Le retour de l’Iran sur la scène internationale : Quelles perspectives ?
Par Jawad KERDOUDI Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Rappelons tout d’abord que la République islamique d’Iran fût proclamée le 1er Avril 1979 après le retour triomphal à Téhéran le 1er Février 1979 de Rouhollah Khomeini. La Constitution du 24 Octobre 1979 instaure un régime théocratique à la tête duquel le Guide suprême qui est le Chef de l’Etat est désigné par l’Assemblée des experts pour une durée indéterminée, potentiellement à vie. L’exécutif est assuré par le Président de la République qui est élu au suffrage universel, cependant la sélection des candidats pour l’élection présidentielle est limitée aux candidats approuvés par le Conseil des gardiens. Les 12 membres de ce Conseil sont nommés directement ou indirectement par le Guide suprême. Contrairement à de nombreux autres Etats, le Président de la République ne contrôle pas les forces armées. Le pouvoir législatif est représenté par le Majless qui est monocaméral et compte 290 députés. Cependant, les candidatures aux élections du Majless doivent être validées par le Conseil des gardiens. Enfin le Chef du système judicaire est nommé par le Guide suprême, et le système judiciaire est basé sur la loi islamique chiite.
L’histoire de la République islamique d’Iran a été marquée par Rouhollah Khomeini qui a été désigné Guide suprême de 1979 à 1989, et par Ali Khamenei l’actuel Guide suprême depuis 1989. Dès le début de la République, la crise des otages de l’Ambassade américaine à Téhéran du 4 Novembre 1979 au 20 Janvier 1981 a entraîné la rupture des relations diplomatiques avec les Etats-Unis, et la prise des sanctions américaines contre l’Iran le 7 Avril 1980. L’Iran a subi par la suite une guerre atroce avec l’Irak qui a duré de 1980 à 1987. L’Irak a été soutenu dans sa guerre contre l’Iran par l’Occident et l’Arabie Saoudite. De son côté, l’Iran dès le début de la République islamique, a tenté d’exporter sa révolution dans les autres pays musulmans, et a apporté son appui aux minorités chiites vivant dans les pays arabes notamment au Liban, en Irak, en Syrie et au Yémen. Quatre Présidents se sont succédés depuis la proclamation de la république : Hachemi Rafsandjani en 1989, Mohamed Khatami en 1997, Mohamed Ahmadinejad en 2005, et Hassan Rouhani en 2013. Si Rafsandjani et Khatami ont été des Présidents pragmatiques et modérés, Ahmadinejad a pratiqué une politique anti-occidentale avec l’accélération du programme nucléaire, qui a entraîné une pluie de sanctions de la part de l’ONU, des Etats-Unis et de l’Europe.
Le manque de libertés et la situation économique devenue très difficile du fait des sanctions internationales, ont provoqué d’importantes manifestations à Téhéran suite à la réélection contestée en 2009 de Ahmadinejad à la présidence. Hassan Rouhani qui était membre de l’Assemblée des experts et Vice-Président du Majless a apporté son soutien aux manifestants, et a critiqué la répression menée par le régime. Il annonce sa candidature à l’élection présidentielle du mois de Juin 2013, en étant perçu comme un partisan du rapprochement avec les pays occidentaux et du respect des droits de l’homme. Il bénéficie du soutien des modérés et fédère autour de lui le camp des réformateurs de l’opposition. Elu président de la République le 14 Juin 2013, il parle de « victoire de la modération sur l’extrémisme ». Le 24 Novembre 2013 à Genève, il exprime l’intention d’un gel temporaire du programme nucléaire iranien en échange de la levée des sanctions internationales. A l’issue de 21 mois de négociations, un accord sur le nucléaire iranien est conclu le 14 Juillet 2015 à Vienne. Après ratification de l’Accord et feu vert de l’ONU, les sanctions contre l’Iran sont levées le 16 Janvier 2016. Hassan Rouhani entreprend alors une visite en Italie, au Vatican et en France. Accueillie chaleureusement en France, la délégation iranienne signe le 28 Janvier 2016 de nombreux accords économiques et mémorandums de coopération, portant sur l’achat de 118 Airbus, la construction d’une usine automobile Peugeot, l’aménagement par les entreprises françaises de plusieurs ports et aéroports, ainsi que d’autres contrats dans le secteur de la santé, de l’agriculture, du pétrole, et de l’urbanisme.
Incontestablement le voyage de Hassan Rouhani en Europe et la reprise des relations avec les Etats-Unis marquent le retour de l’Iran sur la scène internationale. D’ailleurs, le Président Obama a fait beaucoup d’efforts pour normaliser les rapports avec l’Iran, notamment sur la gestion du nucléaire. L’Occident s’est rendu compte du rôle incontournable de l’Iran sur la scène Moyen-Orientale du fait de sa population (80 M), de ses ressources considérables en hydrocarbures, et de son activisme politique. Cependant, les problèmes de la région sont très complexes et difficiles à résoudre. En premier lieu la question syrienne, où dès le début l’Iran a apporté son soutien au Président Bachar Al Assad. Le conflit latent entre l’Arabie Saoudite et l’Iran s’est exacerbé ces derniers temps suite à l’exécution en Arabie Saoudite d’un leader chiite. Il s’en est suivi l’incendie de l’Ambassade saoudienne à Téhéran, et la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays. A Bahreïn, au Liban et au Yémen, l’Iran apporte son appui à la communauté chiite contre les sunnites. D’autre part, des élections législatives auront lieu en Février 2016 en Iran et leurs résultats auront un impact sur la politique extérieure du Président Rouhani. Sans oublier les élections présidentielles iraniennes en 2017, qui se traduiront soit par le maintien de Hassan Rouhani et de sa politique modérée, soit par la victoire d’un candidat plus conservateur. L’avenir politique à moyen terme de l’Iran est plein d’incertitudes.
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