Le Maroc est-il un pays émergent ?
Par Jawad KERDOUDI Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Les pays selon leur développement économique sont communément classés en pays développés, nouvellement industrialisés, en transition, émergents, en voie de développement, et les moins avancés. Parmi les pays développés, on peut citer à titre d’exemples les Etats-Unis, l’Europe occidentale, le Japon. Les pays nouvellement industrialisés ont été les 4 dragons asiatiques : Corée du Sud, Hong-Kong, Singapour et Taiwan qui ont entamé leur développement dans les années 1980. Ce sont les pays de l’Est de l’Europe après leur adhésion à l’Union européenne qu’on nomme en transition. A part les pays émergents, tout le reste des pays est classé en voie de développement ou les moins avancés pour certains pays d’Afrique et d’Asie.
On définit les pays émergents comme des pays dont le PIB par habitant est inférieur à celui des pays développés, mais qui connaissent une croissance économique rapide, et dont le niveau de vie ainsi que les structures économiques et sociales convergent vers ceux des pays développés. Trois grands critères sont retenus pour faire partie des pays émergents : un revenu par habitant intermédiaire, une croissance supérieure à la moyenne mondiale, des transformations institutionnelles et une ouverture économique qui leur permet de s’intégrer à l’économie mondiale. On cite parmi les pays émergents : les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Certains auteurs ajoutent à cette catégorie l’Indonésie et le Mexique.
L’économie marocaine a enregistré ces dernières années des avancées significatives. C’est ainsi que le PIB a été multiplié par 2 passant de 500 milliards de dirhams en 2003 à environ 1000 milliards de dirhams en 2016. Le taux de pauvreté a baissé de 4,2% en 2014, et l’extrême pauvreté (1,90$ par jour) a pratiquement disparu. L’agriculture a connu de son côté une croissance annuelle de 6,7% de 2008 à 2015 et constitue 35 à 40% des emplois. Le monde rural où vivent 15 millions de personnes tire 80% de ses revenus de l’agriculture. L’industrie de son côté avec l’éclosion des nouveaux métiers du Maroc (automobile et aéronautique) a également connu une croissance intéressante.
L’économie marocaine, grâce à la signature de plusieurs accords de libre-échange est ouverte sur l’extérieur, et le marché intérieur tire la croissance vers le haut. Le Maroc dispose également d’un système financier performant et de bonnes infrastructures aériennes, ferroviaires, portuaires et routières. Profitant d’une stabilité institutionnelle et d’un bon positionnement géographique, le Maroc a pu améliorer son climat des affaires, et attirer les investissements directs étrangers en se plaçant parmi les premiers pays africains récepteurs. Enfin, le secteur privé bien encadré par la CGEM est assez développé et participe notamment à travers le Parlement et les relations avec le Gouvernement à l’élaboration des politiques publiques sur le plan économique et social.
Ceci dit, les éléments négatifs de l’économie marocaine sont nombreux. Tout d’abord, la croissance qui a été en moyenne de 3,71% entre 2010 et 2016 est insuffisante pour résorber le chômage surtout des jeunes. De plus, la croissance reste dépendante de l’agriculture. C’est ainsi alors que le PIB a cru de 4,3% en 2015, les prévisions ne tablent que sur 1,2% en 2016 du fait d’une campagne agricole déficitaire. De plus, la croissance des activités non agricoles (2,8% pour 2016) est insuffisante pour compenser la perte occasionnée par les mauvaises campagnes agricoles. Si des progrès ont été réalisés pour améliorer le climat des affaires, l’administration marocaine reste lourde et en déphasage avec l’économie du troisième millénaire, ainsi que le département de la justice.
Le secteur informel qualifié par la CGEM de « Chaîne de destruction de valeurs » reste trop important, du fait de sa précarité pour le capital humain, les pertes de recettes pour la collectivité, et la concurrence déloyale qu’il fait au secteur organisé. A cela s’ajoute une gouvernance médiocre ainsi bien de l’Etat que des PME, causée principalement par un déficit du capital humain. Beaucoup d’entreprises ont de la peine à trouver sur le marché les profils adéquats, et la main d’œuvre reste globalement peu qualifiée. La croissance est non inclusive : c’est ainsi qu’en 2015 malgré une croissance de 4,5%, il n’a été créé que 33.000 emplois nets. Autrement dit, les investissements aussi bien publics que privés ne créent pas suffisamment d’emplois pour résoudre le chômage. La recherche/développement est peu importante au Maroc du fait qu’il ne lui est consacré que 0,8% du PIB contre 2,1% qui est la moyenne mondiale. Pour conclure sur ce chapitre, l’économie marocaine n’est pas assez compétitive pour satisfaire les besoins du pays et pour accroître ses parts sur le marché mondial.
Au stade actuel, on ne peut pas affirmer que le Maroc est un pays émergent, et il reste dans la catégorie des pays en voie de développement. Cependant, il peut y accéder à moyen terme, si des transformations structurelles sont opérées pour résoudre les éléments négatifs déjà cités. La première urgence est le développement du capital humain, qui a beaucoup souffert de l’échec du système éducatif, dû à une arabisation précoce et non préparée lancée il y a une trentaine d’années. La seconde priorité est l’instauration d’une bonne gouvernance aussi bien dans l’Administration que dans le secteur privé. La troisième exigence est la promotion d’une économie plus inclusive et une compétitivité globale de tous les facteurs. L’objectif pour le Maroc de passer d’un pays en voie de développement à un pays émergent est à portée de mains, si les pouvoirs publics, le secteur privé, et la société civile conjuguent leurs efforts pour y parvenir.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI