Interview accordée au Journal Var-Matin à l’occasion de la présentation de mon livre à la FMES (Toulon) le 17 Mars 2016.
« DAESH EST UNE CATASTROPHE POUR L’ISLAM »
Jawad Kerdoudi Cinq ans après le début des printemps arabes, le chaos règne dans nombre de pays musulmans. Faut-il pour autant parler d’hiver arabe ? Réponse ce jeud
Président de l’Institut marocain des relations internationales, Jawad Kerdoudi est l’auteur du livre Printemps ou hiver arabe?, aux éditions l’Harmattan. Invité à Toulon par la Fondation Méditerranéenne d’Études Stratégiques, il livrera sa vision sur les révolutions arabes. Rendez-vous à partir de 18h30 à l’amphithéâtre 300 de l’UFR de Droit.
Que vous inspire l’assaut lancé récemment par Daesh contre la Tunisie, le berceau des printemps Arabes ?
Avant toute chose, je considère, et ce malgré les difficultés que traverse actuellement le pays, que la révolution tunisienne, qui s’est ensuite répandue dans pratiquement tous les pays du monde arabe, est une réussite. Le processus a été long certes, mais efficace. J’en veux pour preuve le départ du dictateur Ben Ali, puis l’organisation d’élections présidentielles et législatives. C’est justement ce processus démocratique auquel Daesh s’attaque depuis ces cinq dernières années. Une tentative de déstabilisation rendue possible par la proximité de la Libye d’où proviennent les armes et l’incapacité des forces de sécurité tunisiennes à faire
face à ces attaques de Daesh.
Vous évoquez la Libye. Selon vous, une nouvelle intervention militaire occidentale est-elle inévitable ?
Les Libyens ne se rendent pas compte que la survie de leur État est en jeu et qu’ils doivent rapidement se mettre d’accord pour former un gouvernement d’union nationale. Ce dernier pourrait alors faire appel à l’étranger pour demander un appui militaire. Malheureusement, ça ne se passe pas comme ça. Mais si la situation ne s’améliore pas, si le danger que constitue Daesh continue de grossir, alors il faudra une intervention étrangère pour arrêter la progression de cette organisation terroriste et tenter de l’éradiquer.
Quelles sont les responsabilités de l’Occident dans le chaos au Proche et Moyen-Orient ?
Je ne suis pas de ceux qui reportent toujours la faute sur les autres. C’est trop facile de dire « c’est un complot de l’Occident ». La responsabilité est avant tout celle des dirigeants arabes. Depuis les indépendances, les régimes politiques ont toujours été autoritaires, voire dictatoriaux. La démocratie ne s’est pas développée. Les droits de l’homme n’ont pas été respectés et, en plus, le développement économique et social n’a pas suivi. Mais l’Occident a aussi commis des erreurs.
La première a été de soutenir certains de ces dictateurs. Que ce soit Ben Ali, Moubarak, ou même Kadhafi sur la fin. Une autre erreur de l’Occident a été de ne pas intervenir rapidement en Syrie. Que ce soit Obama, qui avait pourtant menacé le régime de Damas s’il utilisait des armes chimiques, ou encore François Hollande, tous ont reculé. En renonçant à intervenir rapidement avant que le mal ne se développe, l’Occident a permis à Daesh de s’étendre sur une partie de l’Irak et de la Syrie.
Le désordre général depuis la chute de ces dictateurs semble donner raison à ceux qui affirment que la démocratie est incompatible avec les pays arabes. Que leur répondez-vous ?
Je réfute absolument la thèse selon laquelle les pays arabes ou l’islam ne seraient pas compatibles avec la démocratie. La démocratie est le meilleur système politique. Je crois profondément en la démocratie et je pense qu’une majorité d’Arabes et de musulmans y est également favorable.
Maintenant, il est vrai que la situation dans nombre de pays arabes qui ont récemment connu une révolution n’est pas très encourageante. Mais il faut du temps. Ce n’est pas en quatre ou cinq ans qu’on peut instaurer la démocratie, le respect des droits de l’homme.
Votre pays, le Maroc, est-il à l’abri d’une déstabilisation par les djihadistes ?
Je pense que oui. Il existe au Maroc un véritable consensus autour de la monarchie. Le roi (qui a changé la constitution et accordé plus de place à l’opposition) est par ailleurs le prince des croyants. À ce titre, il joue un rôle très important dans la religion et s’attache, notamment au travers de la formation des imams, à promouvoir un islam modéré dans le pays.
Mais si le Maroc a jusque-là été plutôt épargné par les attentats terroristes, c’est aussi grâce à l’efficacité de ses services de sécurité.
Presque chaque semaine, des cellules terroristes sont découvertes et neutralisées avant de pouvoir passer à l’action!
Vous appelez (du moins pour la Syrie) à une intervention militaire au sol d’une coalition emmenée par l’Arabie saoudite. N’est-ce pas jouer avec le feu ?
On a malheureusement trop tardé et la situation en Syrie est devenue catastrophique. Le principal responsable en est le régime de Bachar el-Assad qui n’a pas su, pas voulu chercher de solutions avec l’opposition et a préféré réprimé de façon violente les jeunes contestataires
qui, au départ, ne demandaient pourtant que quelques réformes. L’apparition des mouvements islamistes, puis l’ingérence des Occidentaux et de la Russie n’ont fait que pourrir un peu plus la situation. À faire intervenir des troupes terrestres, mêmes arabes ou musulmanes, on risque d’aggraver encore les choses. Malgré tout, si cette intervention a pour but d’éradiquer Daesh, j’y reste favorable. Avant tout parce que Daesh est une véritable catastrophe pour nous les Arabes et les musulmans. Les actes barbares qu’il a commis donnent une image exécrable de l’islam, ce qui contribue à la montée en puissance des partis d’extrême droite en Europe.
PROPOS RECUEILLIS PAR
P.-L. PAGÈS
plpages@varmatin.com
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI