Relations Internationales
Bilan 2015 et Prévisions 2016.
Par Jawad KERDOUDI Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
L’année 2015 sur le plan international a été incontestablement dominée par la lutte contre l’Etat islamique et le terrorisme jihadiste qui a frappé plusieurs pays du monde. Les frappes aériennes occidentales et les opérations au sol de l’armée irakienne, des forces démocratiques syriennes et des kurdes, ont permis de passer d’une phase d’endiguement à une phase de refoulement. Si en Mai 2015 l’Etat islamique a pu s’emparer de Ramadi en Irak et Palmyre en Syrie, il n’a pas pu conquérir Kobané en Janvier 2015, et a perdu pendant le second semestre 2015 plusieurs villes : Tal Abyad en Syrie, Baiji, Sinjar et Ramadi en Irak. D’après des estimations fiables, l’Etat islamique a perdu en 2015 14% de son territoire qui constitue actuellement 78.000 km2 soit la superficie de la République tchèque. Il a aussi perdu une partie de ses ressources financières depuis la destruction des puits de pétrole sur son territoire, et des mesures strictes concernant les transferts financiers à son profit. Les attentats spectaculaires de Paris en Janvier et Novembre 2015 ont renforcé la coalition anti-Daech par l’adjonction du Royaume-Uni.
La Russie de son côté, surtout après l’attentat à la bombe contre un de ses avions civils le 31 Octobre 2015 en Egypte, a multiplié les frappes aériennes contre Daech, mais aussi contre les forces démocratiques syriennes, du fait de son soutien inconditionnel au régime de Bachar Al Assad. A la mi-Décembre 2015, l’Arabie Seoudite a annoncé la création d’une coalition militaire et idéologique de 34 pays musulmans pour combattre l’Etat islamique. Enfin sur le plan diplomatique, une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU du 18 Décembre 2015 a prévu une conférence à Genève fin Janvier 2016 pour entamer les négociations entre le régime de Bachar Al Assad et l’opposition syrienne. A part le conflit irako-syrien, le Moyen-Orient a vécu en 2015 une guerre civile au Yémen, du fait de l’antagonisme persistant chiites-sunnites conduit principalement par l’Iran et l’Arabie Seoudite. Ceci alors que la question palestinienne est dans l’impasse et qu’une troisième intifada a failli avoir lieu pendant le dernier trimestre 2015.
Parallèlement à la crise du Moyen-Orient, l’Europe a vécu une année 2015 particulièrement mouvementée. Outre les attentats de Paris déjà mentionnés, une vague d’un million de migrants a envahi ses frontières en provenance principalement de Syrie. L’Union européenne n’était pas préparée à une telle invasion qui s’est déroulée dans des conditions catastrophiques : naufrages en mer, logistique défaillante, lieux d’accueil insuffisants. Un sentiment anti-immigration s’est répandu partout en Europe particulièrement dans les pays de l’Est européen, à l’exception de l’Allemagne où la Chancelière Angela Merkel a fait montre de compréhension et d’humanité. La division des Etats européens concernant les problèmes de l’immigration était telle qu’elle a failli mettre en cause l’espace Shengen qui permet la libre circulation des personnes entre 26 Etats européens. A noter qu’une aide de 3 milliards d’euros a été accordée par l’Union européenne à la Turquie pour améliorer la situation des 2 millions de migrants se trouvant sur le sol turc et empêcher leur départ vers l’Europe. Outre le problème de l’immigration, l’Union européenne a été confrontée à la crise grecque dont la solution a permis à la Grèce de ne pas quitter l’Union. Quant à la question de l’Ukraine, un accord de paix a été signé le 12 Février 2015 à Minsk. Cependant la frontière orientale de l’Ukraine reste sujette à des perturbations, et les sanctions européennes contre la Russie ont été maintenues. Enfin un événement positif a eu lieu à Paris à la fin de l’année 2015 concernant la Cop 21, où un accord a pu être signé entre 195 pays pour réduire l’augmentation de la température mondiale a moins de 2 degrés à l’horizon 2100.
En Amérique, l’année 2015 a constitué l’avant-dernière année de la présidence de Barack Obama aux Etats-Unis. Deux événements en relations internationales sont à inscrire en palmarès du président américain : l’Accord sur le nucléaire iranien signé à Vienne le 14 Juillet 2015, et la réouverture des ambassades américaine et cubaine le 20 Juillet 2015. Obama a dû se battre bec et ongles contre les Républicains pour faire aboutir ces deux importantes décisions. La campagne présidentielle a déjà démarré aux Etats-Unis en 2015 où deux candidats pour le moment se détachent : Hillary Clinton pour le parti démocrate, et Donald Trump pour le parti républicain. L’Amérique latine connaît quant à elle des problèmes politiques et économiques, dont une baisse de la croissance économique depuis 5 ans. En Argentine, les élections d’Octobre 2015 ont permis la victoire de Mauricio Macri représentant un parti du Centre droit au détriment de Cristina Kirchner. Au Venezuela, les élections législatives du 6 Décembre 2015 ont fait perdre la majorité au Président Nicolas Maduro dont le pays vit une grande crise économique suite à la baisse drastique du prix du pétrole sur le marché international. Quant à Dlima Roussef, Présidente du Brésil, elle est l’objet d’une procédure d’impeachment suite à des graves affaires de corruption qui ont concerné son parti.
L’Afrique a enregistré en 2015 et heureusement la fin de l’épidémie Ebola. L’économie en général a cru à un rythme avancé. Mais on peut noter un manque de stabilité démocratique dans certains pays. En Afrique du Nord, c’est surtout le cas de la Libye qui vit une situation de chaos, et où tous les efforts de la communauté internationale n’ont pas permis à ce jour de constituer un gouvernement d’union nationale. En Afrique Sub-saharienne, plusieurs chefs d’Etat ont de la peine à renoncer en pouvoir, et procèdent à des modifications de la Constitution pour exercer un nouveau mandat. C’est le cas de Paul Kagame au Rwanda, de Pierre Nkurunziza au Burundi, de Denis Sassou-Nguesso au Congo Brazzaville, de Joseph Kabila en RDC, de Alpha Condé en Guinée-Conakry et Robert Mugabe au Zimbabwe. Au dela de ces problèmes politiques, l’Afrique souffre d’une économie non inclusive et non durable.
En Asie, ce sont surtout les problèmes économiques qui ont dominé en 2015. La Chine a connu pour la première fois un ralentissement économique avec 6% de croissance, alors qu’elle était à deux chiffres auparavant. Basée sur des salaires bas et sur l’export des produits manufacturés, l’économie chinoise connaît une transition vers une économie basée sur la consommation intérieure et sur le développement des services. Le Japon malgré les efforts de premier Ministre Shinzo Abe n’arrive pas à vaincre la récession. Cette dernière guette également la Russie du fait de la baisse considérable du prix du pétrole sur le marché international. Alors qu’il était à 100$ le baril en 2014, il est passé à 60$ en 2014 et 40$ en 2016. Cette baisse des prix s’explique par une offre trop importante par rapport à la demande, du fait des investissements réalisés par les grandes compagnies pétrolières et les pays pétroliers, et du fait de l’augmentation de la production du pétrole de schiste. Elle s’explique également par le refus de l’OPEP de baisser sa production afin de garder ses parts de marché. Cette baisse du prix agit favorablement sur les pays importateurs de pétrole, mais pose beaucoup de problèmes aux pays producteurs de pétrole qui n’ont pas diversifié leur économie (Algérie, Nigeria, Argentine, Russie, Venezuela).
En conclusion, l’année 2015 a été riche en événements à la fois sur le plan politique et économique. L’urgence pour 2016 est d’éradiquer l’Etat islamique et de trouver une solution aux conflits du Yémen, de la Palestine, de la Libye et de l’Ukraine. Une attention toute particulière devra être accordée aux millions de migrants qui se sont installés au Libye, en Jordanie, en Turquie et en Europe. Il faut espérer la défaite de Donald Trump aux élections présidentielles américaines, vu ses propositions aberrantes et dangereuses pour la stabilité du monde. Il faut continuer les efforts pour promouvoir une véritable démocratie dans les pays africains, et interdire toute modification de la Constitution pour proroger les mandats présidentiels. Il faut enfin parachever les accords de la COP 21 dans le cadre de la COP 22 à Marrakech, et prendre toutes mesures pour stimuler la croissance de l’économie mondiale.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI