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La crise Irano-Saoudienne : Quels enjeux ?

Par Jawad KERDOUDI
Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)


La crise latente entre l’Arabie Saoudite et l’Iran s’est enflammée après l’exécution le 2 Janvier 2016 d’un leader chiite en Arabie Saoudite. Ce saoudien Nimr Baqir Al-Nimr avait provoqué des manifestations chiites contre le régime saoudien en 2011 et 2012. Il avait été arrêté et condamné à mort en Octobre 2014. L’exécution du leader saoudien chiite a provoqué le même jour de graves manifestations à Téhéran et à Machhad, où l’ambassade et le consulat de l’Arabie Saoudite ont été partiellement incendiés. Le lendemain dimanche 3 Janvier, l’Arabie saoudite a rompu ses relations diplomatiques et commerciales avec l’Iran, bientôt suivie par Bahreïn, les Emirats Arabes Unis, le Koweït, et le Soudan. Le Ministre des Affaires étrangères de l’Arabie Saoudite Adel Al-Jubeir a dénoncé « les ingérences négatives et agressives de l’Iran dans les affaires arabes » et a qualifié l’Iran « d’Etat qui parraine le terrorisme et propage le chaos et le confessionnalisme au Moyen-Orient et dans le monde musulman ». L’Ayottallah Ahmed Khamenei Guide Suprême de l’Iran devait déclarer de son côté « Sans aucun doute, le sang de ce martyr versé injustement portera ses fruits et la main divine le vengera des dirigeants saoudiens ».

Suite à ces événements dramatiques, la réaction de la communauté internationale fût rapide et diverse. Des manifestations en faveur de Téhéran ont eu lieu à Beyrouth et à Bagdad, à Bahreïn et au Yémen, et même au Pakistan et au Cachemire. Tous les pays arabes dans le cadre de la Ligue arabe, et la Turquie ont pris position pour l’Arabie saoudite, et ont condamné l’incendie des représentations diplomatiques saoudiennes en Iran. Notre pays le Maroc a fait la même condamnation, mais dans un communiqué du 3 Janvier 2015 du Ministère des Affaires étrangères il est indiqué « Le Royaume craint que les débordements en cours ne prennent une dimension ingérable dans les heures et les jours qui suivent, et qu’il compte sur la sagesse des responsables saoudiens et iraniens afin d’éviter que la situation actuelle ne s’étende à d’autres pays de la région ». Le Secrétaire Général de l’ONU Ban Ki-Moon a condamné aussi bien l’exécution du leader saoudien chiite, que l’attaque des représentations diplomatiques saoudiennes en Iran, et a appelé à l’apaisement de la situation. Les grandes puissances notamment les Etats-Unis et l’Union européenne ont également appelé à l’apaisement, étant donné la situation déjà très perturbée de la région du Moyen-Orient. Les causes du conflit entre l’Arabie Saoudite et l’Iran sont principalement géopolitiques, mais la dimension religieuse est sous-facente. En effet l’Arabie Saoudite et 80% de la population musulmane dans le monde sont d’obédience sunnite. L’Iran est d’obédience chiite ainsi qu’une partie de la population du Pakistan. Dans les pays arabes se trouvent aussi des minorités chiites en Arabie Saoudite, Syrie, Irak et Liban. A Bahreïn, 70% de la population est chiite alors que la famille régnante est sunnite.

Comme déjà dit, les raisons du conflit entre l’Arabie Saoudite et l’Iran sont d’ordre géopolitiques. Après la révolution iranienne de 1979 et l’établissement d’une République islamique, cette dernière s’est positionnée contre l’Occident, qualifiant les Etats-Unis de « Grand Satan ». Ceci alors que l’Arabie Saoudite depuis le Pacte de Quincy scellé le 14 Février 1945, est protégée par les Etats-Unis moyennant l’accès à son pétrole. De plus, l’Iran a tenté dans les premières années de la création de la République islamique, d’exporter sa révolution vers les autres pays musulmans et notamment les monarchies arabes voisines. L’Iran revendique également Bahreïn considéré comme sa « 14ème province » ainsi que quelques îlots sous souveraineté arabe. L’antagonisme entre l’Arabie saoudite et l’Iran s’est ravivée après l’invasion russe en Afghanistan en 1979 et américaine en Irak en 2003. En effet, devant les exactions commises par les envahisseurs, l’islamisme politique s’est réveillé. L’Arabie Saoudite a utilisé tous ses moyens notamment financiers pour répandre la wahabisme partout dans le monde musulman. L’Iran de son côté, en prenant prétexte de la protection des minorités chiites a intervenu directement ou indirectement au Liban, en Irak, en Syrie et au Yémen. En Syrie, elle soutient le Président Bachar Al Assad parce qu’il est alaouite qui est une branche du chiisme. Au Yémen, l’Iran soutient les Houtis qui sont chiites, et à Bahreïn les opposants chiites au régime sunnite. En définitive, chacune des deux puissances essaie d’étendre son influence et d’établir son leadership dans la région du Moyen-Orient.

La goutte qui a fait déborder le vase est l’exécution le 2 Janvier 2016 du leader chiite saoudien Nimr Baqir Al-Nimr ayant entraîné la rupture des relations diplomatiques et commerciales entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Cette rupture risque d’avoir des conséquences négatives sur les conflits en cours au Moyen-Orient, notamment le problème syrien où les deux pays ont une position opposée. Cette rupture risque également d’affaiblir la lutte contre Daech et le terrorisme jihadiste. Par contre, elle est bénéfique pour Israël dont l’ennemi héréditaire est l’Iran. Cette rupture risque d’affaiblir davantage le monde musulman qui fait l’objet d’attaques des occidentaux : proposition d’interdiction d’entrée des musulmans sur le territoire américain par le candidat républicain Donald Trump, et montée des partis extrémistes en Europe. Aussi à part Israël et Daech, la communauté internationale n’a aucun intérêt à l’aggravation de ce conflit entre l’Arabie Saoudite et l’Iran. Les Etats-Unis et l’Europe viennent à grande peine de signer un Accord sur le nucléaire iranien, et ne souhaitent pas à avoir à prendre partie pour l’un ou l’autre pays en cas de conflit armé. Ce dernier peu probable aura des conséquences catastrophiques pour la région et pour l’économie mondiale, du fait que l’Arabie Saoudite et l’Iran reprenant 30% de l’offre globale de pétrole. Il est dans l’intérêt du monde musulman que cette crise entre deux grandes puissances musulmanes cesse. Le catholicisme et le protestantisme ont connu dans le passé de graves dissensions, mais sont parvenus à un modus vivendi assurant la paix entre ces deux branches du christianisme. Les pays islamiques doivent également trouver un modus vivendi entre le sunnisme et le chiisme.

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