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Le Printemps soudanais a-t-il pris fin ?

Par Jawad KERDOUDI
Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)

Rappelons que les manifestations ont débuté à Khartoum le 19 Décembre 2018 après la décision du gouvernement soudanais de tripler le prix du pain. Le mouvement de contestation a pris de l’ampleur malgré l’annonce le 24 Décembre 2018 de « vraies réformes » par le Président Omar Bachir, et l’établissement de l’état d’urgence le 22 Février 2019. Les sit-in se sont multipliés devant le quartier général de l’armée soudanaise en réclamant la chute du régime. Devant la persistance et la détermination des manifestants, le Président Omar Al Bachir est renversé par l’armée le 11 Avril 2019, et un Conseil militaire de transition a été constitué sous la direction du général Abdel Fattah Al-Burhane. De leur côté, les manifestants se sont organisés sous forme de l’Association des professionnels du Soudan et de l’Alliance pour la liberté et le changement. Les négociations ont eu lieu entre les militaires et les civils pour l’organisation de la période de transition. Les divergences sont nées concernant la durée de la période de transition et la composition des institutions qui doivent la gérer. C’est ainsi qu’il a été prévu un Conseil de souveraineté et un Parlement composé aux deux tiers par des civils et un tiers par des militaires. Cependant les négociations ont été suspendues le 20 Mai 2019 suite au désaccord sur la direction du Conseil de souveraineté.

Afin de faire pression sur le Conseil militaire de transition, les manifestations pacifiques ont continué devant le quartier général de l’armée soudanaise. Mais le 3 Juin 2019, les Forces de soutien rapide qui est une organisation paramilitaire commandée par le Général Hemmeti, sont entrées en action pour déloger le sit-in devant le quartier général de l’armée. Ce fût fait avec une extrême violence, des tueries, des pillages et des viols. Le bilan des victimes est lourd : plus de 100 morts et 500 blessés. C’est ainsi que le fleuve Nil a rejeté une quarantaine de cadavres de jeunes suppliciés. Suite à ce massacre, les responsables de l’opposition sont entrés dans la clandestinité. L’Association des professionnels du Soudan a lancé un appel à la résistance civile en encourageant les manifestants à dresser de nouvelles barricades et à bloquer leur quartier. De son côté, l’Alliance pour la liberté et le changement a refusé de reprendre les négociations avec les militaires. Deux hypothèses ont été émises pour expliquer cette dérive des militaires. La première est une lutte à l’intérieur du Conseil militaire de transition à l’issue de laquelle les durs l’ont emportée. La seconde hypothèse serait le feu vert donné aux militaires par leurs parrains (Egypte, Arabie Saoudite et Emirats Arabes Unis) d’éradiquer le mouvement démocratique.
Le massacre du 3 Juin 2019 à Khartoum a créé un tollé sur le plan international. Dès le 6 Juin, l’Union africaine a suspendu le Soudan et réclamé « l’établissement effectif d’une autorité civile de transition ». D’autre part, le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine imposera des mesures punitives contre les individus et les entités qui ont empêché l’établissement d’une autorité civile. Enfin, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed s’est rendu le 7 Juin à Khartoum pour tenter une médiation entre le Conseil militaire de transition et l’opposition. L’Union européenne de son côté a appelé à une cessation immédiate de la violence et à une enquête crédible sur les événements criminels qui ont eu lieu à Khartoum le 3 Juin dernier. Le massacre perpétré par des milices du Conseil militaire de transition a été également dénoncé par l’ONU, les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne.
Pendant sa visite à Khartoum le Premier ministre éthiopien a rencontré le Chef du Conseil militaire de transition et plusieurs dirigeants de la contestation. A l’issue de sa visite, il a déclaré dans un communiqué que « L’armée, le peuple et les forces politiques doivent faire preuve de courage et de responsabilité en prenant des actions rapides vers une période de transition démocratique et consensuelle dans le pays ». En réponse, le Conseil militaire de transition s’est dit ouvert aux négociations pour parvenir à une solution. L’Alliance pour la liberté et le changement a déclaré accepter cette médiation mais en posant plusieurs conditions. Tout d’abord la reconnaissance par le pouvoir des violences du 3 Juin, l’instauration d’une commission d’enquête internationale, et la libération des personnes arrêtées. Les autres conditions sont le respect des libertés publiques, la fin du blocage d’internet et le retrait de la présence militaire à Khartoum et à travers le pays.
La mission du Premier ministre éthiopien au Soudan semble aboutir à un échec suite à l’arrestation de deux figures de l’opposition civile soudanaise. En effet, juste après leur réunion avec le Premier ministre éthiopien, Mohammed Esmat leader de l’Alliance pour la liberté et le changement, et Ismail Jalab Secrétaire général du Mouvement populaire de libération du Soudan, ont été emmenés de force par des hommes armés vers une destination inconnue. D’autre part, l’opposition a lancé pour le Dimanche 9 Juin un mouvement de désobéissance civile qui a occasionné la mort de quatre personnes tuées par les forces de l’ordre. Aussi l’avenir démocratique du Soudan est imprévisible valeur aujourd’hui. La même interrogation se pose pour l’Algérie et la Libye : vont-ils retomber comme l’Egypte vers un régime militaire, où vont-ils s’acheminer vers un régime démocratique civil ?

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