Rapport complémentaire à la Commission spéciale
sur le modèle de développement
IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
La pandémie du coronavirus née en Chine en Décembre 2019 et dont la propagation s’est accélérée en touchant le monde entier y compris le Maroc, a mis à nu notre système économique et social d’une part, mais risque aussi de bouleverser l’ordre mondial et tracer de nouvelles relations à l’international. Aussi notre rapport jettera-t-il la lumière sur deux volets : le premier sera consacré à un état de lieux au Maroc concernant les déséquilibres internes sur les plans économique et social, avec en exergue des propositions de mesures de remise à niveau, puis en second lieu un focus sur l’évolution des relations internationales et le positionnement du Maroc correspondant.
Volet I : Etat des lieux au Maroc et propositions
La pandémie du coronavirus qui a frappé notre pays à partir du 2 Mars 2020 a montré à notre sens quatre défaillances de notre système économique et social. D’une part, l’importance du secteur informel puisque 4,3 millions de ménages ont reçu une indemnité mensuelle de 800 à 1200 dh. Soit en prenant 4 personnes par ménage, cela concerne 17 millions de marocains qui vivent dans la précarité. Sur le plan social, l’absence de couverture médicale de la majorité des malades, et l’équipement insuffisant de notre système public de santé. Sous l’impulsion du Roi Mohammed VI, le Fond spécial de gestion de la crise a immédiatement été utilisé pour mettre à disposition des hôpitaux les appareils nécessaires, alors que le personnel soignant, a été renforcé par le service de santé des FAR et par les médecins privés. Evidement tous les malades ont été soignés gratuitement, et la crise sanitaire a été jusqu’à maintenant correctement gérée. La troisième défaillance est la dépendance de notre pays vis-à-vis de l’étranger, puisque plusieurs unités de production se sont arrêtées faute d’approvisionnement. Enfin comme dans tous les autres pays, les entreprises ont été fragilisées notamment les TPME (Très petites et moyennes entreprises).
Tout cela nous amène à réfléchir sur la politique économique à adopter après la pandémie. Au niveau du modèle de développement, nous préconisons le maintien d’un libéralisme économique contrôlé, sans marginaliser le rôle de l’Etat qui doit jouer un rôle d’investisseur dans les infrastructures, d’incitateur et de régulateur, avec le développement du secteur privé débarrassé de la corruption et de la rente. Nous préconisons également une plus grande flexibilité par rapport aux indicateurs économiques dans la mesure où elle stimule la croissance et l’emploi. Une première mesure à prendre dans toutes les lois de finances à venir est de prioriser les secteurs de l’éducation, de la santé et de la couverture sociale. Notre système éducatif doit être revu en profondeur pour inclure dès le primaire l’apprentissage des nouvelles technologies de l’information. On a vu au cours de cette pandémie l’extrême importance de l’utilisation de ces moyens d’information et de communication. Nous insistons aussi sur l’apprentissage des langues étrangères, notamment l’anglais qui est la langue des affaires et le véhicule principal de la recherche scientifique mondiale. L’Etat, nos Universités et nos Entreprises doivent développer la recherche/développement, car l’innovation est le principal facteur de progrès technologique dans tous les domaines. En résumé, disposant de peu de ressources naturelles, nous devons développer absolument le capital humain.
Le secteur public de santé doit également être profondément développé en personnel qualifié et en équipement, afin de fournir des soins de qualité et faire face aux prochaines pandémies. Le Maroc doit également devenir un acteur actif dans la diplomatie sanitaire, qui représente un cadre majeur de négociations de la politique mondiale en matière de santé. Il faut aussi assurer progressivement une couverture médicale à tous les citoyens marocains en s’assurant que tous les employeurs déclarent leurs salariés à la CNSS, et en intégrant tous les travailleurs non salariés notamment les représentants des professions libérales. La digitalisation doit être développée tant pour améliorer et simplifier l’administration publique et le secteur privé, que pour élargir le télétravail et l’enseignement à distance.
Des solutions doivent être trouvées pour résorber le secteur informel. Cela exige la simplification des procédures, et des mesures incitatives pour intégrer le secteur formel. Mais la meilleure solution est de créer le maximum d’emplois dans le secteur formel, car les chômeurs n’optent pour le secteur informel que lorsqu’ils ne trouvent pas d’opportunités dans le secteur formel. D’où la nécessité de développer les industries de substitution aux importations qui vont réduire notre dépendance vis-à-vis de l’étranger, et de rechercher de nouveaux créneaux comme l’industrie numérique, qui est appelée à un grand développement au cours de ce XXIème siècle. Le développement de l’industrie dans notre pays nécessite une certaine protection, qu’on peut obtenir par l’utilisation des clauses de sauvegarde, et par la révision des Accords de libre-échange qui sont tous déficitaires pour notre pays.
La primauté de toute l’activité gouvernementale doit être la création d’emplois pour résorber le chômage actuel, et offrir des opportunités à la masse des jeunes qui arrive chaque année sur le marché du travail. Priorité doit être donnée aux toutes petites et moyennes entreprises TPME, pour les accompagner et leur faciliter l’accès au financement. Lors de la pandémie du Covid 19 qui a frappé notre pays à partir du 2 Mars 2020, la Caisse Centrale de Garantie (CCG) a joué un rôle fondamental pour sauver les entreprises de la faillite et pour relancer leur activité. Et ce en garantissant à hauteur de 90% les crédits « Damane Oxygène » qui a atteint 14 milliards de dirhams au 12 Juin 2020, et « Damane Relance » qui va atteindre 66 milliards de dirhams d’ici la fin de l’année 2020. Aussi sommes-nous très favorable au projet de loi N° 36.20 qui a pour but de transformer la CCG, qui est actuellement un Etablissement public, en Société anonyme avec élargissement de son champ d’action. Le nouveau statut de Société anonyme permettra à l’institution de travailler sous un modèle normé et standardisé, permettant de rentrer en relations plus facilement avec les bailleurs de fonds nationaux et internationaux. Etant également un Etablissement de crédit, le nouveau statut la placera sous la supervision de Bank Al Maghrib, à l’instar des autres organismes de crédit contrôlés par la Banque Centrale. La CCG pourra également disposer en son sein d’Administrateurs indépendants, ce qui améliorera sa gouvernance. Le nouveau projet de statut permettra également à la CCG d’étendre ses activités à des services non financiers, tels que l’assistance technique aux entrepreneurs notamment les plus jeunes, pour limiter le taux de mortalité très élevé dans le passé. C’est l’Etat qui assurera le financement de la CCG par des dotations dans le cadre de la loi de finances. La CCG aura également pour mission l’inclusion financière des populations non éligibles au crédit bancaire, comme le Fogarim dans le domaine du logement. En résumé, l’objectif final est de transformer la CCG en une banque de développement d’une nouvelle génération.
D’autres dispositions peuvent être prises, telles que la préférence nationale, l’encadrement des importations, et le développement du partenariat public-privé. L’investissement privé doit être encouragé et l’investissement public mieux orienté vers les activités productives. Un autre secteur à continuer à développer, est celui des énergies renouvelables notamment l’éolien et le solaire, qui outre la création d’emplois diminue notre dépendance vis-à-vis des importations d’hydrocarbures. Pour le secteur de l’agriculture, et afin de parvenir à une plus grande auto-suffisance alimentaire, il y a lieu de développer la céréaliculture, l’oléiculture et les cultures sucrières. Toutes ces mesures doivent être réalisées en respectant l’environnement dans le cadre d’un développement durable, dont notamment le transfert de la décharge des ordures de Mediouna. Sur le plan social, pour les personnes sans emploi et les démunis, la solution peut être trouvée dans la suppression de la Caisse de Compensation, et l’attribution d’une indemnité mensuelle directe sous certaines conditions (comme par exemple la scolarisation des enfants utilisée par la « Bolsa Familia » au Brésil). Il faut pour cela accélérer l’adoption du Registre social unifié.
Au niveau budgétaire et afin de réduire le déficit, il y a lieu de procéder à un importante réforme fiscale par une taxation proportionnelle du capital et du revenu. La réforme doit viser à diminuer la charge fiscale pour la classe moyenne en élargissant l’assiette fiscale. Les dépenses de l’Etat doivent être rationalisées pour éviter tout gaspillage, sans réduire les investissements publics productifs source de création d’emplois. Pour ce qui est des finances publiques, il est nécessaire de réviser les statuts de Bank Al Maghrib pour élargir son rôle en tant que vecteur de développement économique et social en plus de celui de contrôle de l’inflation.
Au niveau du commerce extérieur, outre l’encadrement des importations, il y a lieu de développer la production exportable et la promotion sur de nouveaux marchés en Afrique, Asie, Amérique. Pour équilibrer la balance des paiements, tout doit être fait pour développer les exportations invisibles : investissements directs étrangers, transferts des RME, et le tourisme qu’il faut sauver après cette pandémie du coronavirus.
Volet II : Evolution des relations internationales et positionnement du Maroc
Pour ce qui est des relations extérieures, la pandémie du Covid 19 a bouleversé l’ordre mondial. Le bilan au 27 Juillet 2020 est de plus de 16 millions de cas de contamination et de 648.000 décès. Sur le plan politique, l’effet de la pandémie est considérable et risque de changer l’ordre mondial. La crise du Covid 19 a mis à mal la mondialisation basée sur le néo-libéralisme qui a prospéré depuis les années 1980 avec une libre circulation des biens, des services et des personnes. Les effets négatifs de la mondialisation qui sont apparus dans la crise du Covid 19 sont l’interdépendance entre les pays et l’aggravation des inégalités sociales. D’où le retour à l’Etat-Nation qui se traduit par la souveraineté de l’Etat, l’intérêt national et la territorialité. La conséquence a été la montée du populisme notamment aux Etats-Unis, en Europe de l’Est et au Brésil. Cependant la mondialisation est un phénomène inévitable et irrésistible, et l’ordre ultime des temps post-modernes. C’est pour cela qu’à l’avenir la mondialisation persistera avec un retour de l’activisme de l’Etat.
Le nouvel ordre mondial post-Covid 19 sera marquée par la rivalité sino-américaine. En effet, on a assisté ces dernières années à une absence latente du leadership américain, et une montée en puissance de la Chine qui tisse sa toile sur le monde à travers les routes de la soie. Deux scénarios sont possibles et dépendent en partie de la réélection de Donald Trump aux présidentielles américaines de Novembre 2020. Si Donald Trump est réélu, il y a le risque de l’instauration d’une guerre froide entre les Etats-Unis et la Chine, à l’instar de la guerre froide Etats-Unis/URSS au XXème siècle. Si Joe Biden est élu, il y a possibilité pour les Etats-Unis de négocier un nouveau deal politique avec la Chine.
Quant aux autres acteurs les plus importants de la planète, l’Union européenne peut jouer un rôle d’équilibre entre les Etats-Unis et la Chine, si elle arrive à s’unir sur le plan politique. Les liens entre les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine) se sont beaucoup distendus, et aucune réunion n’a été tenue entre eux durant cette crise du Covid 19 pour une action commune. Le Brésil est dans une piètre situation depuis l’élection à la présidence du nationaliste Jair Bolsonaro. Pour ce qui est de la Russie, Vladimir Poutine se bat pour faire jouer un rôle international à son pays, mais son économie se place au 12ème rang au niveau mondial à égalité avec la Corée du Sud. L’Inde lutte courageusement contre la pandémie, et se place désormais comme un lieu d’accueil privilégié pour la relocalisation des investissements américains en Chine. Quant à cette dernière elle concentre toute son énergie sur le conflit avec les Etats-Unis. L’Afrique dont la population majoritairement jeune atteindra 2,5 milliards d’habitants en 2050, et qui regorge de matières premières, est promise à un bel avenir sous certaines conditions. Elle doit promouvoir son capital humain, valoriser ses matières premières et son industrialisation, et parfaire son intégration dans le cadre de la ZLECA (Zone de libre-échange continentale africaine).
Face à ces données du nouvel ordre mondial Post Covid 19 quel pourrait être le positionnement du Maroc ?
Notre pays dispose d’atouts qu’il faudrait valoriser au maximum. Tout d’abord la stabilité politique, la position géographique entre l’Europe et l’Afrique Subsaharienne, une main d’œuvre qualifiée et compétitive, des moyens logistiques modernes, tels que le Train à grande vitesse et le grand port de transbordement de Tanger/Med. Le Maroc a également développé une politique énergétique innovante avec l’éolien et le solaire, permettant d’atteindre un mix de 52% en énergies renouvelables d’ici 2030. Il a d’autre part géré avec succès la crise sanitaire du Covid 19, et a apporté un aide médicale à 18 pays de l’Afrique Subsaharienne. La preuve de l’intérêt pour les investissements au Maroc peut être apportée, par l’autorisation le 24 Juin 2020 de 45 projets d’une valeur de 24 milliards de dirhams dans les secteurs de l’énergie, les télécoms, le commerce, l’industrie et le tourisme.
Favorable au multilatéralisme, le Maroc doit continuer à poursuivre son ouverture sur l’extérieur tout en défendant ses intérêts. C’est ainsi qu’à l’instar de ce qu’il a réalisé avec la Turquie, il devrait renégocier les Accords de libre-échange avec les autres pays dans un esprit gagnant-gagnant. Au niveau de la politique étrangère, deux axes s’imposent : celui de l’Afrique Subsaharienne par une coopération Sud/Sud dans tous les domaines. Le second axe est celui de ses relations avec l’Union européenne, dont il faudrait revoir le mode de coopération en privilégiant le volet investissement. En effet suite à la crise Covid 19, le Maroc pourrait devenir un lieu de relocalisation pour les entreprises européennes implantées en Asie.
Quant aux autres continents, le Maroc devrait renforcer ses relations économiques avec les Etats-Unis auxquels il est lié par un Accord de libre-échange. De même qu’il devrait apporter toute son attention aux relations avec les pays asiatiques qui ont moins souffert de la crise du Covid 19, et qui sont devenus la source de la croissance mondiale. En premier lieu la Chine qui est devenu la seconde puissance économique mondiale, mais aussi l’Inde, le Japon et la Corée du Sud. Enfin le Maroc doit saisir toutes les opportunités qui se présentent avec la Russie, les pays Arabes et les autres pays européens en dehors de l’Union européenne et notamment le Royaume-Uni.
En conclusion, la stratégie du Maroc est de poursuivre de bonnes relations avec tous les pays du monde pour tirer le meilleur profit pour son économie, tout en étant vigilant concernant la récupération de ses Provinces sahariennes et la préservation de son intégrité territoriale.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI