Les deux rives de la Méditerranée
Quel rôle pour la société civile ?
Par Jawad KERDOUDI
Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
On ne peut que constater malheureusement un grand déséquilibre entre les deux rives de la Méditerranée. Alors que le Nord sur le plan politique est unifié dans le cadre de l’Union européenne qui regroupe 28 pays, le Sud est désuni du fait de la paralysie de l’Union du Maghreb arabe. Le Nord a réussi à instaurer la paix et la prospérité, tandis que le Sud vit une instabilité politique suite au Printemps arabe, et un afflux d’émigrés clandestins vers le Nord. Le même déséquilibre se ressent sur le plan économique puisque alors que le PIB moyen par habitant de l’UE est de 34.342 $, il n’est que de 3.456 $ pour la région Mena. Le Nord a pu mettre en œuvre des politiques communes dans plusieurs domaines, alors que le Sud s’est contenté du Traité d’Agadir qui regroupe le Maroc, la Tunisie, l’Egypte et la Jordanie. Sur le plan social, le déséquilibre est également important puisque l’IDH dans le Nord est de l’ordre de 0,88 alors que dans le Sud il est de 0,65. Ceci ne veut pas dire que le Nord de la Méditerranée est un paradis et le Sud un enfer. Au Nord deux fléaux persistent : le chômage élevé et la faible croissance, alors que la population stagnante est de plus en plus vieille. Au Sud la population est jeune et en développement, et la croissance économique supérieure à celle du Nord. Il faut aussi signaler au Sud l’exception du Maroc qui bénéficie d’une grande stabilité politique, d’une bonne croissance économique, et d’un dynamisme des investissements aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur et notamment en Afrique Subsaharienne.
Les relations Nord-Sud de la Méditerranée sont très anciennes dans l’histoire. Si on ne prend que la période contemporaine, elles ont été marquées en 1995 par le Processus de Barcelone qui avait une approche multilatérale, et qui était très ambitieux puisqu’il préconisait un espace de paix et de prospérité et un esprit de dialogue et de solidarité. Ce Processus qui ambitionnait la création d’une zone de libre-échange Euro-méditerranéenne était accompagné d’une aide financière et de prêts au profit des pays du Sud. Malheureusement, le bilan du Processus de Barcelone a été très mitigé et n’a pas atteint les résultats escomptés. Il fût remplacé en 2004 par la Politique européenne de voisinage (PEV) qui a instauré une approche bilatérale, et qui a concerné les voisins de l’Union européenne aussi bien à l’Est qu’au Sud. Plusieurs programmes de développement ont été mis en œuvre par la PEV concernant des dons (Tacis et Meda), ou des prêts de la Banque européenne d’investissement (BEI). En 2005, le second Sommet de Barcelone a surtout traité des questions sécuritaires : attentats terroristes et immigration clandestine. En 2008, fut crée l’Union pour la Méditerranée (UPM) qui regroupe 45 pays membres et qui avait à l’origine de vastes ambitions : transports, environnement, énergies renouvelables, protection civile, université. Cependant cet ensemble composite n’a eu jusqu’à maintenant qu’un très faible bilan du fait d’un manque de financement et du désintéressant des pays membres. Plus efficace a été le Groupe 5+5 créé en 1990 et qui regroupe les pays riverains de la Méditerranée au Nord : l’Espagne, la France, l’Italie, Malte et le Portugal, et au Sud : l’Algérie, la Libye, le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie. Malgré son caractère informel et plus technique que politique, ce Groupe a obtenu des résultats tangibles dans les domaines sécuritaires et de transports.
Le bilan global des relations Nord-Sud de la Méditerranée n’a pas répondu aux aspirations des peuples riverains de la Méditerranée. Certes, des Accords d’association ont été signés par l’Union européenne avec les pays du Sud de la Méditerranée. Ces Accords ont donné lieu à des dons et des prêts au profit des pays du Sud, mais n’ont pas permis l’intégration à l’Europe comme les pays de l’Est de l’Europe après la chute de l’URSS. Le Nord a soutenu avant le Printemps arabe certains régimes autoritaires du Sud par crainte de la menace islamiste, et la coopération a surtout concerné les Etats et a négligé la société civile. Enfin, a été instauré le système implacable des visas qui a transformé l’Europe en forteresse et n’a pas permis la libre circulation des personnes entre le Nord et le Sud.
La société civile peut jouer un rôle déterminant dans le rapprochement entre les deux rives de la Méditerranée. Elle le fait déjà à travers des réseaux Euro-méditerranéens où l’IMRI est un acteur actif, tels que Euromesco qui traite du volet politique, et Femise du volet économique. Les moyens d’action de ces réseaux sont des articles, des rapports, des publications, des conférences et des séminaires, ainsi que des sites web spécifiques. Il faudrait multiplier ces réseaux pour apprendre à se connaître et à travailler ensemble afin de promouvoir les relations Nord-Sud. L’Union européenne doit soutenir la démocratie et les droits de l’homme dans les pays Sud-méditerranéens. Elle doit faciliter la mobilité des personnes et encourager la société civile par des subventions. Elle doit aider au développement économique et social des pays Sud-méditérrenéens et lutter contre l’islamophobie en Europe. L’Union européenne doit encourager la construction maghrébine et renforcer le Groupe 5+5 qui est le plus efficace pour résoudre les problèmes des deux rives de la Méditerranée.
En conclusion, Il faut aussi souhaiter que les gouvernements aussi bien du Nord et du Sud puissent davantage tenir compte des recommandations de la société civile dont le plus grand souhait est de transformer la « Mare nostrum » en un espace de paix et de prospérité partagée.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI