La crise dans le Golfe
Un nouveau facteur de division du monde arabe
Par Jawad KERDOUDI, Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Le 5 Juin 2017 l’Arabie saoudite, Bahreïn, les Emirats arabes unis et l’Egypte annoncent la rupture de leurs relations diplomatiques avec Qatar. Ils sont suivis par le gouvernement Yéménite d’Abd Rabbo, le gouvernement libyen de Tobrouk, la Mauritanie, les Maldives, les Comores et l’Ile Maurice. Cette rupture s’accompagne de la fermeture avec Qatar des frontières aériennes, maritimes et terrestres. Le Qatar est exclu de l’opération menée par l’Arabie Saoudite au Yémen, et les Qatariens doivent quitter les autres pays du Golfe ayant prononcé la rupture.
Cette décision est l’aboutissement d’une longue rivalité opposant Qatar à l’Arabie saoudite dès les années 1990 ou l’Emirat s’est détaché de la tutelle saoudienne. Elle s’est accentuée en 2011 lors du « Printemps arabe » quant Qatar a appuyé les mouvements liés aux Frères musulmans en Syrie, Egypte et en Tunisie. Ceci alors que L’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis soutenaient les régimes en place. L’hostilité entre l’Arabie saoudite et Qatar s’est aggravée le 21 Avril 2017 après la libération de 26 otages qataris qui avaient été enlevés en 2015 en Irak, et pour laquelle Qatar avaient payé de fortes sommes (on parle de 1 milliard de $) à des groupes rebelles et des milices chiites. La crise tient également son origine dans les relations entre Qatar et l’Iran qualifié par l’Emir de Qatar de puissance régionale, et qui a également considéré les Frères musulmans, le Hezbollah et le Hamas comme des mouvements de résistance légitimes. Sont reprochées également à Qatar ses relations avec la Turquie qui a bénéficié de facilités militaires sur le sol qatari. Enfin, l’Arabie saoudite a dû être encouragée dans sa décision par la visite de Donald Trump à Riad le 20 Mai 2017, lorsqu’il a apporté son soutien inconditionnel à l’Arabie saoudite contre l’Iran, et qu’il a appelé les pays arabes et musulmans à lutter par tous les moyens contre le terrorisme jihadiste.
Suite à ces événements, le 6 Juin le Ministre Qatari des affaires étrangères a dénoncé une décision injustifiée et sans fondement, avec un objectif clair de placer le Qatar sous tutelle, ce qui marque une violation de sa souveraineté. Cependant l’Emir de Qatar est resté silencieux jusqu’à maintenant, en ne prenant aucune mesure de rétorsion contre les pays ayant rompu leurs relations diplomatiques avec son pays. Qatar s’est placée en victime de ses voisins notamment à travers la chaîne de télévision Al Jazeera, dont les bureaux ont été fermés à Riyad.
Les Etats-Unis ont adopté une position contradictoire. Alors que le 6 Juin Donald Trump accusait Qatar de financer « l’extrémisme religieux », son Secrétaire d’Etat Rex Tillerson a appelé à l’allégement du blocus contre Qatar. Ceci s’explique par le fait que les Etats-Unis disposent d’une base militaire à Qatar qui leur permet d’effectuer des raids aériens contre l’Etat islamique en Irak et en Syrie. Le 7 Juin, le Parlement turc a approuvé le déploiement de militaires au Qatar en vertu de l’accord de défense signé en 2014 avec l’Emirat. La Turquie et l’Iran ont envoyé par avion à Qatar des produits alimentaires étant donné la fermeture de la frontière terrestre avec l’Arabie saoudite. Le Koweït qui n’a pas rompu ses relations diplomatiques avec Qatar a proposé ses bons offices pour résorber la crise. Le Maroc de son côté est sorti de sa réserve le 11 Juin par un communiqué du Ministère des Affaires Etrangères en privilégiant « une neutralité constructive ». Le Roi Mohammed VI a pris contact avec tous les dirigeants du Conseil de Coopération du Golfe en proposant ses bons offices, et a envoyé le Ministre des Affaires Etrangères qui a remis un message verbal aux Chefs d’Etat des Emirats arabes unis, de Koweït et de l’Arabie saoudite. Il a en outre envoyé par avion à titre humanitaire des produits alimentaires à Qatar. Il faut saluer cette position courageuse du Maroc qui ne s’est pas aligné comme d’autres pays sur l’Arabie saoudite, lui permettant de jouer un rôle de médiateur pour résorber la crise.
On ne peut que déplorer cette nouvelle crise dans le Golfe qui vient s’ajouter à la situation dangereuse que vit actuellement le monde arabe. En effet, plusieurs pays arabes sont en crise : l’Irak, la Libye, la Syrie, et le Yémen. Cette décision de rupture des relations diplomatiques avec Qatar risque de diviser davantage le Conseil de Coopération du Golfe et la Ligue arabe. De plus, cette situation profite à Israël qui se sent les mains libres pour intensifier ses exactions contre les Palestiniens, notamment la construction de nouvelles colonies en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Pour asfixier Gaza, Israël vient de prendre la décision de réduire la fourniture d’électricité dont les habitants ne reçoivent que 3 à 4 heures par jour. Les dirigeants arabes doivent se pencher sur les problèmes réels du monde arabe qui sont tout d’abord la résolution des crises en Irak, Libye, Syrie et Yémen, la lutte contre l’ennemi commun qui est Israël, le développement économique et social, et l’éradication de tout soutien à l’extrémisme religieux et au terrorisme jihadiste.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI