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Les expériences étrangères de régionalisation

Par Jawad Kerdoudi
Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)

Dans son discours du 6 Novembre 2008, SM Le Roi Mohammed VI avait décidé « de lancer une dynamique de régionalisation avancée et graduelle ». Dans celui du 3 Janvier 2010, SM Le Roi a officiellement installé la Commission Consultative de la Régionalisation, forte le 21 membres, et qui doit rendre ses conclusions fin Juin 2010. Dans ce même discours, le Souverain a souhaité « associer toutes les forces vives de la nation à l’effort de conception générale de ce projet ». Dès après le discours du 6 Novembre 2008, l’IMRI a entrepris une étude sur les expériences étrangères de régionalisation. Certes, comme l’a annoncé le Souverain, le projet marocain de régionalisation avancée ne doit pas « sombrer dans le mimétisme ou la reproduction à la lettre des expériences étrangères » et doit tenir compte impérativement des spécificités de notre pays. Mais il est toujours utile de se pencher sur les expériences des autres pays, pour retenir ce qui est valable pour nous, et rejeter ce qui ne l’est pas. L’IMRI a finalisé l’étude, et va la publier très prochainement. Le but de cette chronique est de faire d’ores et déjà la synthèse de cette étude et ses conclusions. Le choix des expériences étrangères de régionalisation a porté sur quatre pays : l’Allemagne, l’Espagne, les Etats-Unis et la France.

L’Allemagne a toujours été, à part la brève parenthèse hitlérienne, un Etat fédéral. Constitué de 11 Länder avant la réunification allemande en 1990, elle comprend maintenant 16 Länder après l’intégration de l’ex-RDA. Les Länder sont des Etats possédant leur propre souveraineté, et disposant chacun d’une constitution conforme à la Loi fondamentale du pays. Les constitutions des Länder doivent respecter le principe fondamental d’un Etat de droit républicain, démocratique et social. Les Länder se sont constitués tout au long de l’histoire allemande, et sont basés sur l’appartenance ethnique et la tradition historique. Sur le plan institutionnel, chaque Land dispose d’un gouvernement et d’un parlement, et est représenté au Bundesrat, la Chambre haute du pays, qui siège à Berlin. Deux principes fondamentaux président à l’organisation des Länder : le principe de subsidiarité et celui du partage des tâches. La subsidiarité dispose que le niveau décisionnel immédiatement supérieur, ne doit régler que les affaires que le niveau inférieur ne peut organiser aussi bien. Le partage des tâches consiste à définir d’une façon précise les prérogatives de l’Etat fédéral et des Länder. C’est ainsi que sont de la compétence exclusive de l’Etat fédéral : la politique étrangère, la défense, la politique monétaire, le trafic aérien et une partie du droit fiscal. En ce qui concerne l’Administration proprement dite, l’Administration fédérale ne comprend que les Affaires étrangères, les Douanes, l’Armée, la protection des frontières, et les services de placement. Les compétences juridictionnelles de la Fédération se limitent à la Cour constitutionnelle fédérale et aux Cours suprêmes, qui garantissent une interprétation uniforme du droit. Les Länder sont compétents sur le plan administratif dans tous les domaines que la Fédération ne prend pas en charge, ou qui lui ne sont pas attribués dans la Loi fondamentale.



L’exemple espagnol de régionalisation est également intéressant à étudier. Il est largement explicité dans le Titre VIII de la Constitution espagnole du 31 Octobre 1978. Ce Titre intitulé « De l’organisation territoriale de l’Etat » définit d’abord l’organisation territoriale en Communes, Provinces et Communautés autonomes. Il pose comme préalables le principe de solidarité de toutes les composantes du territoire, et celui de l’unicité des droits et obligations dans n’importe quelle partie du territoire de l’Etat. Le degré d’autonomie n’est pas égal entre les Communes, les Provinces et les Communautés autonomes. Ce sont les Communautés autonomes qui bénéficient de la plus grande autonomie, du fait qu’elles sont limitrophes, et disposent de caractéristiques historiques, culturelles, économiques, spécifiques et communes. L’Article 148 définit avec précision les compétences des Communautés autonomes, qui peuvent disposer d’une Assemblée législative, d’un Conseil de Gouvernement, d’un Président, et d’un Tribunal Supérieur de Justice. Tout ce qui est d’intérêt local, et qui se situe sur le territoire de la Communauté autonome, est du ressort de cette dernière. L’Article 149 définit les compétences exclusives de l’Etat, qui sont de deux ordres principaux : les fonctions de souveraineté, et celles qui concernent plusieurs territoires de l’Etat. Sont également de la compétence exclusive de l’Etat, toutes les fonctions déléguées aux Communautés autonomes, mais qui ont un intérêt national, dépassant le territoire de la Communauté autonome. Pour compléter le dispositif organisationnel, l’Article 150 permet aux Communautés autonomes d’émettre des normes législatives dans le cadre des lois étatiques ; alors que l’Article 153 définit les organes de contrôle des Communautés autonomes qui sont le Tribunal Constitutionnel, le Gouvernement, la Cour des Comptes, qui agit en matière économique et budgétaire. Enfin, l’Article 155 prévoit les sanctions pour tout dépassement des compétences accordées aux Communautés autonomes. Afin de permettre aux Communautés autonomes de fonctionner, il leur est accordé l’autonomie financière conformément aux principes de coordination et de solidarité avec les finances de l’Etat. L’Article 157 prévoit les ressources financières des Communautés autonomes : Impôts, transferts de fonds, revenus du patrimoine, recettes de droit privé, produit des opérations de crédit. Enfin, les conflits de compétences entre l’Etat et les Communautés autonomes, ainsi que ceux qui pourraient surgir entre Communautés autonomes sont du ressort du Tribunal Constitutionnel.



Le cas des Etats-Unis constitue l’exemple type de l’Etat fédéral. Chaque Etat parmi les 50 constituant la Fédération, dispose d’un exécutif élu : le Gouverneur ; du pouvoir législatif : le Congrès de l’Etat ; et du pouvoir judiciaire : Tribunal d’Etat. Les Etats ont tous les pouvoirs requis pour réglementer la vie quotidienne de la population, à condition que ça ne soit pas contraire à la Constitution et à la loi fédérale. Les questions qui ne vont pas au-delà des frontières d’un Etat, relèvent de la compétence du gouvernement de cet Etat. Tous les pouvoirs qui ne sont pas attribués spécifiquement au gouvernement fédéral sont du ressort de l’Etat. Enfin, les conflits et litiges entre le gouvernement fédéral et les Etats sont jugés par les Tribunaux fédéraux et la Cour suprême.



La France a eu beaucoup de difficultés à mettre en place la régionalisation, du fait de la puissance de la tradition jacobine, qui s’est toujours opposée à la décentralisation appliquant les principes de subsidiarité. Valeur aujourd’hui, on est parvenu à un système d’Etat unitaire, où aucune division administrative ne possède de compétence législative, mais où la révision constitutionnelle du 17 Mars 2003 a permis une avancée vers la création d’un échelon de décision au niveau régional. C’est ainsi que l’administration territoriale de la France est basée sur 26 régions, 100 départements, 329 arrondissements, 3883 cantons et 36.783 communes. La région composée de plusieurs départements est gérée par le Conseil régional, élu pour 6 ans au suffrage universel direct, et par un Préfet de région qui représente l’Etat. L’Etat a attribué à la région un certain nombre de compétences, et lui affecté un budget pour leur financement. Les régions françaises sont caractérisées par leur grande diversité, géographique, démographique et économique. Sur le plan géographique 22 régions se trouvent sur le sol métropolitain et 4 Outre-mer (Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion). Sur le plan démographique, la région Ile-de-France dispose de 11,5 millions d’habitants, alors que le Limousin n’abrite que 700.000 habitants. Sur le plan économique, le PIB moyen par habitant est de 42.000 euros en Ile-de-France, contre 13.000 euros pour les territoires d’Outre-mer. D’autre part, ces territoires disposent d’une grande variété de statuts : région, département, collectivité départementale, statut particulier comme celui de la Nouvelle Calédonie, qui dispose d’un Congrès et d’un gouvernement avec une grande liberté législative. La Corse dispose également d’un statut particulier (Loi du 13 Mai 1991) lui accordant une large autonomie, mais qui est jugée insuffisante par les indépendantistes. Le département composé d’arrondissements est géré par un Conseil général également élu pour 6 ans au suffrage universel direct, et par un Préfet qui représente l’Etat. Le département dispose de larges pouvoirs en matière d’équipement, d’affaires sanitaires et sociales. La loi du 13 Août 2004 a transféré au département des pouvoirs en matière d’aide sociale et économique, de routes nationales d’utilité locale, d’éducation et de contrôle du patrimoine. Elle a accompagné ce transfert par la mise à la disposition des départements de fonctionnaires d’Etat et de financements de compensation. Les autres collectivités locales sont les arrondissements gérés par un sous-préfet , les cantons qui sont un maillage électoral chargé d’élire un représentant au Conseil général, et les communes qui correspondent au territoire d’une ville ou d’une village, et qui sont administrées par un Conseil municipal élu pour 6 ans, et présidé par un Maire. Pour compléter le tableau de l’administration territoriale, il faut mentionner également les statuts d’intercommunauté, qui groupent plusieurs communes sous forme de communautés urbaines, communautés d’agglomérations et communautés de communes. La régionalisation à la française est un équilibre entre l’Etat unitaire et la nécessaire décentralisation régionale. Cependant ce n’est pas un système figé et il fait encore l’objet de beaucoup de débats. C’est ainsi que la Commission Attali mise sur pied par le Président Sarkozy, a recommandé la suppression des départements.



En considération de ces expériences étrangères, le Maroc doit s’inspirer de quel modèle ? L’Allemagne a toujours été un Etat fédéral. La culture allemande est imprégnée de l’esprit fédéral, qui bénéficie d’une tradition plus que centenaire. Le système allemand facilite l’identification des citoyens, et permet de bien gérer les particularismes régionaux. Mais c’est un système trop sophistiqué pour notre pays, et il serait très difficile à mettre en œuvre. Le système régional des Etats-Unis est celui d’un Etat typiquement fédéral, ce qui n’est pas recherché par le Maroc. Le système français de régionalisation n’accorde pas suffisamment de pouvoirs aux régions : il reste trop centralisé. Notre pays pourrait s’inspirer davantage de l’exemple espagnol, qui est plus proche de nous, qui est opérationnel, et qui a accumulé plusieurs années d’expérience. On peut noter aussi que le système d’autonomie n’a pas été accordé à toutes les régions espagnoles. Ceci pourrait également amener le Maroc à accorder un statut différencié selon les régions.

CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI

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