POUVOIR ET RELIGION
Par Jawad KERDOUDI Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
On attribue à André Malraux la phrase « Le XXIème siècle sera religieux ou ne sera pas ». Force est de constater en effet le retour de la religion dans les affaires politiques du monde. Depuis les temps les plus reculés, pouvoir et religion on été très souvent liés. La monarchie en France était de droit divin, et Napoléon Bonaparte fût sacré empereur des Français le 18 Mai 1804 par le Pape Pie VII à Notre-Dame de Paris. Il a fallu attendre 1905 pour que soit proclamée la loi de séparation de Eglises et de l’Etat.
On constate depuis le début de ce XXIème siècle l’instrumentalisation des religions monothéistes pour s’accaparer du pouvoir, ou en tous cas pour peser sur les questions politiques. C’est le cas de l’Etat islamique, qui a été proclamé le 29 Juin 2014 dans le but d’établir un Califat dans le monde musulman avec instauration de la Charia. Les promoteurs de cet Etat totalitaire ont pu mobiliser à travers plusieurs organisations terroristes un grand monde de combattants repartis sur les cinq continents. Les arguments présentés par ces activistes sont le retour aux valeurs fondamentales de l’islam, qui d’après eux n’ont pas été respectées par les dirigeants qui se sont succédés à la tête des Etats arabes et musulmans.
Cette tendance au retour de la religion, s’est exprimée notamment après le Printemps arabe de 2011 par la victoire des partis islamistes dans plusieurs pays. Heureusement, suite à la constitution d’une Alliance entre les pays arabes et occidentaux, il a été mis fin à l’Etat islamique en 2019. Valeur aujourd’hui, surtout après la pandémie du Covid 19, le monde arabo-musulman vit une conjoncture plus apaisée, avec quelques attentats djihadistes de temps à autre et la persistance des partis islamistes : Hizbollah au Liban, Hamas en Palestine, Frères musulmans en Egypte, AKP en Turquie. Un autre exemple du retour de la religion dans la politique, est la décision le 10 Juillet 2020 du Président Erdogan de rendre l’édifice de Sainte-Sophie au culte musulman. En effet par décret en 1934, Mustapha Kamal Atatürk avait transformé la Mosquée de Sainte-Sophie en Musée. Certes, c’est une décision souveraine de l’Etat turc, mais elle traduit la réislamisation du pays après la victoire de l’AKP.
Un autre pays où la religion joue un rôle important en politique est Israël. On distingue deux mouvements religieux qui n’ont pas les mêmes objectifs. Les Juifs ultra-orthodoxes rejettent partiellement la modernité, que ce soit dans le domaine des mœurs ou des idéologies. Ils vivent généralement en marge des sociétés laïques sous la direction de leurs rabbins, et affichent des réticences sinon de l’hostilité au sionisme. L’autre fondamentalisme est plus politique que religieux, est en faveur d’un Grand Israël comprennent l’ensemble des territoires palestiniens. Les ultra-othodoxes et les fondamentalistes ne constituent que 20% de la population israélienne. Cependant, du fait que le système électoral israélien se fonde sur la représentation proportionnelle intégrale, ils font souvent partie du gouvernement israélien. C’est ainsi que le gouvernement actuel présidé par Netan Yahu comprend cinq partis de la mouvance ultra orthodoxe et fondamentaliste.
Aux Etats-Unis, le mouvement évangélique joue également un rôle important puisque ses membres constituent 62 Millions d’électeurs. Quatre traits distinctifs les caractérisent : la conversion « Born again » (expérience d’une nouvelle naissance), la Bible est le fondement de la foi, la centralité du message de la crucification de Jésus, le prosélytisme évangélique. Il sont contre l’avortement et le LGBTQ (Lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) et sont favorables à Israël, qu’ils appellent Judée-Samarie. Ils considèrent en effet que le retour de tous les juifs en terre d’Israël préfigure le retour du Messie Jesus-Christ, et l’établissement du Royaume de Dieu sur la terre pendant mille ans. Ils ont voté à hauteur de 81% en 2016 pour Donald Trump.
En conclusion, on constate en ce début de XXIème siècle le retour de la religion dans les affaires politiques. La pandémie du Covid 19 a montré le peu de solidarité entre les Etats et le recroquevillement sur soi. Parallèlement, le populisme, l’intolérance et le racisme se sont renforcés. On peut expliquer ce phénomène par la faillite des idéologies notamment le communisme et le néo-libéralisme. Le monde vit actuellement une crise morale profonde. C’est le moment où nous devons tous réfléchir à un nouveau modèle pour le vivre ensemble.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI