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Résistance courageuse des Kurdes à Kobané

La question kurde

Par Jawad KERDOUDI


Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)

Rappelons que c’est au mois de Juin 2014 que l’EIIL (Etat Islamique en Irak et au Levant) a entrepris une action armée d’envergure lui permettant de conquérir 40% du Nord de l’Irak et 25% de la Syrie. Pour institutionnaliser ces conquêtes, fût proclamé le 5 Juillet 2014 le Califat islamique, et l’EIIL s’est transformé en EI (Etat islamique). Suite à des exactions commises par EI, notamment l’exécution de chiites et de non-musulmans, et la décapitation de deux journalistes américains et un travailleur humanitaire britannique, une coalition conduite par les Etats-Unis et composée d’une vingtaine de pays s’est constituée pour affaiblir et détruire l’Etat islamique. Les objectifs de cette coalition sont triples : combattre les jihadistes, affaiblir leurs sources de financement, empêcher les jihadistes d’autre pays de rejoindre l’EI. Seulement cette coalition n’a prévu que des frappes aériennes, et l’armement des combattants syriens modérés et des kurdes pour les opérations terrestres.

Les frappes aériennes étant inopérantes, les combattants de l’EI attaquèrent le 16 Septembre 2014 la ville de Kobané qui jouxte la frontière turque et présente un intérêt stratégique. L’EI obtint dans les premières semaines un succès rapide, lui permettant d’occuper 30% de la ville surtout dans les quartiers sud. Il s’en est suivi des centaines de morts surtout des civils, et près de 300.000 réfugiés dont 200.000 en Turquie. Cependant au 34ème jour de siège, Kobané résiste grâce au courage des YPG (Unités Kurdes de Protection du Peuple) qui ont reçu des armes des occidentaux, et des frappes aériennes qui sont mieux ciblées du fait d’une coordination entre la coalition et les combattants kurdes au sol. A noter que la Turquie qui est membre de la coalition et dont la frontière est toute proche de la zone des combats n’intervient pas militairement, et empêche les réfugiés kurdes de rejoindre Kobané pour porter main-forte à leurs coreligionnaires. Cette position de la Turquie apparemment incompréhensive s’explique par le fait qu’elle craint qu’une victoire des kurdes d’Irak puisse influencer les négociations en cours entre le gouvernement turc et le PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) qui réclame l’indépendance.

La question kurde est en effet assez complexe et remonte loin dans l’histoire. La notion de peuple kurde remonte au Xème siècle et désigne une population autochtone du Proche-Orient qui descend des Medes (Perses). Mais c’est la première guerre mondiale qui a scellé l’avenir des kurdes après la disparition de l’Empire Ottoman. Alors que le Traité de Sèvres de 1920 avait fait mention d’un territoire autonome des kurdes au Sud-Est de l’Anatolie, le Traité de Lausanne en 1923 a mis sous protectorat français la Syrie et le Liban, et sous protectorat britannique l’Irak, ignorant ainsi les revendications kurdes. Dès 1924, une première insurrection des kurdes a eu lieu en Turquie et même la République d’Arrarat a été proclamée en 1927. En 1931 les Turcs ont mis fin à la république d’Arrarat. Quant aux kurdes d’Irak, ils ont mené une guerre contre l’Etat central de 1925 à 2003. Les kurdes d’Iran de leur côté ont proclamé la république de Mahabad de l’Ouest du pays en 1946 qui a duré moins d’une année. Pendant toute cette période de luttes, les kurdes ont subi des persécutions et de la répression tendant à leur interdire leur langue, leurs coutumes, leurs associations et leurs partis publics. On a même parlé de génocide quand Saddam Hussein a fait périr au gaz 5.000 kurdes en 1988 à Halabja.

Valeur aujourd’hui, la population kurde est estimée à 30 millions, dont 15 millions en Turquie, 7 millions en Iran, 5 millions en Irak et 3 millions en Syrie. Ce n’est pas la religion, mais la langue et la culture qui constituent l’unité du peuple kurde. En effet, si 80% des kurdes sont des musulmans sunnites, il existe également des chiites, des Alévites et des Yezides. L’entité kurde la plus autonome est en Irak du fait que la Constitution de 2005 a opté par un statut fédéral. Cette entité dispose d’un gouvernement régional du kurdistan (GRK), d’une capitale Erbil, et d’une force armée (Peshmergas) de 190.000 hommes. Elle dispose de pouvoirs importants, notamment pour l’exploitation du pétrole du fait qu’elle peut conclure des contrats d’exportation sans l’accord préalable de Bagdad.

En Turquie les négociations entre le gouvernement turc et le PKK ont été rompues suite à l’attaque de Kobané par les combattants de l’Etat islamique. Pour ce qui est des kurdes de Syrie, la situation est très confuse du fait des combats qui continuent dans la région. Quant à l’Iran, si les kurdes sont surveillés par l’armée, il existe une Province du Kurdistan, la langue kurde est officiellement reconnue, et les kurdes disposent de députés au Parlement iranien.

En conclusion et sans aller jusqu’à l’indépendance, les minorités kurdes en Turquie, Iran, Syrie ont droit au moins à un statut comparable à celui de l’Irak.

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