Le crash à Téhéran de l’avion ukrainien : Quelles leçons en tirer ?
Par Jawad KERDOUDI Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Le 8 Janvier 2020 l’avion de Ukraine International Airlines assurant le vol 752 Téhéran-Kiev sur Boeing 737/800 s’est écrasé à 6h22 à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Téhéran. Les 176 personnes à bord ont péri et sont de différents nationalités : 82 iraniens, 63 canadiens, 11 ukrainiens, 10 suédois, 4 afghanistanais, 3 allemands et 3 britanniques.
Selon le porte-parole du ministère iranien des routes et des transports, le crash est dû à un incendie qui s’est déclaré dans l’un des moteurs de l’avion. Mais dès le lendemain 9 Janvier 2020, des sources concordantes du Pentagone et des services de renseignements américains et irakiens indiquent que l’avion aurait été abattu par un missile sol-air. Le même jour, le Premier ministre canadien Justin Trudeau déclare également que l’avion aurait été abattu par les forces iraniennes, et que ce n’était peut-être pas intentionnel. Le Premier ministre britannique Boris Johnson a également déclaré que l’avion était bel et bien abattu par un missile. Pour corroborer cette thèse, le New York Times publie une vidéo qui semble montrer un lancement de missile qui explose en touchant un avion. Jusqu’au 10 Janvier 2020, l’Iran continue de défendre la thèse de la panne de moteur, puisque le Président de l’Organisation de l’aviation civile iranienne a déclaré « une chose est sûre, cet avion n’a pas été touché par un missile ».
Il faut cependant rappeler que le crash a eu lieu dans un contexte de tensions extrêmes entre l’Iran et les Etats-Unis. Le 3 Janvier 2020 sur ordre de Donald Trump, le Général iranien Qassem Soleimani commandant de la Force Al-Qods du corps des Gardiens de la révolution islamique a été tué près de l’aéroport de Bagdad. Le 7 Janvier 2020, ses obsèques d’une très grande envergure ont donné lieu à plusieurs centaines de morts et de blessés à la suite d’un mouvement de foule à Kerman sa ville natale. Enfin le 8 Janvier 2020, le jour du crash ukrainien, une vingtaine de missiles ont été tirés par l’Iran sur des cibles américaines en Irak sans faire de victimes.
Le Samedi 11 Janvier 2020, l’Iran par une spectaculaire volte-face reconnaît finalement avoir abattu l’avion ukrainien par erreur tout en pointant « l’aventurisme américain ». En présentant ses excuses, l’Iran regrette profondément ce crash qualifié d’une grande tragédie et d’une erreur impardonnable. Les forces armées iraniennes expliquent que l’avion ukrainien après avoir décollé de l’aéroport de Téhéran, au moment de tourner avait semblé se rapprocher d’un centre militaire sensible des Gardiens de la révolution. Etant pris pour un avion hostile le responsable l’a visé par erreur et sera traduit immédiatement en justice. Le Président ukrainien a exigé que tous les coupables doivent être punis et réclamé le paiement de compensations, tandis que le Premier ministre canadien a exigé de son côté l’accès total à l’enquête qui doit déterminer tous les détails de cette tragédie, et notamment si le tir sur l’avion était une erreur.
On ne peut que déplorer ce crash de l’avion ukrainien qui a fait 176 victimes innocentes et qui va endeuiller durablement leur famille. Les responsables de ce drame sont à la fois l’Iran et les Etats-Unis. Ce sont les Gardiens de la révolution iranienne qui ont visé l’avion. L’Iran au système politique théocratique, est d’ailleurs l’unique pays ou existent deux armées : l’armée régulière et une armée idéologique. La République islamique d’Iran a eu tendance depuis sa proclamation le 1er Avril 1979, à vouloir exporter sa révolution et sa religion en Afghanistan, Bahreïn, Irak, Liban, Syrie, Yémen et même en Afrique du Nord. Il existe également un lourd contentieux entre les Etats-Unis et l’Iran depuis la prise d’otages à l’Ambassade américaine de Téhéran en Novembre 1979. Les Etats-Unis sont également indirectement responsables du crash de l’avion ukrainien, du fait de l’élimination contraire au droit international du Général iranien Qassem Soleimani, ce qui a provoqué la riposte iranienne du 8 Janvier 2020 et une grande confusion dans la capitale iranienne. D’autre part, les Etats-Unis se sont retirés en 2018 de l’Accord sur le nucléaire iranien et ont imposé des sanctions très lourdes contre l’Iran.
En conclusion, il faut espérer des réformes profondes du régime iranien pour que ce grand pays puisse jouir de la liberté, de la démocratie, et de la paix avec ses voisins. De même qu’aux Etats-Unis, il faut espérer le retour le plus rapidement possible d’une gouvernance qui respecte le droit international, le multilatéralisme, et le vivre ensemble dans le consensus et l’harmonie.
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