Les Gilets jaunes en France
Un Mouvement atypique
Par Jawad KERDOUDI Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Le mouvement des Gilets jaunes est apparu en France en Octobre 2018. C’est un mouvement social spontané issu d’appels à manifester sur les réseaux sociaux. A partir du 17 Novembre 2018, ce mouvement s’organise autour de blocage de routes et ronds-points, et de manifestations sociales chaque samedi. Les protestations ont lieu à Paris et dans les grandes villes françaises, ainsi que dans les zones rurales et périurbaines. D’abord pacifiques, les manifestations hebdomadaires ont connu des violences provoquant la mort de onze individus, des centaines de blessés, et ont donné lieu à d’importants dégâts matériels. La dix-huitième manifestation des Gilets jaunes a eu lieu le Samedi 16 Mars 2019 et a mobilisé 32.000 personnes dont 10.000 à Paris. Le bilan humain est très lourd : une soixantaine de blessés chez les manifestants et une trentaine parmi les forces de l’ordre. Le bilan matériel est également impressionnant : 80 boutiques et restaurants des Champs–Élysées ont été saccagés, pillés et même incendiés comme l’emblématique Fouquet’s. Les forces de l’ordre ont interpellé 274 personnes.
La mobilisation des Gilets jaunes a été motivée au départ par l’augmentation de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques. Elle s’est élargie par la suite à d’autres revendications fiscales et sociales : hausse du pouvoir d’achat des classes moyennes et populaires, maintien des services publics, taxation du kérosène et des fiouls maritimes, rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune. La mobilisation a pris également un aspect politique avec l’amélioration de la démocratie représentative notamment par le référendum d’initiative citoyenne, et par l’appel à la démission du Président Emmanuel Macron. Au fur et mesure des manifestations, d’autres revendications sont apparues en faveur des automobilistes, des retraites, la baisse de CSG, l’éducation, la culture, la santé. Une partie du mouvement a marqué son opposition au Pacte mondial sur les migrations signé par l’exécutif français.
La réponse du pouvoir exécutif en mouvement des Gilets Jaunes a été diverse et a évolué dans le temps. Elle s’est traduite tout d’abord par une très forte mobilisation des forces de l’ordre les samedis, l’utilisation de véhicules blindés de la Gendarmerie, et des mesures judiciaires dont la loi anti-casseurs en cours d’examen par le Conseil constitutionnel.
D’abord opposé à toutes les revendications, le Gouvernement annonce en Novembre 2018 la revalorisation de la prime de conversion, et l’augmentation du nombre de bénéficiaires du chèque énergie et du système d’indemnités kilométriques. Le 4 Décembre 2018, le Premier Ministre annonce un moratoire de six mois sur la hausse des taxes sur les carburants, qui est transformé par la présidence le lendemain par une annulation de la hausse dans le projet de loi de finances pour 2019. Le 10 Décembre 2018, Emmanuel Macron annonce un paquet de mesures sociales évalué à 10,3 milliards d’euros, mais s’oppose au rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune. Il annonce également le lancement d’un grand débat national du 15 Décembre 2018 au 15 Mars 2019, pour faire remonter les souhaits du français sur quatre grands thèmes : transition écologique, fiscalité, services publics et débat démocratique.
Le mouvement des Gilets jaunes est atypique par l’absence de structure et d’encadrement partisan, et par le grand nombre de revendications parfois contradictoires. On peut l’analyser comme une rébellion de la classe moyenne et populaire qui se sent marginalisée socialement et géographiquement. La contestation concerne essentiellement les zones rurales et périurbaines : proportion élevée d’ouvriers et d’employés, forte exposition aux taxes, utilisation de la voiture dûe à la faiblesse des transports en commun. La participation des femmes aux protestations est jugée importante estimée à 45% du nombre de manifestants. Cette proposition s’explique parce que les femmes sont particulièrement concernées par les questions liées au niveau de vie. Une enquête d’opinion montre que 42% des électeurs du "Rassemblement national" se définissent comme Gilet jaune, contre respectivement 20% pour la "France insoumise" et 5% pour le parti "En marche". En se référant aux programmes des candidats à la présidentielle de 2017, les revendications des Gilets jaunes sont très proches de la gauche radicale, compatibles avec l’extrême droite, et très éloignées des programmes libéraux du Centre et de la Droite.
En conclusion, l’avenir du mouvement des Gilets jaunes en France est incertain. Les éléments positifs sont la forte mobilisation pendant près de quatre mois et lors de la manifestation du 16 Mars 2019 à Paris, ainsi que le soutien relatif de l’opinion publique (61% de sympathie en Mars 2019 selon la sondage Elabe). Les éléments négatifs sont le fait que c’est un mouvement minoritaire, hétérogène, et non structuré, qui n’a pas de représentants officiels. Les autres éléments négatifs sont le très grand nombre des revendications, et les énormes dégâts humains et matériels à la suite des manifestations. Les semaines à venir seront décisives pour ce mouvement, notamment en fonction des décisions que prendra l’exécutif français suite au grand débat qui a officiellement pris fin le 15 Mars 2019.
La leçon à tirer de ce mouvement est que la mondialisation a laissé en marge une frange de la population qui vit dans des conditions très difficiles. Il appartient à tout gouvernement d’en tenir compte, et de mettre en œuvre des mesures sociales et des programmes de développement pour les régions défavorisées du pays.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI