Relations Maroc Union Européenne
Suite à l’arrêt de la Cour européenne de justice
Interview accordée au mensuel
« Le Maroc diplomatique »
Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales) Par Jawad Kerdoudi
1) On connaissait les relations plus ou moins tendues entre le Maroc et l’Union européenne à propos de l’Accord agricole du 8 mars 2012. On se rappelle aussi qu’un certain nombre de gouvernements s’efforcent de la saboter voire de l’abroger. Mais on ne pouvait imaginer que, saisie par eux, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) arriverait si vite à l’annuler, jeudi 10 décembre, par un arrêt unilatéral, dans ses parties significatives. Qu’en pensez-vous ?
- C’est en effet avec surprise que j’ai appris la décision de la Cour de Justice européenne d’annuler l’Accord agricole du 8 Mars 2012. Cet Accord a en effet été approuvé par le Conseil européen et le Parlement européen. De plus, il est en application depuis 3 ans et est le résultat des négociations commerciales où des concessions mutuelles ont été accordées pour en faire un Accord juste et équitable.
2) Le Maroc a-t-il des raisons réelles pour s’inquiéter de l’avenir de ses relations avec l’Union européenne ? La volonté d’interjeter appel, à travers la Commission et le Conseil de l’UE, vous paraît-elle susceptible de bloquer la clause de l’Arrêt consistant à « demander l’annulation de l’accord avec effet immédiat. » ?
- Je ne pense pas que le Maroc a des raisons réelles pour s’inquiéter de l’avenir de ses relations avec l’Union européenne. Je rappelle que ces relations sont très anciennes. Elles ont débuté en 1969 par un Accord commercial, puis se sont développées avec l’Accord de Coopération de 1976 et l’Accord d’Association de 1996. De plus, le Maroc a été le seul pays méditerranéen à obtenir de l’Union européenne le Statut avancé en 2008. La Commission européenne a d’ores et déjà rejeté le jugement de la Cour européenne de justice, et le Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne a adopté le 14 Décembre 2015 un pourvoi en appel de cette décision. Je suis optimiste quant à la décision en appel en faveur du Maroc.
3) Pourriez-vous nous détailler ce qui est effectivement en cause dans cet arrêt de la Cour de justice européenne ?
- Le problème concerne l’application de cet Accord dans nos provinces sahariennes. La Cour de Justice veut être sûre que le bénéfice de cet Accord profite à la population vivant au Sahara. La Maroc avait refusé de répondre à cette question, considérant que ces provinces appartiennent au territoire national, et qu’il n’y a pas lieu de faire une différence entre le Nord et le Sud du Royaume. Il aurait fallu pour ma part mettre davantage en lumière que les provinces sahariennes coûtent au Maroc plus qu’elles ne rapportent, et qu’effectivement ce sont les exportateurs sahraouis qui bénéficient directement de l’Accord tant en ce qui concerne les produits de l’agriculture que de la pêche. Ceci d’autant plus que le 6 Novembre 2015 a été lancé un vaste programme de développement des provinces du sud de plusieurs milliards de dirhams.
4) La haute représentante de la diplomatie européenne, Mme Mogherini, sans doute par souci de rassurer le Maroc, avait déclaré le jour de la décision de la CJUE que « les accords bilatéraux » conclus entre le Maroc et l’UE « ne sont pas remis en cause ». Cela signifie quoi au juste, les « accords bilatéraux » ?
- En parlant des Accords bilatéraux entre le Maroc et l’Union européenne Madame Mogherini désigne tous les Accords et notamment l’Accord agricole. C’est pour cela que toutes les garanties ont été données pour que les exportations agricoles et de pêche marocaines bénéficient encore à présent des dispositions de l’Accord du 8 Mars 2012.
5) On affirme à Rabat que la sentence prononcée par la Cour de justice de l’Union européenne a un caractère politique plus qu’explicite ! Autrement dit, elle est le résultat du lobbie algérien. C’est donc un déplacement de la stratégie algérienne vers le terrain économique pour gêner le Maroc ?
- C’est vrai que ce jugement de la Cour de Justice de l’Union européenne a un caractère politique puisqu’il s’agit de l’application de l’Accord agricole dans nos provinces sahariennes. C’est suite à une requête du Polisario appuyée comme d’habitude par l’Algérie que la Cour a examiné ce cas. Malheureusement, la stratégie algérienne contre notre intégrité territoriale est multidimensionnelle. Elle est à la fois politique et économique. Elle s’est exercée longtemps sur la question des droits de l’Homme au Maroc, en demandant l’élargissement des pouvoirs de la Minurso au contrôle des droits de l’Homme dans les provinces sahariennes. L’Algérie n’a pas changé de position sur le Sahara depuis 1975, et il faut que le Maroc reste vigilant et proactif pour défendre sa cause nationale.
6) Vous avez suivi pendant des décennies le dossier Maroc CEE, ensuite Maroc Union européenne au point d’en être devenu l’expert attitré. Qu’est-ce qui a changé entre la première et la deuxième époque ? Quel est selon vous l’avenir entre les deux partenaires ?
- Comme déjà dit, les relations entre le Maroc et l’Union européenne ont commencé en 1969 et sont passées par plusieurs étapes. Toutes ces étapes ont concerné leur approfondissement pour aboutir en 2008 au Statut avancé. A partir du 1er Mars 2012, tous les produits industriels sont échangés entre le Maroc et l’Union européenne en exonération des droits de douane. Des négociations sont en cours dans le cadre de l’Aleca par inclure également les services. Je suis très optimiste par l’avenir des relations du Maroc avec l’Union européenne car les deux parties y ont intérêt. Deux tiers des exportations marocaines sont orientées vers l’Union européenne, qui se situe au premier plan au niveau des IDE au Maroc et des transferts des RME et des touristes. Certes le Maroc doit diversifier son économie vers l’Afrique, l’Amérique et l’Asie, mais l’Europe est incontournable pour notre pays à la fois sur le plan politique, économique, social et culturel. L’Union européenne a également intérêt à maintenir d’étroites relations avec notre pays. Sur le plan politique, le Maroc est un exemple de transition démocratique pour les pays sud-méditerrannéens perturbés après le Printemps arabe. Le Maroc peut apporter à l’Europe son expertise et son expérience en matière de sécurité pour combattre le terrorisme et les trafics de tous genres. Le marché marocain est également un bon débouché pour les produits et services de l’Union européenne, et s’élargit de plus en plus grâce aux secteurs économiques nouveaux tels que l’automobile, l’aéronautique, et les énergies renouvelables. Il faut rappeler que le commerce extérieur entre le Maroc et l’Union européenne est excédentaire pour cette dernière (Excédent de 70,5 MM de Dh en 2014). Une décision en première instance de la Cour de justice européenne ne peut mettre en cause l’édifice construit patiemment entre le Maroc et l’Union européenne depuis des décennies.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI