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La Turquie : Puissance économique
et politique régionale

Par Jawad Kerdoudi

Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)

A partir des années 2000, la Turquie est montée en puissance tant sur le plan économique que politique. L’économie turque a connu une croissance très forte jusqu’à l’année 2008, avec des pointes de +9,9% en 2004 et +8,4% en 2005. Suite à la grave crise financière internationale de 2008, la croissance de l’économie turque est tombée à +1,1% en 2008, et a même connu une régression de -5,3% en 2009. Cependant elle a bien résisté au choc, puisque le FMI prévoit pour l’économie turque une croissance de +3,7% en 2010 et +4,5% en 2011.

En effet, la Turquie, pays peuplé de 73 millions d’habitants dispose d’une situation géographique privilégiée, d’un important marché intérieur, et d’une jeunesse entreprenante. Son PIB de 571 milliards de $ la place au rang de la 15ème puissance économique mondiale avec un PIB par habitant honorable de 7870 $. Son système financier est solide, et sa dette extérieure n’atteint que 43,5% du PIB en 2009. La structure de son économie est celle d’un pays développé, avec un pourcentage de 15% du PIB pour l’agriculture, 25% pour l’industrie et 60% pour les services. Les principales forces de l’économie turque sont son industrie très diversifiée et compétitive, et son tourisme (26 Millions de touristes en 2008). Son principal partenaire est l’Union européenne avec laquelle elle est liée depuis 1996 par un Traité d’union douanière, et qui représente 46% de ses échanges. Ses autres partenaires sont les Etats-Unis (8%) et la Russie (8%), avec de plus en plus d’efforts vers l’Amérique latine, l’Afrique et l’Asie. La Turquie a conclu avec le Maroc un Accord de libre-échange en 2004, qui est entré en vigueur en 2006. La Balance commerciale avec le Maroc est excédentaire en faveur de la Turquie du fait de son niveau de développement industriel plus important. La Turquie est très présente dans les BTP au Maroc, et envisage de procéder à des investissements dans notre pays. Les faiblesses de l’économie turque proviennent de l’absence quasi-totale de production d’hydrocarbures (pétrole et gaz), d’un taux de chômage élevé (14,2% en 2009), d’une inflation forte (6% en 2009), d’un taux d’IDE faible (1,2% du PIB en 2009) et d’un déficit budgétaire élevé (-6% de PIB). Mais il est prévu que ces indicateurs vont s’améliorer en 2010 et 2011.



Sur le plan politique, on assiste à une réorientation de la politique étrangère de la Turquie à partir de l’année 2002. Avant cette date, la Turquie était tournée franchement vers l’Occident. Membre de l’OTAN, elle a toujours entretenu des relations privilégiées avec les Etats-Unis. Avec Israël, non seulement elle a institué des relations diplomatiques, mais elle a également signé avec ce pays un Accord militaire en 1996. Avec l’Union européenne, la Turquie a déposé sa candidature d’adhésion à l’Union dès 1959, et les négociations ont débuté en 2005. Membre de l’OCDE la Turquie a été considérée par l’Occident comme un allié fiable. La réorientation de la politique étrangère de la Turquie s’explique pour plusieurs raisons. Il y a tout d’abord l’accession démocratique au pouvoir en 2002 de l’AKP, parti islamiste conservateur. Il ne faut pas oublier que la Turquie moderne est l’héritière de l’Empire musulman Ottoman qui a duré de 1299 à 1923. Malgré les efforts de modernisation de Atatürk, et la proclamation d’un Etat laïque en 1937, l’Islam est resté enraciné en Turquie et constitue la religion de la quasi-totalité de la population. Le peuple turc est très sensible à tout ce qui touche le monde musulman. L’invasion par les Etats-Unis de l’Afghanistan en 2001 et de l’Irak en 2003 a été très mal ressentie par le peuple turc. A preuve, le refus en 2003 de la Turquie d’autoriser l’année américaine d’utiliser son territoire pour se rendre en Irak. Le conflit israélo-arabe est également très présent en Turquie, comme le montre la tentative d’intermédiation turque en Mai 2008 entre Israël et la Syrie pour régler la question du Golan. Le conflit israélo-palestinien est encore plus sensible, comme le prouve la réaction virulente du Premier Ministre turc Recyp Tayyip Erdogan à l’agression israélienne contre Gaza en Décembre 2008, et à l’attaque d’Israël de la Flottille de la Liberté le 31 Mai 2010, où neuf turcs trouvèrent la mort.



D’autres raisons géopolitiques expliquent le revirement de la politique étrangère de la Turquie. On peut citer la fin de la guerre froide après la chute du Mur de Berlin en 1989, qui a amoindri la menace russe vis-à-vis de la Turquie. On peut ajouter les tergiversations de l’Union européenne vis-à-vis du processus d’adhésion de la Turquie, avec des négociations qui traînent en longueur. La crise financière internationale de 2008 a affaibli l’Occident, notamment les Etats-Unis et l’Europe, et fait apparaître de nouvelles puissances émergentes telles que la Chine, l’Inde, le Brésil et la Turquie, qui ont été intégrées au G20. L’Occident malgré tous ses efforts n’a pas réussi à résoudre le conflit nucléaire iranien, c’est ce qui a amené le Brésil et la Turquie a signer un Accord en Mai 2010 avec l’Iran, qui prévoit que l’uranium iranien faiblement enrichi, soit transporté en territoire turc, et sera échangé contre du combustible enrichi à 20%. D’autre part, le monde arabe à montré son impuissance à se démocratiser et à se développer économiquement, laissant un vide qui a été comblé par la Turquie et par l’Iran. Enfin la Turquie se place en challenger de l’Iran au Moyen-Orient.



En conclusion, la Turquie est devenue une puissance régionale incontournable. Trois scénarios sont possibles quant à l’avenir de la politique étrangère turque : la rupture avec l’Occident et la réorientation vers le Moyen-Orient, une politique à mi-chemin entre l’Occident et l’Orient, ou la re-occidentalisation de la politique étrangère de la Turquie. Tout dépend des futures aspirations de la société turque et des résultats des prochaines élections. Cependant Il est probable que ce soit le deuxième scénario qui sera mis en œuvre, car la Turquie ne peut pas rompre avec l’Occident.

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