La Conférence du FMI à Marrakech
Le monde arabe à la croisée des chemins
Par Jawad KERDOUDI, Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Le FMI (Fonds Monétaire International) en partenariat avec le FMA (Fonds Monétaire Arabe), le FADES (Fonds Arabe pour le Développement Economique et Social) et le gouvernement marocain, a organisé une conférence internationale à Marrakech les 29 et 30 Janvier 2018 sur le thème « Opportunités pour tous : croissance, emploi, et inclusion dans le monde arabe ». Cette conférence a réuni plus de 500 participants provenant de 22 pays. Le but de cette conférence était à partir de la situation actuelle du monde arabe, de proposer des recommandations pour stimuler la croissance, l’emploi et l’inclusion notamment des jeunes et des femmes.
Le monde arabe a subi depuis 2011 une véritable malédiction qui s’est traduite par de nombreux conflits politiques et une régression économique. Alors que les manifestants du « Printemps arabe » réclamaient plus de démocratie et une plus grande prospérité et égalité, plusieurs pays arabes sont tombés dans le chaos et l’instabilité. C’est le cas notamment de l’Irak, de la Libye, de la Syrie et du Yémen. On estime le nombre de victimes depuis 2011 à 500.000 alors que 12 millions de personnes ont été déplacées en Syrie. Les infrastructures de la Syrie et du Yémen sont quasiment totalement détruites et un flot de réfugiés s’est répandu sur le Liban, la Jordanie, la Turquie et même l’Europe. Sur le plan économique, la région Mena (Afrique du Nord et Moyen-Orient) n’a connu qu’une croissance moyenne de 3,6% depuis 2011, soit un tiers de moins que la décennie précédente. Du fait de la baisse du prix du pétrole à partir de 2014, les pays arabes exportateurs de pétrole ont vu leur déficit budgétaire grimper à 10% du PIB, alors que les pays arabes importateurs de pétrole ont vu leur dette publique atteindre 90% du PIB. Le taux de chômage moyen de la région Mena est de 10%, mais avec des disparités selon les pays (Qatar 1%, Jordanie 18%) et selon l’âge (les jeunes subissent un chômage de 25%). Ceci alors que 60% de la population de la région a moins de 30 ans, et que 27 millions de jeunes intégreront le marché du travail d’ici cinq ans. La masse salariale moyenne de la région Mena est de 10% du PIB, alors qu’elle ne représente que 6% du PIB dans les pays émergents. Les deux tiers de la population de la région Mena n’ont pas de compte bancaire, et le taux d’activité des femmes n’est que le tiers de celui des hommes. Enfin les prêts aux PME ne s’élèvent qu’à 2% du PIB.
Le monde arabe a absolument besoin de réformes structurelles, sinon la situation actuelle va empirer dans la prochaine décennie. Les experts estiment que si rien n’est fait, le chômage moyen de la région Mena risque d’atteindre 14% en 2030. Le monde arabe n’est pas monolithique, et il faut adapter les réformes aux spécificités de chaque pays arabe. Chaque gouvernement arabe doit établir une vision qui mobilise les citoyens et qui fixe les objectifs et une stratégie pour les atteindre.
Cependant certains défis sont communs et des solutions communes peuvent leur apporter une solution. C’est le cas par exemple des femmes qui doivent jouir partout dans le monde arabe des mêmes droits que les hommes. Constituant 50% de la population, leur intégration dans la vie active va peser lourd dans le développement économique et social. Il faut commencer par le commencement, en scolarisant à 100% les filles pour leur assurer la formation et les compétences nécessaires pour trouver un travail. Il faut leur faciliter l’accès au financement et prendre des mesures concrètes pour leur faciliter le travail : horaires de travail plus souple, garderies d’enfants. La seconde priorité est celle des jeunes qui doivent bénéficier d’un enseignement approprié apte à leur permettre de s’intégrer dans le monde du travail. Afin qu’ils puissent accéder à la nouvelle économie, les programmes d’enseignement doivent accorder une large place aux nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), et à l’apprentissage des langues étrangères dont notamment l’anglais qui est devenu la langue des affaires et de la science. Il faut les préparer également aux opportunités ouvertes par l’économie verte, notamment les énergies renouvelables. Il est nécessaire de leur inculquer dès l’enfance l’esprit d’entreprenariat, de les accompagner dans l’incubation de leurs projets, et de la recherche de financement.
Les autres recommandations visent l’amélioration de la gouvernance pour offrir des services publics efficients et en toute transparence. L’Etat doit veiller à établir des programmes de croissance inclusifs et accroître les dépenses sociales pour venir en aide aux personnes les plus défavorisées. Il doit améliorer le climat des affaires pour les investisseurs nationaux, et pour attirer les investissements directs étrangers. La politique des finances publiques doit être saine pour réduire au minimum le déficit budgétaire. Dans plusieurs pays arabes, il est nécessaire d’élargir l’assiette fiscale, de réduire les exonérations d’impôts, et de lutter contre la fraude fiscale. A l’instar de l’Egypte, il est recommandé de remplacer les subventions gouvernementales aux produits de base par des transferts ciblés aux personnes les plus démunies. Enfin, il faut prendre toutes les mesures pour soutenir le secteur privé qui est le seul à pouvoir résorber le chômage.
En conclusion, le monde arabe après le choc de 2011 est à la croisée des chemins. Tous les acteurs de la nation : Gouvernement, Parlement, Société Civile doivent concourir pour le sortir de la situation désastreuse où il se trouve actuellement.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI