «Jounoud Al Khalifa » (Soldats du Khalifa) avait fait allégeance à EI fin Août 2014. Alors que l’Algérie prétendait avoir mis fin au terrorisme suite à la décennie 1990-2000 qui avait fait plus de 200.000 victimes, ce nouveau crime abject et odieux fait revenir dans le pays le spectre de la peur. Déjà à la mi-janvier 2013, un groupe de terroristes dirigé par Mokhtar Belmokhtar avait attaqué le site gazier de In Amenas causant la mort de 38 otages. Plus grave encore Al Qaida Central dirigé par Ayam Al-Zawahari est de plus en plus supplanté, y compris au Maghreb, par EI qui est plus totalitaire et qui dispose d’une plus grande maîtrise de l’internet et des réseaux sociaux. En tous cas, devant ce grave évènement le gouvernement algérien a réitéré sa détermination à poursuive sa lutte contre le terrorisme sous toutes ses formes.
Pour ce qui est de l’Etat islamique un bref historique s’impose. Après l’invasion américaine de l’Irak en 2003, a été créée en 2004 le Jammaat Attawhid Wa Al Jihad qui a avait fait allégeance à Al Qaida. En 2006, cette organisation rompt avec Al Qaida et fut créé l’EII (Etat Islamique en Irak). De l’autre côté de la frontière en Syrie, est apparu contre le régime de Bachar Al Assad le Front Al Nosra, mouvement extrémiste d’obédience religieuse. EI et le Front Al Nosra fusionnèrent pour constituer l’EIIL (Etat Islamique en Irak et au Levant). Le 5 Juillet 2014 dans la grande Mosquée de Mossoul Abou Bakr Al Baghdadi s’est proclamé Calife des musulmans, et EIIL s’est transformé en EI (Etat Islamique). Le but de l’EI est de créer un Etat en Irak et en Syrie, et d’imposer la loi islamique dans sa lecture la plus rigoriste. Pour cela, il n’a pas hésité à attaquer l’armée irakienne et syrienne, à massacrer des milliers de civils, et à commettre d’horribles exactions comme la décapitation de deux journalistes américains et un travailleur humanitaire britannique. L’Etat islamique a réussi à conquérir plusieurs villes dont Mossoul et Tikrit occupant 40% de Nord de l’Irak et 25% de la Syrie.
On peut expliquer l’émergence de l’EI par des raisons à la fois internes et externes. Pour ce qui est de l’Irak, certes l’invasion américaine le 2003 a permis de se débarrasser du dictateur Sadam Hussein. Mais les Américains ont commis de graves erreurs après la chute du régime, en démantelant l’armée et les forces de sécurité irakiennes, et en permettant l’accession au pouvoir des chiites au détriment des sunnites. Il s’en est suivi une grande frustration de ces derniers qui ont rejoint les mouvements islamistes extrémistes. Pour ce qui est de la Syrie, des manifestations ont eu lieu suite au Printemps arabe déclenché en Tunisie en 2011, qui ont été sauvagement réprimées par le régime de Bachar Al Assad. L’Occident n’a pas intervenu militairement, ce qui a entraîné le pourrissement de la situation et l’émergence de mouvements islamistes extrémistes dont Al Nosra. Plus généralement l’Occident et notamment les Etats-Unis, par l’invasion de l’Afghanistan et de l’Irak, par le soutien inconditionnel à Israël qui a bombardé impunément la bande de Gaza pendant plus de 50 jours, ont suscité de profondes frustrations dans le monde arabe.
Face à cette situation dangereuse pour la paix mondiale, il faut à la fois une réplique militaire et une réponse politique. L’action militaire a déjà commencé par la constitution d’une large coalition de 33 pays qui comprend à la fois des occidentaux et des pays arabes. Les objectifs de cette coalition est d’affaiblir et d’éradiquer l’EI par des frappes aériennes, et par l’équipement de l’armée irakienne et l’armée libre syrienne pour les opérations terrestres. On peut se demander si les opérations terrestres permettront d’arrêter l’avancée de EI, et de reconquérir les territoires perdus. Seuls les semaines et les mois à venir permettront de répondre à cette question. La coalition consiste également à assécher les sources de financement de l’EI et d’empêcher les combattants arabes et occidentaux de rejoindre l’EI. Une résolution contraignante a été prise dans ce sens par le Conseil de Sécurité de l’ONU le 24 Septembre 2014. Les combattants étrangers dans l’EI sont estimés à 15.000 provenant de 80 pays dont 1200 du Maroc, 1000 de France et 500 du Royaume-Uni.
La réponse politique a déjà débuté en Irak par la constitution d’un gouvernement pluraliste regroupant des chiites, des sunnites et des kurdes. Pour ce qui est de la Syrie, où le problème est plus complexe, il faut tout mettre en œuvre pour le départ de Bachar Al Assad et la constitution d’un gouvernement regroupant les opposants et les éléments modérés du régime. Il faut faire pression sur Israël pour une reprise rapide des négociations avec les Palestiniens afin de mettre fin définitivement à la colonisation. Enfin, il faut absolument éviter l’amalgame entre l’Islam et les actes terroristes commis par des extrémistes. La condamnation contre ces crimes horribles doit être générale y compris des musulmans qui doivent clamer que de tels actes ne sont pas commis en leur nom.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI