Crise migratoire européenne
Par Jawad KERDOUDI Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Nul ne peut rester insensible à la grave crise migratoire qui se déroule actuellement en Europe sous nos yeux grâce à la télévision et aux réseaux sociaux. Les drames humanitaires se multiplient et se succèdent avec la même horreur. Citons à titre d’exemple et seulement pour l’année 2015 un naufrage le 26 Août au large de la Libye avec 50 cadavres, le 27 Août 71 migrants sont retrouvés morts dans un camion en Autriche, et peut-être le plus emblématique le 2 Septembre où un enfant de 3 ans Aylan Kurdi a été retrouvé mort sur une plage de Turquie.
Cette crise migratoire en Europe s’est accentuée à partir des années 2010. L’origine des migrants était l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie du sud-est auxquels se sont ajoutés en 2015 un grand nombre des réfugiés syriens. Entre Janvier et Août 2015 432.000 migrants ont franchi la Méditerranée qui sont en grande majorité des demandeurs d’asile, avec une prévision de un million pour toute l’année 2015. L’organisation internationale pour les migratoires OIM a révélé 2.748 migrants morts ou disparus en Mer Méditerranée pendant l’année 2015. Le transport des migrants se fait principalement par des passeurs moyennant une forte rémunération. Les itinéraires utilisés par les migrants sont principalement la Méditerranée et dernièrement les Balkans surtout Hongrie et Croatie.
Les causes de cette crise migratoire en Europe la plus forte depuis la seconde guerre mondiale sont d’ordre économique et politique. Les migrants économiques proviennent majoritairement d’Afrique et d’Asie. Pratiquement toute l’Afrique est concernée par ce phénomène migratoire avec cependant un fort pourcentage provenant de l’Afrique Subsaharienne. Pour l’Asie, les migrants proviennent principalement d’Afghanistan, Bangladesh, Inde et Pakistan. En effet dans ces pays le développement économique est insuffisant pour offrir une activité économique ou un emploi à tout le monde. D’où la tentative de se rendre en Europe où l’économie est plus développée et les prestations sociales plus généreuses. La seconde cause de l’immigration est dûe aux guerres civiles consécutives au Printemps arabe notamment en Libye et en Syrie. Dans ce cas, une partie de la population fuit ces pays car elle ne se sent plus en sécurité. Ce sont des familles entières qui prennent le risque incommensurable de s’aventurer sur les routes de l’exil et d’affronter les risques de la mer. C’est ainsi qu’on estime à 4,6 millions les migrants de Syrie qui se sont réfugiés principalement en Turquie, (2M), Liban (1,1M) et Jordanie (629.000) avant de tenter l’Europe.
La gestion de la crise migratoire par l’Union européenne a été chaotique. Sur le plan juridique les problèmes de migration sont régis par les Accords de Schengen et de Dublin. L’Espace de Schengen est constitué de 26 Etats dont 22 de l’Union européenne et 4 Etats de l’AELE (Islande, Norvège, Liechtenstein et Suisse). Dans cet espace, les frontières intérieures sont abolies et remplacées par des contrôles aux frontières extérieures. Les Accords de Dublin spécifient que c’est le premier Etat membre où entre un demandeur d’asile qui est responsable de la demande d’asile. Théoriquement, ceux qui ne peuvent pas bénéficier du droit d’asile devraient être reconduit vers les pays d’origine ou de transit. L’Union européenne a créé parallèlement des institutions pour gérer les flux migratoires. C’est le cas de Frontex créée en 2004 et dont le siège est à Varsovie. Elle est responsable de la coordination des activités des gardes-frontières pour le maintien de la sécurité des frontières de l’Union. C’est aussi le cas de Nafvor Med qui est chargée de lutter contre les réseaux de trafiquants de migrants. Elle est dotée de moyens de guerre maritimes et aériens, mais ne peut intervenir sans une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU dans les eaux territoriales des pays du sud de la Méditerranée.
Aussi bien le cadre juridique de l’Union européenne que les institutions mises en place n’ont pu apporter une réponse satisfaisante à la crise migratoire. D’une part, les pays frontaliers européens (Italie, Espagne, Grèce, Hongrie) ont été submergés par les migrants et ont demandé à plusieurs reprises le changement des Accords de Dublin pour assurer une meilleure répartition des migrants à travers tous les pays de l’Union. D’autre part, contrairement aux Accords de Schengen les contrôles aux frontières intérieurs ont été rétablis par certains pays de l’Union. Face à cette situation, le Président de la Commission européenne Jean-claude Juncker a fait des propositions de répartir entre les 28 pays membres de l’Union 160.000 réfugiés selon un quota pour chaque pays et de réviser les Accords de Dublin. La proposition du quota par membre a été fermement repoussée par certains pays de l’Est : Hongrie, République Tchèque, Lettonie, Slovaquie, Lituanie. Le Conseil de l’Union européenne du 22 Septembre 2015 regroupant les ministres de l’intérieur des pays membres a voté à la majorité qualifiée de repartir 120.000 réfugiés, mais cette répartition n’est ni obligatoire ni permanente. Il a proposé également la création en Italie et en Grèce des Hotspots pour l’identification et l’enregistrement des migrants avant leur répartition. Enfin le Sommet européen du 23 Septembre 2015 à mobilisé un milliard d’euros pour le HCR, et le PAM (Programme alimentaire mondial), décidé l’aide au Liban, Jordanie, Turquie, accroître le financement pour le développement économique de l’Afrique, et chercher une solution diplomatique pour rétablir la stabilité en Syrie et en Libye.
En conclusion, la crise migratoire a montré que l’Union européenne n’a pas été préparée pour l’affronter, et qu’un clivage sur cette question est apparu entre l’Ouest et l’Est de l’Europe. La gestion de la crise a été très laborieuse et a montré que chaque Etat membre a d’abord défendu ses intérêts nationaux. Quoiqu’il en soit et par respect des valeurs humanitaires qui ont présidé à sa création, l’Union européenne doit tout mettre en œuvre pour un accueil digne des migrants sans aucune discrimination, ces derniers ayant fui leur pays pour sauver leur vie. Il faut que l’Union européenne agisse d’une façon solidaire, car aucun pays européen seul ne peut résoudre la question migratoire, étant donné la facilité de circulation entre les pays membres et que certains pays de l’Union n’ont que de faibles moyens. Au-delà du volet humanitaire, il est prouvé que l’immigration est un investissement profitable à long terme, d’autant plus que la démographie européenne est déclinante. C’est ainsi que sans l’apport d’immigrants, la population de l’Union européenne diminuerait de 338 millions actuellement à 330 millions en 2050.
Enfin, il y a lieu de résoudre la source du problème de la migration qui est d’une part le sous-développement économique et social qui frappe plusieurs pays d’Afrique et d’Asie, et les guerres civiles qui ravagent la Libye et la Syrie. L’Union européenne doit mettre en œuvre un véritable plan Marshall au profit de l’Afrique dont la population va doubler d’ici 2050. La communauté internationale doit également trouver une solution politique en Syrie pour rétablir la stabilité, et aider à la formation d’un gouvernement d’Union nationale en Libye.
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