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« La Chine post covid 19 et les relations sino-marocaines »

Par Jawad KERDOUDI
Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)

Conjoncture : cette crise peut-elle remettre en question le rôle central de la chine, atelier du monde, dans la mondialisation ?
Jawad Kerdoudi : Cette crise du Covid-19 est, à mon avis, la plus grave que la Chine ait connue depuis les années 2000. Elle dépasse la crise de 2008-2009 dans la mesure où elle a à la fois porté atteinte à la demande et à l’offre. Beaucoup de clients de la Chine ont souffert du manque d’approvisionnement et vont réfléchir à délocaliser leur entreprise implantée sur son territoire. D’autant que les États-Unis, avant même cette crise du Covid-19, avaient déclenché une guerre commerciale contre la Chine, considérée par Donald Trump comme un partenaire déloyal. En outre, il est reproché au pays d’avoir tardé à annoncer l’épidémie et sa gravité. La Chine sortira plutôt affaiblie de cette crise. Cependant, les effets de cette crise sur « l’atelier du monde » ne se feront sentir qu’à moyen et long terme, car les transformations économiques qu’elle a causées se réaliseront lentement.

Sa « diplomatie du masque » a-t-elle été efficace ?
La « diplomatie du masque » de la Chine a été appréciée par certains pays, comme l’Italie ou les pays africains. Mais elle n’est pas suffisante pour redorer son image. Celle-ci a d’ailleurs été aussi ternie par d’autres événements, comme la répression brutale des manifestations de Hong Kong ou son refus d’admettre Taïwan à l’Organisation mondiale de la santé.
Quelle relation le Maroc entretient-il avec la chine ?
Le Royaume entretient de bonnes relations diplomatiques avec Pékin, qui a ouvert une ambassade à Rabat dès le lendemain de l’indépendance, et une coopération économique, sociale et culturelle importante existe entre les deux pays. Cependant, la balance commerciale du Maroc vis-à-vis de la Chine est largement déficitaire et les investissements chinois sont peu importants sur le territoire. Des projets ont été engagés dans le Nord du Maroc, mais les travaux de réalisation n’ont pas encore commencé.
Faut-il en finir avec les « chaînes de valeur mondiales », dont les vulnérabilités ont été révélées par la crise ?
Non, on ne peut pas en finir totalement avec ces chaînes de valeur mondiales, car elles ont le gros avantage de diminuer le prix de revient, ce qui rend les produits plus compétitifs. Les consommateurs ont beaucoup bénéficié de ce système de production, dans des domaines comme l’automobile ou les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Ce système restera en place, même s’il y aura quelques délocalisations pour les produits stratégiques. Il faut ainsi s’attendre à l’émergence de politiques protectionnistes via des droits de douane, lorsque c’est possible, ou des obstacles non tarifaires. Les États voudront, par ce biais, protéger ces relocalisations de la concurrence internationale.
Quel rôle doit jouer le Maroc dans ce contexte ?
Le Royaume peut jouer un double rôle. Il doit d’abord défendre le multilatéralisme, qui est le système le plus favorable aux pays émergents et en développement, dans la mesure où il permet la défense des intérêts des petits et moyens pays face aux mastodontes du commerce international : Chine, Union européenne, États-Unis. En parallèle, il doit promouvoir la régionalisation avec l’Afrique subsaharienne à travers la CEDEAO et la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) et tenter de ranimer l’Union du Maghreb arabe, qui est la région naturelle de développement du Maroc. Le Royaume doit aussi, bien sûr, entretenir et développer ses liens avec l’Europe pour des raisons géographiques et historiques. Près des deux tiers de notre économie sont tournés vers ce continent qui peut nous offrir le savoir technologique nécessaire à notre développement industriel. La place du Maroc est aujourd’hui reconnue sur le continent africain, en particulier en Afrique de l’Ouest. Une coopération triangulaire entre l’Europe, le Maroc et l’Afrique ne peut qu’apporter une synergie et de nouveaux développements sur ce continent d’avenir.
Propos recueillis par Rémy Pigaglio

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