FRAPPES OCCIDENTALES EN SYRIE
QUELLE ÉVALUATION ?
Par Jawad KERDOUDI,
Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Le Samedi 14 Avril 2018 au petit matin, les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni ont procédé à des frappes par avions et missiles de trois sites syriens liés au programme d’armement chimique. Ces frappes ont visé un centre de recherche et des dépôts prés de Damas et de Homs. Le triumvirat a motivé ces frappes par l’attaque chimique auquel aurait procédé le régime syrien le 7 Avril 2018 dans la ville de Douma faisant 40 morts dont des enfants. Déjà en Avril 2017, les Etats-Unis avaient procédé à une frappe d’une base militaire près de Homs, après une attaque chimique imputée à Damas ayant fait plus de 80 morts à Khan Cheikhoun au Nord-Ouest de la Syrie. Ce qui a permis à Donald Trump d’affirmer que la Russie a trahi ses promesses de 2013 d’élimination totale des armes chimiques syriennes.
Le régime syrien et ses alliés ont nié toute responsabilité dans l’attaque chimique du 7 Avril dénonçant une mise en scène des rebelles. Il faut noter que les frappes occidentales du 14 Avril ont eu lieu, alors qu’une équipe de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) a entamé le même jour une enquête sur l’attaque chimique présumée. A Damas, le Président syrien a affirmé que cette agression ne faisant que « renforcer sa détermination à continuer de lutter et d’écraser le terrorisme ». Moscou a estimé que ces frappes étaient « une insulte » au président Vladimir Poutine. En Iran, le guide suprême Ali Khamenei a qualifié les dirigeants américains, français, et britanniques de « criminels ». A l’inverse, la Première ministre britannique a affirmé que ces frappes étaient « justes et légales ». Les trois puissances occidentales ont reçu également le soutien de l’Allemagne, de l’Arabie Saoudite, d’Israël, de la Turquie et de Qatar.
Ces frappes occidentales sur la Syrie posent beaucoup de problèmes juridiques et politiques. Un pays membre de l’ONU ne peut attaquer un autre pays membre que s’il intervient en légitime défense. Or la Syrie n’a ni menacé ni attaqué les Etats-Unis, la France ou le Royaume-Uni. D’autre part, l’enquête menée sur place par l’OIAC n’a pas encore déterminé les responsables dans la présumée attaque chimique du 7 Avril. Les frappes occidentales n’ont pas non plus reçu l’autorisation du Conseil de sécurité de l’ONU. Les arguments présentés par les trois pays occidentaux reposent sur l’interdiction de l’emploi des armes chimiques (Protocole de 1925 et Convention de 1993) et sur le chapitre 7 des Nations Unies qui prévoit l’emploi de la force en cas de menace contre la paix. Sur le plan politique, les frappes occidentales ne vont rien changer à la situation actuelle en Syrie.
Tout a commencé en Syrie en 2011 dans le sillage du Printemps arabe par des manifestations pacifiques en faveur de la démocratie contre le régime baassite de Bachar Al Assad. Réprimé brutalement par le régime dans tout le pays, le mouvement de contestation s’est transformé en rébellion armée. Au fur et à mesure, le nombre d’acteurs qui intervient dans la crise syrienne se multiplie. L’armée syrienne libre est le premier mouvement à mener la rébellion, mais à partir de 2013 elle est supplantée par des brigades islamistes sunnites. Dès ce moment commence l’intervention des pays étrangers dans le conflit syrien. Les pays du Golfe, la Turquie et l’Occident soutiennent les rebelles. Le régime syrien bénéficie des renforts du Hezbollah libanais, des brigades chiites irakiennes, ainsi que du soutien militaire de l’Iran et de la Russie. A ces forces s’ajoutent les Kurdes qui combattent pour l’autodétermination de la Rojava (Kurdistan syrien), et les salafistes jihadistes qui combattent aux côtes des rebelles. D’autres forces plus dangereuses représentées par Daech, qui a créé l’Etat islamique, entrent en guerre contre tous les autres belligérants à partir de 2014. Devant les exactions commises par Daech, une coalition arabo-occidentale menée par les Etats-Unis a procédé à des frappes aériennes contre l’Etat islamique. En ce mois d’Avril 2018, l’Etat islamique a pratiquement disparu, et le régime syrien grâce au soutien de la Russie et de l’Iran a récupéré la presque totalité du territoire.
La situation actuelle en Syrie est extrêmement complexe. Le départ du pouvoir de Bachar Al Assad longtemps réclamé par les Occidentaux et les rebelles n’est plus à l’ordre du jour, puisqu’il a réussi grâce notamment au soutien russe à reconquérir le pays. Donald Trump n’a pas une véritable stratégie sur la question syrienne, puisqu’il a envisagé de rapatrier les forces américaines de Syrie, avant de se raviser. L’Europe ne dispose pas d’un poids suffisant pour imposer une solution politique en Syrie. L’ONU n’a pas réussi à rapprocher le régime syrien des rebelles pendant les nombreuses réunions à Genève, pas plus que la Russie à Astana. Il est à craindre que la crise syrienne ne trouve pas de solution à court terme.
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