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ANTISEMISTISME, ISLAMOPHOBIE, XENOPHOBIE : MEME COMBAT

Dominique Martin
Professeur des Universités émérite,
Membre du Conseil d’Administration de l’IMRI, Casablanca

L’Europe, et particulièrement la France, ont connu, à travers les récentes attaques terroristes, une recrudescence d’actes racistes, tant sous la forme de provocations islamophobes que d’agressions à caractère antisémite. A Paris, à Bruxelles, au Danemark comme à Tunis, les porteurs de mort visent, non seulement la liberté d’expression, mais aussi les symboles et les personnes de confession juive. Terrorisme qui frappe sans distinction d’appartenance religieuse ni ethnique ; sans même invoquer, toujours, une cause politique (comme ce fut le cas, des mouvements violents qui se donnaient pour objectif la « libération nationale »). A quoi des individus isolés ou des groupes néo-fascistes répondent par des actes islamophobes : on ne compte pas moins de 222 agressions, de nature diverse, en France, au premier trimestre 2015 (source : observatoire national contre l’islamophobie), soit 6 fois plus qu’à la même période en 2014. A titre de comparaison, le rapport du CRIF sur l’antisémitisme montre une progression de 100% des actes antisémites depuis 2013 (881 actes recensés), menaces et agressions confondus. Un antisémitisme qu’on ne peut expliquer par des effets de seuil (les juifs représentent 1% de la population française, tandis que 51% des crimes racistes sont dirigés contre les juifs).

L’affaire Le Pen : un révélateur de l’idéologie française



Les politiques français tentent de réagir, considérant qu’il ne suffit pas de renforcer les dispositifs de lutte contre le terrorisme, mais qu’il faut aussi s’attaquer aux expressions racistes dans l’espace public. Les divagations réitérées de Jean Marie Le Pen, fondateur et Président d’honneur du Front national, sur la négation des chambres à gaz, ne doivent pas faire illusion : l’affaire ne relève pas d’un simple psychodrame familial. Marine Le Pen, qui s’oppose désormais ouvertement à son père est – de l’avis des commentateurs politiques- beaucoup plus dangereuse : le père se complait dans une idéologie surannée, héritière du fascisme hitlérien ; la fille, elle, cherche à « dé-diaboliser » le vieux parti de droite extrême. Mais le logiciel du parti des Le Pen (père, fille et petite fille) reste profondément xénophobe, surfant sur les peurs et les rancoeurs de tous les perdants de la mondialisation. A vrai dire, cette xénophobie, réactivée particulièrement dans des temps de crise, prend racine dans ce que le philosophe Bernard Henri Lévy appelait, dans les années 80, l’idéologie française : une nébuleuse d’idées propagées, dès le début du XIX° siècle, par des tenants d’une « révolution conservatrice », et devenues, depuis le régime de Vichy, dirigé par le Maréchal P. Pétain, le ciment de croyances banalisées, y compris parmi les couches populaires.



De l’antisémitisme à l’islamophobie : l’impossible intégration nationale



L’antisémitisme continue à servir de référentiel pour les imaginaires racistes destructeurs. On peut en distinguer trois dimensions. La première représentation stigmatisante du Juif est liée à l’histoire de la chrétienté : le Juif, c’est celui qui a tué le Christ, et, qui reste frappé d’une malédiction qui court à travers les siècles en Occident. Ennemi rêvé pour les droites extrêmes, qui l’ont étiqueté comme « cosmopolite » (donc in-intégrable par nature). C’est selon la même logique que ces mouvements définissent l’image négative de l’Arabe : un migrant dangereusement venu du Sud (même si, dans un pays comme la France, le patronat accueillit avec satisfaction l’afflux massif de la main d’œuvre maghrébine, dès les années 60). L’Arabe constitue, lui aussi, une « singularité » : tous les autres immigrés (qu’on pense aux italiens ou aux polonais, dès les années 1920) s’intègrent dans la nation, mais pas lui (car il est porteur d’une religion inassimilable dans la République).

Le Juif est aussi celui qui, usant de stratagèmes, tend à s’immiscer partout et à conquérir progressivement les positions les plus hautes du pouvoir, de la finance, des médias (qu’on se souvienne de la fameuse exposition consacrée à la race juive, à Paris, en 1942, où les autorités de l’époque exhibent les contours du « mauvais français »). Le fantasme du « Je suis partout » (cher à Vichy) n’a guère de mal à refaire surface dans les esprits. Depuis la crise, c’est l’Arabe qui endosse aussi l’habit. Signe évident de son arrimage au racisme et à la xénophobie, le Front national proclame ouvertement que les musulmans de France, si l’on n’y prend garde, vont coloniser notre bon pays. Les cibles sont habillement choisies en référence à la vie quotidienne : la viande hallal serait banalisée, du fait même des pratiques courantes des abattoirs ; les familles arabes entendraient faire la loi à l’école, en imposant la conception des menus ; et peu à peu, les cités (déjà souvent zones de non droit), passeraient sous la coupe de délinquants et de mafias (arabes, bien entendu !)



Le Juif, « ennemi intérieur » et l’Arabe, « complice » du terrorisme



Enfin, chaque évènement terroriste sert désormais de prétexte pour renforcer le discours de l’amalgame : le Juif était décrit, dans l’entre deux guerre, en France, et, surtout, sous le régime de Vichy, sous la figure de « l’ennemi intérieur » ; les musulmans se voient de plus en plus souvent stigmatisés comme des « étrangers », ou, comme des français « pas comme les autres ». Bien qu’intégrés pour la plupart, et souvent de longue date, ils sont placés dans l’obligation de justifier qu’ils sont de « bons français » (comme si désormais pesait sur chacun d’entre eux le soupçon de collusion avec le terrorisme de Daech). Telle est l’ambiguïté de phrases en apparence anodines comme celle du philosophe A. Finkelkraut, déclarant, il y a quelque temps : « Il y a un problème de l’Islam en France ». Mots bien malheureux, non seulement parce qu’on les répète à l’envie sans chercher à analyser, mais surtout parce qu’elles résonnent étrangement dans l’inconscient avec ce qui fut jadis appelé la « question juive ». D’où le désarroi de bon nombre de musulmans, qui peinent d’ailleurs à répliquer à cette stigmatisation rampante, tandis que la plupart de intellectuels arabes restent trop souvent silencieux dans l’espace public. Le problème se complique car, pour bien des opinions arabes, les juifs sont eux-mêmes, désormais, associés à la figure d’un terrorisme d’Etat, perpétré contre les arabes. Et, parallèlement, dans une fraction de la jeunesse sans espoir de certaines « banlieues difficiles » françaises, la tentation est grande de justifier la haine du Juif, du fait de la réprobation des actes de violence disproportionnés, commis par l’Etat d’israël. Seule une volonté de clarification historique, de la part des parties adverses, permettrait de combattre les amalgames. Mais l’imaginaire qui est à l’œuvre charrie des passions sans doute difficilement solvables dans un débat purement rationnel.



Un imaginaire de la destructivité entretenu par les droites extrêmes



Quelles sont, au-delà des différences historiques, les lignes de force qu’exprime cette nébuleuse de croyances, dont les droites extrêmes font commerce ? la valorisation d’un monde de l’entre soi, faussement identitaire ; la peur, voire la haine de l’étranger ; la mobilisation des affects contre un « ennemi » potentiel, accusé de s’insinuer sournoisement au cœur de la nation. Ces diverses formes de xénophobie renvoient, plus fondamentalement, à la permanence du phénomène du « bouc émissaire » : comme l’a analysé de longue date R. Girard, chaque groupe social, particulièrement dans les périodes de crise, et afin de ressouder ses membres, est tenté de reporter sur un « étranger » la responsabilité des désordres de la cité. Nous savons tous que la lutte doit recommencer sans cesse, car, comme le dit bien B. Brecht : « Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde ». Parce que, par delà des inévitables conflits charriés par l’histoire, les peuples doivent encore et toujours apprendre, qu’il ne peut y avoir de « vivre ensemble », sans l’acceptation de la différence de l’Autre.







CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI

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