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Les élections présidentielles américaines vues du Mexique

Par Mohamed Badine EL YATTIOUI
Membre de l’IMRI Tanger
Professeur Invité à l’Université de Las Americas de Puebla – Mexique.


La visite au Mexique de Donald Trump, à l’invitation du président, au mois de septembre a fait grand bruit dans ce pays. D’ailleurs, il joue un rôle central dans la course à la Maison Blanche. Et ce pour plusieurs raisons que nous allons décrire.

Ici, Hillary Clinton est perçue comme une candidate expérimentée mais froide. Elle est la favorite depuis le début de la campagne. Sur certaines questions de politique étrangère elle semble plus proche de la vision des Républicains, sans oublier qu’elle a été favorable à l'invasion de l'Irak en 2003 lorsqu’elle était sénatrice. Elle peut elle aussi être un danger pour le Mexique pour trois raisons : la sécurité, la question migratoire et le commerce.

Sur le plan sécuritaire, Hillary Clinton apparaît comme un danger pour la politique actuelle de Peña Nieto car de nombreuses questions d’impunité sur le plan judiciaire se posent. De plus, en invitant Donald Trump, il s’expose aux pressions du Département d'Etat sur la question des violations flagrantes des droits de l'Homme. La violence dans différentes régions du pays (Ayotzinapa, Tlatlaya, Tanhuato, Nochixtlan) ont marqué le mandat de Peña Nieto. Pour la candidate Démocrate, la priorité absolue pour tout dirigeant (le président, le gouverneur ou le maire) doit être d’assurer la sécurité de sa population.

Le président Felipe Calderon (2006-2012) a fait face aux débuts de la violence extrême des trafiquants de drogue et a tenté de les affronter d’une manière ultra répressive, en luttant militairement contre eux, à travers notamment l’aide financière de Washington avec l’Initiative Merida. Lorsqu’elle dirigeait le Département d'Etat, Hillary Clinton a applaudi la stratégie de l'ancien président et lui a fourni toute l'aide possible pour atteindre le succès. Alors qu’avec Peña Nieto les choses sont différentes car il a été impliqué, indirectement, dans des scandales de tortures et de corruption. Tant l'ambassadeur des Etats-Unis au Mexique, Roberta Jacobson, que l’ambassadeur à l'ONU, Samantha Power, deux très proches personnalités de madame Clinton, ont indiqué de sérieuses préoccupations au sujet des violations des droits humains dans cette administration. La question de la corruption est devenue au cours des dernières années une question de « sécurité nationale » qui menace les finances publiques, le prestige et l'intégrité de certaines institutions contre la criminalité organisée du pays. En cas de victoire d’Hillary Clinton, Peña Nieto devra faire face, pendant les deux dernières années de son mandat à la pression de Washington pour corriger les problèmes de corruption au sein de son administration, ainsi qu'extrader le légendaire narcotrafiquant « El Chapo » Guzman. Paradoxalement, l’humiliation initiale liée à la volonté de Washington de le voir extrader a laissé place à une résignation de l’opinion publique mexicaine qui n’a plus confiance en son institution judiciaire et qui a fini par s’y résoudre en se disant que les Etats-Unis le jugeraient plus sévèrement.



Pour les deux candidats, la question de l'immigration est aussi un problème de sécurité, et de plus, Trump n'a pas inventé la proposition de mettre une barrière physique entre le Mexique et les États-Unis. L'idée remonte même à l'administration de Bill Clinton, qui avait durci les politiques de contrôle des frontières et de l'immigration de Bill Clinton et la construction de grands murs frontaliers en Basse-Californie et Ciudad Juarez. Son successeur, George W. Bush, avait une meilleure relation avec le Mexique et les Latinos aux États-Unis (il a été gouverneur du Texas), même si en 2006, le Sénat a proposé une initiative qui visait à poursuivre la construction d'un mur et renforcer les contrôles à la frontière et Hillary Clinton a voté en faveur de cette initiative. Aujourd'hui, en plus d'arrêter et de d’expulser les immigrants sans papiers qui commettent des crimes, elle est en faveur d’une réforme globale de l'immigration afin de ne pas séparer les familles et donc mettre en œuvre une réforme "humaine, ciblée et efficace". Au Mexique, son évolution est taxée d’opportunisme politique afin de se différencier de son concurrent et d’obtenir un vote massif des membres de la communauté latino qui compte plus de 50 millions de personnes (toutes nationalités confondues).



Au niveau de la politique commerciale, les Mexicains craignent fortement une victoire de Donald Trump du fait de son souhait de modifier l'Accord de libre-échange entre les deux pays, plus le Canada (ALENA). Hillary Clinton n’est finalement pas si éloignée de son opposant sur ce point car elle déclarait en 2007 : « Pendant de nombreuses années, j’ai dit que l'ALENA et la façon dont elle est mise en œuvre a blessé beaucoup de travailleurs américains. Il est clair que nous avons besoin d'une réforme globale de la façon dont nous négocions nos traités ». Les conséquences d’une révision du traité seraient néfastes pour l’économie mexicaine car environ 80% des exportations mexicaines se font vers les États-Unis, et un peu plus de 83% sont des produits manufacturés. De plus, en vingt ans les exportations mexicaines vers son puissant voisin ont été multipliées par cinq.

Précisons que l'ALENA a été négociée par l'administration de George H. Bush et signée par Bill Clinton en 1994, ce qui démontre le consensus interne dans lequel cela a été réalisé. Mais la donne politique a changé et les électeurs de Bernie Sanders, tout comme ceux de Donald Trump, considère la globalisation non plus comme une chance mais comme une menace à leur style de vie et leur confort. Si la favorite l’emporte elle devra en tenir compte et cela les Mexicains en ont parfaitement conscience comme pour la question migratoire.



Pour conclure, si Trump est détesté pour ses propos orduriers vis-à-vis de son voisin du sud, Hillary Clinton ne génère aucun enthousiasme même si elle lui est préférée. Les Mexicains savent qu’une nouvelle page difficile s’ouvre avec le départ de Barack Obama.



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