La Géopolitique du Covid 19
Par Jawad KERDOUDI Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Le coronavirus Covid 19 né il y a un an en Chine a causé une grave crise sanitaire, économique et sociale partout dans le monde. Au 27 Décembre 2020, on déplore sur notre planète plus de 80 millions de contaminations et plus de 1.700.000 décès. Les pays qui ont payé le plus grand tribut à cette pandémie par le nombre de personnes infectées sont les Etats-Unis, l’Inde, le Brésil, la Russie et la France. L’économie mondiale va connaître en 2020 selon le FMI une récession moyenne de -4,4% avec -5,8% pour les pays avancés et -3,3% pour les pays émergents et en développement. Sur le plan social, il est prévu que 90 millions de personnes tombent dans un dénuement extrême au cours de l’année 2020.
Dans les premiers mois de l’année 2020, les pays surpris par l’ampleur et la gravité de la pandémie, se sont repliés sur eux-mêmes en procèdent au confinement sur le plan intérieur, et à la fermeture des frontières sur le plan extérieur. Chaque pays a pris des mesures individuelles pour sauver les vies en préservant sa population de la contamination. Ce n’est que le 4 Mai 2020 que l’Union européenne a lancé la « Conférence des donateurs » qui a mobilisé 10 milliards d’euros pour un accès équitable aux traitements et aux vaccins contre le Covid 19. Le même mois de Mai 2020 a été organisée à Genève l’Assemblée mondiale de la santé, où l’Union européenne a soutenu une résolution préconisant une distribution équitable du vaccin et une enquête sur l’origine de l’épidémie. Les européens ont également soutenu l’organisation mondiale de la santé (OMS) au moment où Donald Trump l’attaquait avec vehémence. L’Union européenne a été également parmi les premiers donateurs du Covax, un mécanisme multilatéral qui a pour objet d’acquérir au profit des pays pauvres 2 milliards de doses de vaccin d’ici fin 2021. A noter que les Etats-Unis et la Russie ne sont pas joints au Covax, de même que le laboratoire Pfizer-Biontech. Enfin, l’Union européenne a acheté en commun les vaccins contre le Covid 19 et a entamé la vaccination le même jour le 27 Décembre 2020.
La Chine de son côté a soutenu l’OMS mais a refusé qu’une enquête internationale soit menée sur son territoire avant la fin de la pandémie. Elle a joué le jeu de la coopération internationale en s’engageant au dispositif d’aide européen (46 millions d’euros) et au Covax soit financièrement soit par un don de vaccin. Au Sommet Chine/Afrique de Juin 2020, la Chine a promis un accès prioritaire aux pays africains. Sur le plan bilatéral, elle a fourni des masques et des respirateurs à des pays développés ou en développement. Elle a surtout multiplié des accords de vente de ses vaccins à des pays de niveau intermédiaire à un prix modéré, avec dans certains cas un transfert de technologie pour produire le vaccin sur place. Les vaccins chinois ont un autre avantage pour le transfert et le stockage qui n’exigent qu’une température de 2 à 8 degrés, contrairement au vaccin Pfizer qui exige – 80 degrés. Les pays qui ont passé des contrats d’achat des vaccins chinois sont les pays arabes : Bahreïn, Emirats Arabes Unis, Egypte, Jordanie, Maroc, d’Amérique latine : Argentine, Brésil, Chili, Mexique, Pérou et asiatiques : Indonésie, Pakistan, Turquie. Selon une étude des Emirats Arabes Unis le vaccin chinois Sinopharm aurait une efficacité de 86%.
Les Etats-Unis sous la présidence de Donald Trump n’ont exercé aucun leadership international dans la pandémie du coronavirus. Ils se sont retirés de l’OMS et ne participent ni au Covax, ni à l’Alliance du vaccin (GAVI), ni à la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (CEPI). Ils ont préféré faire cavalier seul et ont investi 10 milliards de dollars dans le développement rapide d’un vaccin. Leur vaccin Pfizer/Biontech a été le premier à obtenir l’approbation en Occident. Il est actuellement distribué grâce à une gigantesque opération logistique « Warm speed » et la vaccination a commencé le 14 Décembre 2020.
La Russie a lancé le premier vaccin enregistré dans le monde qu’elle a dénommé Spoutnik V, qui est parmi les 10 vaccins proches des essais cliniques, qui ont eu lieu également aux Emirats Arabes Unis, en Inde, au Venezuela et en Biélorussie. Elle annonce une efficacité de 91,4% et un coût inférieur à 10 $ pour une injection du vaccin pour les marchés étrangers. Le vaccin peut être stocké à une température entre 2 et 8 degrés Celsius et plus de 50 pays ont placé des commandes d’achat pour 1,2 milliard de doses. Ce vaccin sera produit par transfert de technologie en Inde, Brésil, Chine, Corée du Sud et dans d’autres pays.
Le Royaume-uni qui au départ a mal évalué la gravité du Covid 19, a par la suite pris les mesures de prévention nécessaires, et a travaillé activement pour la production d’un vaccin. En collaboration avec le Suède, il a réussi à mettre au point le vaccin AstraZeneca d’une efficacité moyenne de 70%, d’un prix de 4 $ la dose, et qui peut être transporté et stocké entre 2 et 8 degrés. Plusieurs pays ont acheté ce vaccin : Australie, Inde, Egypte, Canada, Afrique du Sud ainsi que le Maroc. Quant à la France, le vaccin fabriqué par Sanofi en collaboration avec la firme britannique GSK a pris du retard et ne sera disponible qu’au 4ème trimestre 2021.
En conclusion, la pandémie du Covid 19 a donné lieu à une nouvelle arme diplomatique qui va contribuer à façonner l’ordre mondial à venir. Les deux grands gagnants de cette confrontation sont la Chine et l’Union européenne qui ont agi, notamment par l’accès au vaccin, pour amplifier leur influence sur le plan mondial vis-à-vis des pays intermédiaires et en développement. La Russie et le Royaume-Uni ont également fait des efforts appréciables dans le même sens. Le grand perdant sont les Etats-Unis où le Président américain Donald Trump a appliqué son fameux slogan « America first ». Il appartient maintenant au nouveau président Joe Biden de redorer l’image des Etats-Unis sur la scène internationale.
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